Comment continuer à vendre ses vins aux États-Unis ?
L’entrée en vigueur de la surtaxe de 25 % sur les vins tranquilles exportés aux États-Unis a fait l’effet d’une bombe. Mais plusieurs experts continuent de considérer le marché américain comme un eldorado. Voici leurs conseils pour s’y faire une place.
L’entrée en vigueur de la surtaxe de 25 % sur les vins tranquilles exportés aux États-Unis a fait l’effet d’une bombe. Mais plusieurs experts continuent de considérer le marché américain comme un eldorado. Voici leurs conseils pour s’y faire une place.
Les chiffres dévoilés par FranceAgriMer ont de quoi susciter l’inquiétude : en novembre 2019, les ventes de vins tranquilles aux États-Unis ont reculé de 18 % en volume, et 32 % en valeur. « La notion d’épée de Damoclès n’a jamais été aussi bien illustrée », a commenté Sylvain Naulin, directeur général d’InterLoire, lors d’une conférence au Sival sur l’avenir des vins ligériens aux États-Unis. Mais tout le monde ne partage pas ce discours alarmiste, à commencer par Valérie Gérard Matsuura, directrice marketing vins et spiritueux chez Sopexa US. Selon l’experte, l’impact de la taxe Trump sera bien plus important sur la filière américaine que sur la filière européenne. « Les vins français sont des produits à forte valeur ajoutée, sur lesquels les marges sont élevées. Il est peu probable que les Américains décident de s’en priver », a-t-elle estimé. La surtaxe pourrait même avoir une issue positive pour un certain créneau de vins (voir encadré « comprendre »).
Un marché complexe adapté aux vins premium ou superpremium
Mais quiconque souhaite partir à l’assaut du marché américain doit d’abord en comprendre le fonctionnement. « Depuis la fin de la prohibition, le marché du vin aux États-Unis est régi par le système des trois tiers », a ainsi développé Valérie Gérard Matsuura. Concrètement, il est structuré en trois niveaux : l’importateur revend à un distributeur, aussi appelé grossiste, qui va à son tour revendre les vins aux détaillants (magasins spécialisés, restaurants, bars à vins…). « À cela s’ajoutent les règles imposées par chaque État, et parfois même des règles imposées à une échelle plus localisée », a indiqué l’experte. À noter que dans cette organisation, les grossistes constituent le maillon fort. « En 2018, les cinq premiers distributeurs ont réalisé 62,4 % des ventes », a relevé Valérie Gérard Matsuura. Pour avoir accès à cette impressionnante force de frappe, les efforts à concéder sont nombreux, et la patience est de rigueur. « Ne cherchez pas à vendre des vins entrée de gamme aux États-Unis, c’est trop d’efforts pour pas assez de retours », a averti Clément Boucher, responsable export de deux domaines ligériens.
Attirer les importateurs par du concret et de la disponibilité
Pour les primo-accédants, il s’agit donc d’abord de séduire les importateurs. « Ils reçoivent des milliers de sollicitations par jour. Pour un premier contact, mieux vaut participer à des salons sous pavillon collectif pour prendre le pouls et mutualiser les frais. Puis dans un second temps, demander des rendez-vous privés », a recommandé Clément Boucher. Et pour faire la différence, il ne faut pas lésiner sur les moyens. « L’idéal est de mettre en avant des données chiffrées sur le vignoble auquel on est rattaché, et surtout prévoir une carte pour y situer son domaine », a conseillé Isabelle Moreau, directrice export chez Orchidées Maisons de vin. Raconter son histoire, photos des vignes et du chai à l’appui et décorer son stand des pierres composant le sol de son domaine sont autant d’éléments susceptibles d’attirer l’attention des Américains. « Il faut du concret », a insisté Isabelle Moreau. Il est aussi primordial de bien avoir calculé les volumes que l’on veut et que l’on peut exporter. « Les importateurs sont des partenaires, ce sont eux qui nous représentent auprès des distributeurs. On ne peut pas leur vendre un volume la première année et leur dire l’année suivante que l’on n’a plus de vin pour eux », a souligné Isabelle Moreau. Attention, les volumes à destination du marché américain se comptent en caisses de 12 bouteilles. Last, but not least, il est nécessaire de parler anglais. « Cultivez toutefois un accent français, les Américains adorent ça », s’est amusée Isabelle Moreau. Une fois le partenariat conclu, il faut être prêt à entretenir la relation commerciale en se rendant disponible aux horaires des clients et en prévoyant quelques virées aux États-Unis. « Avec les Américains, c’est loin des yeux, loin du cœur et surtout loin du portefeuille », a imagé Isabelle Moreau qui estime passer au moins deux mois par an sur place.
Exporter aux États-Unis : les chiffres parlent d’eux-mêmes
Sur un marché aussi complexe, la taxe additionnelle est évidemment une épine supplémentaire dans le pied. Mais à y regarder de près, les débouchés restent bien plus importants qu’ailleurs. « On dit que pour un consommateur français perdu, il faut trouver sept consommateurs américains », a expliqué Sylvain Naulin. Ce ratio s’explique par la fidélité des Français à une marque ou un domaine, à l’inverse des Américains. Et à en croire les chiffres collectés par InterLoire, il ne semble pas impossible à atteindre. En dix ans, la consommation de vin aux États-Unis a augmenté de 14 %. « Les prévisions n’annoncent pas de ralentissement », a précisé Fanny Gauthier, responsable économie et études d’InterLoire. De son côté, l’agence Sopexa a évalué à 36 % la part des Américains qui consomment du vin, soit l’équivalent de 120 millions de personnes. « Le potentiel de croissance est énorme, notamment avec les millenials qui décomplexent totalement la consommation », a rapporté Valérie Gérard Matsuura. En 2019, la semaine précédant le superbowl, évènement sportif majeur aux USA, les ventes de vins dans le pays ont généré un chiffre d’affaires supplémentaire de 20 millions de dollars. Des sommes astronomiques comme seuls les États-Unis savent les faire.
comprendre
Comment réagir à la « Taxe Trump » ?
Les derniers échanges entre Emmanuel Macron et Donald Trump ont temporairement écarté la possibilité d’application de droits de douane additionnels de 100 % en réponse à la taxe sur les géants du numérique demandée par la France. Mais la clause de rétorsion de 25 %, en vigueur depuis le 18 octobre dernier, à déjà des conséquences sur les relations commerciales existantes. Face aux importateurs qui tentent de répercuter le surcoût sur l’ensemble de la chaîne, la position des professionnels français doit être ferme. « Il faut faire front commun et ne pas céder à la pression des importateurs, car la surtaxe est une opportunité pour tirer les prix vers le haut et améliorer le positionnement premium de nos vins », a affirmé Isabelle Moreau, directrice export chez Orchidées Maisons de vin. Céder quelques bouteilles gratuitement peut éventuellement permettre de maintenir de bonnes relations avec les partenaires, mais pas plus ! Quant à ceux qui seraient tentés de trafiquer le TAV sur les étiquettes pour passer outre la taxe, Isabelle Moreau met en garde : « Si la fraude est avérée, on passera tous pour des menteurs et c’est la pire chose qui puisse nous arriver. » Enfin, pour les primo-accédants, la surtaxe ne doit surtout pas être un frein. « Vous n’avez pas de repères et le consommateur final non plus. Fixez votre prix et les importateurs feront le nécessaire pour s’adapter », a jugé Maxime Alazard, coach export chez Team France.
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