Documentaire
« La terre n'absorbe plus l'eau parce qu'elle se meurt » : la dégradation des sols filmée dans les Hauts-de-France
« Paysans du ciel à la terre avec les agriculteurs de Hauts-de-France » est un film d'Hervé Payen et Agathe Vannieu réalisé entre ciel et terre d’après une enquête de Philippe Frutier menée pendant trois ans auprès des agriculteurs de la région. Il sort au cinéma le 11 mars.
« Paysans du ciel à la terre avec les agriculteurs de Hauts-de-France » est un film d'Hervé Payen et Agathe Vannieu réalisé entre ciel et terre d’après une enquête de Philippe Frutier menée pendant trois ans auprès des agriculteurs de la région. Il sort au cinéma le 11 mars.
« Je suis le témoin solitaire d’un véritable drame, je dois le partager. Depuis environ dix ans, je constate un phénomène qui me préoccupe terriblement par son ampleur : les coulées de boue » explique Philippe Frutier, photographe aérien et fils de paysan qui a grandi à la campagne dans le Pas-de-Calais.
L'érosion des sols vue du ciel
Son métier lui permet depuis 30 ans de survoler la région des Hauts-de-France et d’admirer « la beauté graphique des paysages modelés par l’agriculture » aujourd’hui abimée par l’érosion des sols victimes des coulées de boue, un phénomène qu'il a décidé de mettre en avant dans le film documentaire Paysans du ciel et de la terre. « Elles sont de plus en plus fréquentes, elles frappent des territoires de plus en plus vastes, elles sont d’une violence inégalée. Il faut prendre de la hauteur pour appréhender la mesure de ce désastre » se désole Philippe Frutier qui estime que « la terre n'absorbe plus l'eau parce qu'elle se meurt ». Il est parti à la rencontre d’agriculteurs, de scientifiques et de spécialistes des sols et de l’eau pour comprendre ce phénomène.
Un phénomène qui n’existait pas il y a 20 ans
« Le sol est une véritable passoire avec une diversité de vie extraordinaire. Quand il pleut, l’eau se déverse dans cette passoire mais la façon de le travailler, avec de nouveaux outils et l’apport d’éléments chimiques ont fait perdre progressivement au sol toute sa vie et il est devenu une matière inerte, comme du béton, et l’eau ne peut plus s’infiltrer » affirme dans le documentaire Gabriel Bertein, maire de la commune de Rivière dans le Pas-de-Calais qui constate que ce phénomène n’existait pas il y a 20 ans.
Je sème du trèfle dans du blé
Les agriculteurs interrogés, qu’ils soit conventionnels, bio ou adeptes de l’agriculture de conservation, sont unanimes sur le fait qu’il faut replanter arbres et haies et revenir à des pratiques plus vertueuses : moins labourer, laisser le sol se reposer, utiliser moins d’intrants et des engrais verts. Tous donnent leurs idées pour favoriser une terre vivante avec une meilleure capillarité. « Je sème du trèfle dans du blé qui continue à pousser après la moisson, donc on arrive à presque dix mois sans toucher le sol » explique par exemple Richard Vilbert, agriculteur bio à Rubempré dans la Somme.
Quid des industriels ?
Mais qu’en est-il des industriels qui ont poussé les agriculteurs à toujours produire plus ? Philippe Frutier a choisi de donner la parole à Maxence Turbant, directeur Mc Cain France Belgique : « 70 % des sols dans le monde sont dégradés. Ces sols sont en péril pour subvenir aux besoins alimentaires de la planète. Pendant longtemps, on a intensifié l’agriculture et ça a impacté la vie des sols. En 2021, nous avons converti 100 % de nos surfaces à travers le monde, soit 150 000 hectares, à l’agriculture de régénération pour remettre le sol au cœur de notre système de production. Et on accompagne les agriculteurs financièrement car ils ne peuvent pas être les seuls à assumer cette transition ».
Les agriculteurs trouvent des solutions
Gabriel Bertein estime que tous, collectivités, pouvoir politique, citoyens, consommateurs, doivent œuvrer au changement car « la nature montre qu’elle est à bout de souffle et c’est à nous d’agir très vite ».
« C’est la gestion des sols qui sera ou non l’avenir de l’homme »
Marc-André Selosse, professeur au muséum national d’histoire naturelle, spécialisé dans la vie du sol, estime que « l’avenir de l’humanité repose sur le maintien des capacités des sols à rendre des services sur le climat, l’eau et la nutrition qu’ils rendent actuellement ». Et d’ajouter : « Le sol n’est pas l’avenir de l’homme, c’est la gestion des sols qui sera ou non l’avenir de l’homme ».
Philippe Frutier qui livre des images empruntes d’une esthétique saisissante conclut : « Une nouvelle agriculture se met en place en reconnaissant la problématique du sol, des agriculteurs y travaillent, trouvent des solutions et par conséquent trouvent leur propre reconnaissance. Ils retrouvent ainsi toute la noblesse de leur métier ».