Le travail au centre de la stratégie d'exploitation
Parce qu’il s’occupe seul de 180 chèvres avec transformation
et vente directe, Emmanuel Dousselin a mis le travail
au centre de sa stratégie d’exploitation.
«Dans la plupart des secteurs de l'économie, l'industrie, les services, on compte son temps, constate Emmanuel Dousselin. Mais en agriculture, le travail n'est pas comptabilisé, comme s'il n'était pas important.» En 1998, Emmanuel et Cathy Dousselin débutent avec 60 chèvres en transformation complète avec vente sur les marchés et dans un point de vente collectif. S'y ajoute bientôt la fabrication de gâteaux pour le magasin collectif. «Mais très vite le problème du temps de travail s'est posé. Avec 4 marchés par semaine, à raison de 6-7 h/marché, un jour et demi de présence au magasin et la vente à la ferme, la commercialisation prenait trop de temps.» La Colarena cherchant du lait de chèvre, le couple décide donc d'arrêter les gâteaux et d'augmenter le troupeau à 180 chèvres pour livrer la laiterie, tout en continuant à transformer une partie du lait. Fin 2002, des problèmes de santé amènent Cathy à cesser son travail sur l'exploitation. Emmanuel se retrouve seul avec un troupeau en augmentation, un bâtiment à construire, la transformation, les marchés, le point de vente collectif, la vente à la ferme...
Parce qu'il n'a plus le choix, l'éleveur revoit donc son organisation. En 2005, il arrête les marchés, le magasin collectif et la vente à la ferme et se tourne vers la Gms. Avec aujourd'hui 170 chèvres en production, il livre 75 000 l de lait à la Colarena et en transforme 45 000 l en fromages lactiques. «Le plus facile aurait été de tout livrer à la laiterie. Mais j'aime transformer, l'environnement de la fromagerie, l'indépendance que cela donne. De plus, je vends le lait transformé 1,5 €/l en Gms contre 0,5 €/l à la laiterie. Le temps passé en transformation est donc bien valorisé. Mais je ne le vends que 1,8 à 2 €/l sur les marchés, ce qui ne permet pas de rentabiliser la vente directe.» L'éleveur a aujourd'hui vingt clients, hypermarchés, supermarchés, supérettes, crémiers, restaurateurs et vend 2/3 de ses fromages en libre-service et frais pré-emballé. Il ne passe plus que 7-8 h/semaine à livrer, auxquelles s'ajoutent 2-3 h de prise de commandes et 4-5 h de préparation de commande. «De plus, la livraison permet de ne plus perdre de lait. Et les deux débouchés sont complémentaires. L'été je transforme une grosse partie du lait car les ventes augmentent avec le tourisme. Et je livre plus de lait en hiver, à une période où il est payé plus cher.» Pour garder ses clients, l'éleveur produit en effet du lait toute l'année, grâce aux éponges, avec deux lots de mise-bas en janvier-février et octobre-novembre.
Pour réduire le temps de travail, Emmanuel Dousselin a aussi adapté ses techniques. Une première modification a été le passage du pâturage et de l'ensilage d'herbe à la ration sèche. «Les chèvres reçoivent du foin de dactyle, luzerne ou dactyle-luzerne, un aliment du commerce et un correcteur azoté, plus le lactoserum issu de la fromagerie.» L'alimentation est apportée en trois repas : du fourrage le matin avant la traite, l'aliment après la traite, et le soir un repas de fourrage et aliment. La distribution du fourrage et de l'aliment, au seau, ne prend que 15 mn matin et soir.
Une autre évolution a été le passage à la monotraite. «Depuis octobre 2006, je ne traie plus que le matin. Cela me prend 2h30 au lieu de 1h 45 le matin et 1h 30 le soir auparavant.» Une première estimation en pleine lactation révèle une baisse de 12% de la quantité de lait. «Aujourd'hui, je pense en perdre un peu plus. Mais cela change la vie et permet de se consacrer à d'autres activités.» Au plan sanitaire, la monotraite n'a rien changé. «Les chèvres semblent seulement plus énervées à la traite.»
Le nouveau bâtiment a également été conçu pour limiter le temps de travail, avec cornadis, table d'alimentation, aires paillées bétonnées facilitant l'enlèvement du fumier... Enfin le travail a été pris en compte dans l'aménagement de la fromagerie : pièces sur un seul niveau, matériaux faciles à laver, équipements sur roulettes, lave vaisselle de collectivité à cycle rapide, trempage systématique du matériel à laver... «Tous ces changements m'ont permis de gagner beaucoup de temps, conclut Emmanuel Dousselin. Et en même temps, de développer mon activité.»
Un outil pratique pour compter son temps de travail«Les producteurs n'ont en général qu'une vague connaissance du temps qu'ils consacrent à chaque tâche» constate Emmanuel Dousselin. L'éleveur a donc imaginé une application informatique permettant de compter les temps de travaux, pour laquelle il a eu le 3ème prix du concours «Terre d'idées» organisé par Isagri. L'application repose sur un logiciel et sur le chronométrage des temps de travaux grâce à un pocket PC, outil que beaucoup d'agriculteurs possèdent déjà. Il suffirait ensuite de décharger les données sur un ordinateur pour connaître les temps consacrés à chaque tâche. «Cela permettrait de voir si tels activité, organisation, équipement sont intéressants, d'optimiser chaque tâche et d'intégrer le revenu horaire dans la marge. Des points de plus en plus importants avec l'agrandissement des structures, la diversification, l'emploi de salariés et qui serviraient aussi aux Cuma et entreprises de travaux agricoles.»