La francisation des fruits et légumes, un poison pour la filière
Spoliation des producteurs, tromperie du consommateur : la francisation, cette pratique qui consiste à modifier l’origine des produits pour faire croire qu’ils sont made in France, empoisonne la filière des fruits et légumes. Celle-ci cherche des parades.
Spoliation des producteurs, tromperie du consommateur : la francisation, cette pratique qui consiste à modifier l’origine des produits pour faire croire qu’ils sont made in France, empoisonne la filière des fruits et légumes. Celle-ci cherche des parades.
La crise de la Covid-19 a amplifié le phénomène : les consommateurs plébiscitent l’origine France. C’est même devenu un enjeu stratégique pour les entreprises, note la DGCCRF. De quoi aiguiser les appétits et inciter des opérateurs bien peu scrupuleux à franciser des produits et ainsi faire croire aux consommateurs, par le simple jeu d’un changement d’étiquette, que des fruits et légumes sont d’origine française alors qu’ils ont été produits hors des frontières hexagonales. « Le bio étant en perte de vitesse, la tromperie sur le bio, c’était hier. Aujourd’hui, la fraude se porte sur le produit français », constate Fabien Gaucher, responsable du service juridique d’Interfel. Car l’opération peut se révéler juteuse et rapporter à ses auteurs des sommes atteignant plusieurs millions d’euros, poursuit Fabien Gaucher. « Le commerçant malhonnête écoule la marchandise en faisant une marge très importante tout en revendant à un prix inférieur à celui d’un produit français. » Et de tirer le prix de ce dernier vers le bas.
Un manque à gagner pour les producteurs
Le kiwi en a notamment fait les frais. À l’issue d’un cinquième procès en francisation du kiwi, la plus vaste fraude découverte par la DGCCRF concernant ce fruit, qui s’est tenu en janvier 2021 et qui s’est soldé par une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis et une amende de 50 000 euros pour le contrevenant, le BIK (Bureau interprofessionnel du kiwi) a fait ses comptes : le manque à gagner pour les producteurs représenterait plus de 88 millions d’euros sur les trois récoltes de l’enquête. « C’est le futur de notre verger qui se joue », estime Marie-José Sanz, coprésidente du BIK. Et d’ajouter : « L’origine France doit être protégée et valorisée. Sinon, comment pérenniser et renouveler les vergers si, derrière, le prix du produit ne suit pas ? » Le BIK a calculé qu’avec les 88 millions d’euros spoliés, ce sont 1 265 hectares qui auraient pu être plantés.
Le kiwi n’est pas la seule production à être touchée par ce type de fraude. « Cela concerne potentiellement tous les fruits et légumes et, en particulier, ceux qui sont bien valorisés et pour lesquels la différence de prix entre l’import et le produit français est importante », explique Raphaël Martinez, directeur de l’AOP pêches et abricots de France. Des affaires seraient en cours d’instruction, portant sur des courgettes en provenance d’Espagne, des champignons, des poivrons, des fraises et des framboises. « La production française de framboise est estimée à 3 000 tonnes », indique Franck Figuet, président de l’AVFF (Association pour la valorisation de la framboise française). « À notre avis, ces chiffres sont surévalués. Des framboises francisées rentrent dans les statistiques et faussent les données. » Il faut dire que l’écart de prix entre une framboise française et une marocaine ou une espagnole varie presque du simple au double, de quoi donner des idées à des aigrefins.
« Le consommateur, déçu, ne rachètera pas »
« La fraise est une production sans doute moins touchée par la francisation que d’autres car c’est un produit complexe, à durée de vie courte. Néanmoins, deux affaires sont en cours », souligne Xavier Mas, président de l’AOPn fraise de France. « Nous avons la chance d’avoir des variétés françaises identifiables comme la gariguette. Aussi, les fraudes portent plutôt sur les fraises rondes standard. Mais c’est une tromperie pour le consommateur qui a confiance dans l’origine France : il sera déçu et ne rachètera pas. » Cela revient à lui mettre dans la tête que le produit français est moins cher, indique Sébastien Héraud, le responsable de la section fruits et légumes à la Coordination rurale. Il estime que cette fraude à la francisation est à grande échelle. « Ce n’est pas le petit grossiste qui va franciser. Cela se passe au niveau des centrales d’achats. » Pour leur défense, les prévenus arguent le fait que, sous peine de ne pouvoir fournir la grande distribution, ils seront déréférencés, relate Fabien Gaucher.
« Certes, les GMS ne francisent pas mais elles reçoivent des produits francisés. Elle met une telle pression sur l’expéditeur que celui-ci se donne tous les moyens pour honorer les commandes en volume et en prix. Quitte à désaisonnaliser », ajoaute Sébastien Héraud. Et cette question de la présence sur les étals de produit hors saison, et d’autant plus, si leur prix paraît très bas, peut faire partie du faisceau de présomptions quant à une potentielle fraude. « La saison du kiwi démarre en novembre et s’achève fin mai. En 2017, les volumes à cette dernière période ne s’épuisaient pas et les prix étaient anormaux. D’où notre incompréhension et le signalement auprès de la DGCCRF », explique Marie-José Sanz.
Fixer un prix minimum d’entrée pour les produits importés
Les choses pourraient quelque peu changer, car la loi Climat et résilience, votée en août 2021, prévoit une obligation d’affichage de la saisonnalité des produits. « Nous sommes dans l’attente des décrets d’application », indique Fabien Gaucher. « Le fait de trouver, par exemple, des courgettes françaises alors que la saison n’a pas commencé pourrait ainsi constituer une indication. » Sans doute un premier pas salutaire dans la lutte contre la francisation. La Confédération paysanne va plus loin, en proposant un prix minimum d’entrée pour les produits importés. « Ce qui limiterait de fait l’intérêt pour les importateurs à franciser des produits », indique Jonathan Chabert, de la Commission fruits et légumes du syndicat. « Le prix minimum d’entrée serait défini comme le prix de revient moyen en France, soit le coût de production plus le revenu du producteur, le tout déterminé par les pouvoirs publics en fonction des données fournies par l’Observatoire des prix et des marges, les interprofessions et les instituts techniques. Ainsi, par exemple, un abricot espagnol n’aurait accès au marché français que si son prix est supérieur ou égal au prix minimum d’entrée. » Ce qui suppose le rétablissement d’une frontière physique et sans doute, pas mal de débats à la clé…
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Interfel veut instaurer des contrôles aux frontières
Interfel promeut l’origine France via la signature « Fruits et légumes de France » dont elle est la seule titulaire des droits de propriété intellectuelle. « Des investissements sont réalisés pour la développer et la faire rayonner. Donc toute fraude lui porte préjudice et, a fortiori, aux producteurs », indique Fabien Gaucher, responsable du service juridique d’Interfel. L’interprofession aimerait bien tester, sur une année, soit en 2023, la surveillance de ce logo aux entrées et sorties du territoire, la chose étant encore au stade de la réflexion. Sachant que les opérateurs qui utilisent ce logo doivent respecter un cahier des charges précis et que celui-ci ne se substitue pas à la réglementation sur l’indication de l’origine des produits pour les fruits et légumes frais. « Tous les opérateurs qui commercialisent des fruits et légumes d’origine France ne sont pas obligés d’utiliser ce logo. Dit autrement, ce n’est pas parce que ce logo ne figure pas sur les produits qu’ils ne sont pas français. Le contrôle douanier qui pourrait être mis en place ne permettrait donc pas de déceler toutes les pratiques de francisation. Néanmoins, cela nous permettrait de voir si le logo n’est pas utilisé de manière trompeuse », indique Fabien Gaucher.