Élevage laitier de montagne : « Travailler en alpage est un art de vivre »
Le Gaec de la Pierra Menta, en Savoie, produit plus de 250 000 litres de lait en AOP beaufort. Une filière rémunératrice qui implique aussi des contraintes fortes. Si le travail en alpage fait partie du charme du métier, il exige un investissement sans faille des producteurs.
Le Gaec de la Pierra Menta, en Savoie, produit plus de 250 000 litres de lait en AOP beaufort. Une filière rémunératrice qui implique aussi des contraintes fortes. Si le travail en alpage fait partie du charme du métier, il exige un investissement sans faille des producteurs.
Le Gaec de la Pierra Menta porte bien son nom. Avec un alpage au pied de ce remarquable sommet culminant à 2 714 mètres, qui accueille chaque année l’une des plus grandes épreuves de ski-alpinisme au monde, il n’est pas étonnant que Gérard Bochet et Séverine Desenclos aient choisi ce nom emblématique pour leur Gaec. En ce début août, leurs tarentaises(1) pâturent paisiblement entre 2 100 et 2 400 mètres d’altitude au cœur du Beaufortain. « La montagne nous offre un spectacle dont nous ne nous lassons jamais », se réjouissent de concert le frère et la sœur, qui produisent 251 000 litres de lait pour l’AOP beaufort.
La surface fauchable limite l’autonomie alimentaire
La première difficulté, et non des moindres, tient à la pente. En alpage bien sûr, mais aussi sur les prairies permanentes situées autour du principal site d’exploitation, à Beaufort à 1 050 m d’altitude. « La pente constitue un handicap à la fois pour le travail, la production fourragère et la rentabilité, estime Séverine. Nous n’avons quasiment pas de parcelles plates. Seules les moins pentues peuvent être fauchées, ce qui s’avère limitant pour assurer des stocks de foin et de regain pour tenir l’hiver. » Quelle que soit leur situation, en plaine ou en montagne, les 341 exploitations laitières livrant à l’AOP beaufort sont toutes tenues aux mêmes contraintes de production. « Or, c’est beaucoup plus compliqué d’assurer des récoltes en quantité et qualité avec des pentes qui peuvent aller jusqu’à 45 degrés. »
Parvenir à l’autonomie alimentaire est l’un des objectifs prioritaires de l’élevage. « Même si nous restons dans les clous du cahier des charges de l’AOP, nous sommes contraints de compléter la ration de base des laitières en achetant du foin de prairie naturelle et du foin de luzerne, à hauteur de 20 % de nos besoins », poursuit Gérard.
À la pente et aux difficultés de récolte même avec du matériel spécifique, s’ajoute la nature des terres argileuses, longues à sécher. « Nous ne pouvons intervenir ni très tôt en saison, ni dans un délai court, ce qui pénalise la qualité des fourrages. Pour un chantier de foin, il faut compter minimum quatre jours de beau temps. » En général, le Gaec récolte 4 tMS/ha, stockées en vrac, en assurant une bonne qualité de première coupe (fin juin). La seconde coupe (mi-août) se montre souvent plus aléatoire. « Parfois, s’il fait trop sec, les parcelles ne sont pas refauchées une deuxième fois. »
Les génisses et vaches taries en pension d’hivernage
À la belle saison, les génisses reviennent pâturer dans des parcs à Beaufort, tandis que toutes les vaches montent en alpage. Cette période comporte aussi son lot de difficultés, avec des journées harassantes, loin de tout. Le Gaec dispose de trois alpages différents. En tout, sept transhumances sont effectuées de mi-juin à début octobre. « Le temps de préparation, le déplacement des bêtes et du matériel, et la réinstallation prennent une petite journée quand tout se passe bien. Mais les imprévus s’invitent souvent entre les vaches baladeuses, les aléas météo et autres péripéties en tout genre ! », raconte Séverine, aguerrie à ces mésaventures.
Traite mobile et collecte du lait une à deux fois par jour
Normalement, la collecte du lait s’effectue deux fois par jour entre avril et mi-octobre. « Sur l’alpage le plus reculé, nous fonctionnons différemment. Le camion-citerne de la coopérative ne vient pas jusqu’à nous. C’est nous qui allons à sa rencontre avec un pick-up pour qu’il pompe le lait tous les matins à un point de collecte défini. »
Une cohabitation pas simple avec les touristes
De plus, les promeneurs ne sont pas toujours respectueux des pratiques d’élevage et de l’environnement. « Ils débarquent avec leur chien en liberté, effraient le troupeau, ne suivent pas les chemins, pénètrent dans les parcs alors qu’il y a un taureau, campent n’importe où, font du feu, laissent leurs déchets sur place, voire parfois même coupent l’arrivée d’eau… » Depuis cette année, un arrêté communal rappelle les règles d’usage de l’alpage. Le bivouac est autorisé avec l’accord des propriétaires mais le camping sauvage interdit.
Les effets du changement climatique sont visibles même en alpage - Gérard Bochet
Fiche élevage
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