La bio doit-elle se réinventer ?
La bio doit revenir à ses fondamentaux et mieux communiquer envers le consommateur. C’est ce qui ressort de la conférence « La Bio : comment se réinventer ? Conquérir sans se pervertir… » proposée à Medfel, le salon perpignanais dédié aux professionnels des fruits et légumes. Les intervenants ont en outre confirmé avoir observé une légère reprise du marché bio en magasins spécialisés.
La bio doit revenir à ses fondamentaux et mieux communiquer envers le consommateur. C’est ce qui ressort de la conférence « La Bio : comment se réinventer ? Conquérir sans se pervertir… » proposée à Medfel, le salon perpignanais dédié aux professionnels des fruits et légumes. Les intervenants ont en outre confirmé avoir observé une légère reprise du marché bio en magasins spécialisés.
« Alors que la consommation des produits bio stagne voire recule dans certains cas, les politiques européennes et nationales continuent à toujours promouvoir une agriculture biologique » : en une phrase, Dany La Noë, directeur du Civam Bio 66* et chargé de mission filière fruits et légumes pour Interbio Occitanie résume la problématique. Il n’omet pas de souligner les lourds investissements que les agriculteurs ont fait pour répondre à cette demande sociétale.
Les fruits et légumes n’échappent à la règle. Le marché bio des fruits et légumes était en léger repli en 2023 par rapport à 2022. La baisse est de 9 % en volume et 7 % en valeur. A noter que la consommation de fruits et légumes au global (bio et conventionnels confondus) a également été en baisse de 3 % en 2023.
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Parmi les causes de la baisse de la consommation du bio, le contexte inflationniste bien sûr qui induit une baisse de gamme dans les achats, le « dilemme entre la fin du mois et la fin du monde », comme le nomme Dany La Noë : entre son porte-monnaie et l’environnement, le consommateur doit souvent arbitrer.
Quelles solutions pour les producteurs bio ?
« Les aides de l’Etat peuvent aider mais ne sont pas à elles seules la solution à la structuration et la stabilité des filières bio et la juste rémunération des producteurs, insiste Dany La Noë. Les 90 millions d’euros annoncés par le gouvernement sont insuffisants au regard des 300 millions d’euros de pertes par an constatés pour les filières bio de manière générale en France ».
Comme d’autres producteurs de fruits ou légumes, Julien Seité, gérant principal de la ferme Ti Coz, qui produit des légumes bio à Saint-Pol-de-Léon dans le Finistère, reconnaît qu’il a dû, au début de la décroissance du bio, déclasser une partie de sa production vers le conventionnel, avant de se tourner vers des solutions alternatives tels que les magasins anti-gaspi ou la transformation. Des légumes comme par le panais ou la carotte par exemple sont vendus à des industriels qui « font de la soupe, du râpé ou du babyfood » qui valorise le bio.
En vente directe (la ferme Ti Coz vend une partie de sa production en vente directe) Julien Seité n’a pas senti de chute dans les ventes, au contraire, « nous avons toujours davantage de clients ». « Par chez nous, nous faisons beaucoup de sponsoring, poursuit le producteur de légumes bio. On explique ce qu’on fait et le bouche à oreille fonctionne ». La vente directe permet aussi de proposer des prix attractifs d’autant que la ferme Ti Coz propose une large gamme de légumes. Pas besoin d’acheter ailleurs pour fournir des clients qui ne se déplacent souvent pas que pour un seul produit.
HVE, Zéro résidu de pesticides… : « une concurrence pour le bio »
Les intervenants de la conférence « La Bio : comment se réinventer ? Conquérir sans se pervertir » de Medfel, ont aussi pointé du doigt la concurrence d’autres labels tels que les Zéro ou sans (résidu de) pesticides ou la HVE par exemple. « Les grosses coopératives qui ont mis ces démarches en place ont fortement communiqué dessus et ont réussi à bien les défendre, ce qui a fait quand même un peu de mal aux ventes bio », regrette Julien Seité.
Comment le bio peut (re)trouver sa place ?
Pour Christian Soler, président d'Interbio Occitanie, « c’est au secteur bio lui-même de trouver des solutions pour se faire entendre et comprendre du consommateur. Les autres labels font leur travail, le bio doit faire le sien ».
L’arboriculteur regrette que la filière bio n‘ait pas su se démarquer par rapport à ses concurrents. « Pendant des années, le bio a fait des croissances à deux chiffres, mais ses acteurs n’ont pas fait d’efforts de communication pour se démarquer un petit peu plus, des communications sur son règlement par exemple. Quand on est en bonne santé, il faut savoir prévenir l’avenir, anticiper ».
Même Bérengère Duchesne, directrice qualité d'Agricommerce, venue parler du label « Les Acteurs du vivant », une démarche d’agroécologie qui respecte les principes du vivant pour développer une agriculture plus durable, confirme : « Il y a une multitude de labels qui existe, et le consommateur peut, à un moment, être perdu ». Elle ne cache pas que c’est parfois « compliqué de faire arriver la communication auprès du consommateur final et de lui faire comprendre ce qu’il y a derrière une démarche pour qu’il sache exactement ce qu’il achète ».
A la question « est-ce que ce label supplémentaire (« Les Acteurs du vivant ») est une plus-value pour les produits bio ? », Bérengère Duchesne répond : « La plus-value initiale est d’abord pour la production, l’intérêt étant d’être dans une démarche gagnant-gagnant ». Le label « Les Acteurs du vivant » prévoit en effet un certain nombre d’indicateurs qui permettent d’attester que le producteur contribue à l’amélioration des pratiques culturales. Si elle est connue des distributeurs, la démarche « Les Acteurs du vivant » ne l’est pas vraiment du grand public. « Nos clients distributeurs ont la connaissance de la démarche. Après, le choix leur revient de communiquer dessus auprès du consommateur ou pas », conclut Bérengère Duchesne.
Communiquer sur le prix des produits bio
Dany La Noë confirme qu’il n’y a pas eu assez de communication sur ce qu’est un produit bio et comment on le produit. Il exhorte aussi à communiquer sur le différentiel de prix entre le bio et le conventionnel, écart qui selon lui s’estompe. « Avant on avait de gros différentiels de prix entre le produit bio et le conventionnel. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est d’autant plus vrai en matière de produits bruts, comme les fruits et légumes. Parfois même, on voit des produits bio en magasins spécialisés moins chers que leurs équivalents conventionnels en supermarché », affirme-t-il.
Pour Clément Aubert du CTIFL, au niveau de la distribution, il y a peut-être aussi des techniques marchandes à revoir pour donner du plaisir au consommateur. « Les étals et la place qui est accordée au bio en grande distribution ne font pas forcément rêver. C’est la même chose chez les spécialistes du bio. Les techniques marchandes sont souvent de moindre qualité », regrette-t-il.
« La distribution bio ne doit pas se battre sur le prix »
Rémy Frissant, cofondateur d’Amandera, avoue, pour sa part, être très déçu par ce qu’est devenue la distribution spécialisée bio. « Elle a été hyper innovante pendant 20 ans, elle a su se démarquer, elle a su mettre en avant la valeur nutritive des produits, la biodiversité, la protection des sols, la préservation de l’eau et je crois qu’elle s’est trompée de combat à partir du moment où elle a voulu mettre du surimi bio dans les rayons et à partir du moment où elle a voulu aussi se battre sur les prix ».
« Le résultat du modèle économique où l’on ne travaille que sur le prix impacte directement la dégradation de nos territoires, poursuit le dirigeant de la société d’amandes et noisettes bio. Si l’on n’est pas capable, à un moment donné, de valoriser le produit, de proposer autre chose qu’un produit transformé qui va coûter cher et qui ne va jamais rémunérer correctement le producteur, on va continuer à dégrader nos territoires et dégrader la situation de nos producteurs ».
Faut-il réintégrer l’offre bio avec le conventionnel en magasin ?
Julien Seité confirme qu’il a connu deux années difficiles en production. « Les prix ont baissé ces dernières années, cela s’est ressenti sur les résultats des entreprises, mais on a l’impression qu’il y a un peu de reprise ces derniers mois ». Pour lui, à force que les consommateurs entendent « notamment à travers les médias » que le bio est cher, ils ne se déplacent plus dans les rayons bio. Il dit avoir observer dans certains magasins qui mélangent les offres conventionnelles et bio, qu’ils généraient encore de la croissance alors que dans les magasins séparant les rayons bio et conventionnel, le bio était en perte de vitesse.
Un petit rebond des ventes en magasins bio spécialisés ?
Bérengère Duchesne confirme que selon l’implantation en magasin, on peut avoir des différences en termes de résultats. « Avec le déclin du bio, la grande distribution a eu, d’une manière générale, plutôt tendance à rationnaliser », ajoute-t-elle.
Dans les magasins spécialisés en bio, grands comme petits, Julien Seité, confirme qu’après un net recul des ventes ces dernières années, on observe une légère reprise. « On est optimistes », confie-t-il. Même constat pour Rémy Frissant au niveau des magasins spécialisés en bio, « on y retrouve un peu de croissance contrairement ce qui se passe en GMS ».
Retour aux sources ? Le rebond du bio passera donc peut-être par la distribution spécialisée à condition que celle-ci soit en capacité de communiquer envers le consommateur sur ce qu’est fondamentalement le bio, en quoi il répond aux urgences sociétales, et qu’elle apprenne aussi à mieux communiquer sur ce qui fait le juste prix d’un produit bio.
*Civam Bio 66 (Centre d'initiatives et de valorisation de l'agriculture biologique et du milieu rural) est une association de producteurs bio des Pyrénées-Orientales.