Espagne : « La surveillance renforcée dès l’arrivée des veaux fait partie des clés de la réussite »
Dans la région de l’Aragón, Enrique Catalan est spécialisé dans l’engraissement. Acheteur fidèle de veaux allaitants français, il se conforme à un protocole sanitaire et une conduite alimentaire rigoureux pour leur donner toutes les chances de performer sur la durée.
Dans la région de l’Aragón, Enrique Catalan est spécialisé dans l’engraissement. Acheteur fidèle de veaux allaitants français, il se conforme à un protocole sanitaire et une conduite alimentaire rigoureux pour leur donner toutes les chances de performer sur la durée.
Pour parvenir jusqu’à Sástago, dans la province de Saragosse, il faut franchir une partie du désert de Monegros. De grandes lignes droites tout d’abord dans une plaine où les pierres poussent plus vite que les blés, puis quelques virages dans les barrancos (ravins) pour rejoindre la vallée de l’Èbre et le village, perché dans un méandre du fleuve. Là, nous rencontrons Enrique Catalan, gérant de Boviterranea. L’exploitation familiale a connu des débuts modestes. En 1980, elle comptait 80 places d’engraissement pour des veaux venus du nord de l’Espagne, exportés ensuite vers l’Italie.
« Deux à trois ans après, nous nous sommes tournés vers la France où nous avons commencé à acheter des veaux limousins et charolais, pour servir le marché italien. Puis nous avons basculé sur la blonde d’Aquitaine pour ne plus faire que cela, avec des bovins que nous achetions à 150 ou 160 kg, toujours à destination de l’Italie pour une exportation en vif. » En 2000, la capacité passe déjà à 700 places d’engraissement. L’éleveur se fournit en veaux un peu plus lourds, autour de 200 kg, qui sont expédiés à 700 kg. « C’est en 2010 que nous avons un peu changé notre manière de faire, explique Enrique Catalan. L’exportation d’animaux vivants vers l’Italie devenait compliquée, en partie à cause des temps de transport très longs. Le marché demandait aussi moins de veaux blonds du fait de leur format un peu trop imposant, les carcasses étaient trop lourdes. Il fallait trouver une autre solution et s’adapter. »
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De l’export en vif à l’export de viande
La solution a été de se tourner vers la Grèce et d’expédier en carcasse. C’est ce schéma qui prévaut encore aujourd’hui chez Enrique Catalan. Ce dernier fournit 2 600 jeunes bovins par an. « 90 % des animaux sont abattus à Saragosse, entre 550 et 650 kg vif, et valorisés vers la Grèce, l’Italie et sur le marché intérieur. Les 10 % restants continuent de partir en vif, à 700 kg, vers les pays arabes », précise encore l’éleveur. Les neuf bâtiments, groupés sur un seul site, sont dans un méandre, non loin du flot de l’Èbre, paisible en ce mois de septembre. En tout, ce sont une cinquantaine de boxes qui sont abrités sous les toits, accueillant entre 25 et 35 animaux. Avec des surfaces importantes par box, entre 300 et plus de 400 m2 par box, selon l’ancienneté du bâtiment. « Les boxes sont toujours très propres, c’est important aussi pour ne pas avoir de problèmes sanitaires », fait remarquer Jean-Michel Labourdette, commissionnaire d’Alliance occitane (Lur Berri) pour l’Espagne qui nous a rejoints pour la matinée. « Et dans chaque box, il y a un couloir de contention qui permet de manipuler les animaux en toute sécurité. »
D’ailleurs, la connexion avec Alliance occitane, dirigée par Christian Cazenave à Ibos dans les Hautes-Pyrénées, est étroite. Chaque semaine, Enrique Catalan se rend à Ibos pour choisir les lots et il reçoit en retour la visite de Jean-Michel Labourdette également sur un rythme hebdomadaire. À leur arrivée, les jeunes pensionnaires font autour de 160 à 220 kg. Ils passent par une phase de quarantaine, le temps qu’ils récupèrent du voyage. Un antibiotique leur est administré pour limiter les risques de pathologies, et les vaccins sont faits contre la pasteurellose, IBR, RS-BVD.
Une maîtrise sanitaire pointue dès l’arrivée des lots
« Depuis que nous avons mis en place la vaccination RS-BVD intranasale, les performances se sont nettement améliorées », constate Jean-Michel Labourdette. Un vermifuge est également administré tout comme la projection de phéromones maternelles. « Nous suivons le même protocole quand les animaux partent à l’abattoir, explique le vétérinaire. La différence est visible. Les bovins sont plus calmes. » Pour Mario Enguita Lozano, vétérinaire d’Agroal (Alagón, Saragosse) qui suit l’élevage et formule l’aliment, la maîtrise sanitaire dès l’arrivée des veaux fait partie des clés de la réussite parce qu’elle conditionne la suite, le démarrage et les performances futures.
Et pour conserver les bénéfices de cette approche dans la durée, Enrique Catalan a opté pour le béton pour séparer complètement les boxes, plutôt que pour les barrières en acier galvanisé. Cela empêche ainsi tout contact physique entre les animaux. « Cette barrière physique limite la propagation d’une maladie d’un lot à un autre, précise le vétérinaire. La présence d’un box d’infirmerie permet par ailleurs l’isolement et le soin des veaux dès l’apparition des premiers symptômes. » Le tout est basé sur une surveillance quotidienne, Enrique Catalan ou ses deux salariés entre dans chacun des boxes tous les matins et tous les soirs pour faire lever et marcher les animaux et les observer. Suffisant pour restreindre la mortalité à 1,5 % lorsque la moyenne, en Espagne, approche les 2,5 % dans ce type d’atelier.
Une formule spécifique pour assurer un bon démarrage
Dans les auges sont distribués deux types d’aliments formulés par Mario Enguita Lozano. Il y a l’aliment qu’ils conserveront jusqu’à leur départ pour l’abattoir ou l’Italie. Au menu, « 70 % de maïs et d’orge, du soja, du son de blé, de l’huile, des compléments vitaminiques et du gluten », rapporte le spécialiste. Durant les premières semaines, pendant la quarantaine, les animaux reçoivent une formule de démarrage plus adaptée. « Le but de cet aliment est de mettre les veaux dans de bonnes conditions pour la suite, leur apprendre à manger. S’ils mangent bien, ils se montrent plus vigoureux et il y a moins de problèmes sanitaires dans les lots. La base de la ration est la même mais il y a proportionnellement moins de maïs, plus de fibres pour limiter le développement de diarrhées et l’enveloppe de la graine de caroube », ajoute-t-il.
Mais surtout les formules sont fixes et ne jonglent pas avec les cours des matières premières. C’est l’éleveur qui supporte le poids des variations, tout est fait pour préserver les performances des animaux. Même si parfois cela grince. « Avant la guerre en Ukraine, les tarifs se situaient à 237 euros la tonne. Depuis, ils se sont renchéris entre 350 et 450 euros », témoigne Enrique Catalan. En moyenne, les animaux consomment 8 kg d’aliment par jour pour un gain moyen quotidien compris entre 1,3 et 1,4 kg. Les bovins sont seulement pesés à mi-parcours, pour vérifier que tout va bien. L’aliment et la paille sont fournis à volonté. La mélangeuse passe chaque matin pour remplir les réservoirs des auges. « On s’arrange pour que les auges ne soient jamais vides. » Les bovins passent environ six mois dans son atelier. Une fois le cycle proche de son terme, Enrique Catalan entre dans les boxes pour choisir les animaux, un par un, en fonction des besoins, à raison de 50 à 60 animaux par semaine. Ce dernier ne procède pas en bandes comme dans d’autres systèmes.
Vous avez dit vaccins ?
S’il y a bien un sujet qui irrite de ce côté-ci des Pyrénées, c’est celui des vaccins. « Les éleveurs font pression sur le gouvernement aragonais pour faire évoluer la réglementation et imposer que les expéditions puissent être autorisées avec le seul PCR négatif jusqu’à l’âge de 6 mois, le même dispositif que pour les veaux de moins de 70 jours », explique Jean-Michel Labourdette. « Cela permettrait de supprimer cette zone, entre 70 jours et 4 mois, durant laquelle les veaux, qui pèsent entre 130 et 150 kg, sont trop jeunes pour être vaccinés. » Rebondissant sur la question, Enrique Catalan souhaiterait aussi que certaines vaccinations soient faites avant le départ des animaux, en particulier celles qui concernent les maladies respiratoires. « Si nous pouvions réaliser le vaccin contre le RS-BVD sur les vaches, les veaux seraient immunisés par le colostrum et tout le monde gagnerait du temps et de l’argent », estime-t-il.
Chiffres clés
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