Installation en agriculture : un parcours devenu trop complexe et inadapté ?
Sur les 398 000 actuels, 200 000 chefs d’exploitation seront en âge de partir à la retraite d’ici 2030. Le défi du renouvellement des générations est partagé par tous, mais la manière d’y parvenir ne fait pas consensus. A l’image d’une agriculture qui se complexifie, les aides à l’installation sont multiples et l’offre, illisible. Elle répond davantage à des logiques particulières qu’à une vision d’ensemble de ce que doit être l’agriculture de demain, selon les sociologues François Purseigle et Cécile Gazo. Ils nourrissent le débat de cette table-ronde, aux côtés de Loïc Guitton, responsable des marchés agricoles à la Banque Populaire et Éric Quineau, directeur associé du cabinet Fiteco, membre d'AGIRAGRI, sous le regard d’Antoine Guillemet, agriculteur dans l’Allier.
Sur les 398 000 actuels, 200 000 chefs d’exploitation seront en âge de partir à la retraite d’ici 2030. Le défi du renouvellement des générations est partagé par tous, mais la manière d’y parvenir ne fait pas consensus. A l’image d’une agriculture qui se complexifie, les aides à l’installation sont multiples et l’offre, illisible. Elle répond davantage à des logiques particulières qu’à une vision d’ensemble de ce que doit être l’agriculture de demain, selon les sociologues François Purseigle et Cécile Gazo. Ils nourrissent le débat de cette table-ronde, aux côtés de Loïc Guitton, responsable des marchés agricoles à la Banque Populaire et Éric Quineau, directeur associé du cabinet Fiteco, membre d'AGIRAGRI, sous le regard d’Antoine Guillemet, agriculteur dans l’Allier.
Le modèle de l’exploitation familiale en crise
« Seuls 18% des exploitants français ont un conjoint qui exerce le même métier qu’eux » , enseigne François Purseigle en préambule. « Ce qui se joue aujourd'hui à travers la crise, c'est finalement la mise en fragilité de ces systèmes productifs de type familiaux, assure-t-il, l'exigence administrative normative est de plus en plus difficile à prendre en charge dans ces exploitations, au regard, notamment, de la difficulté à recourir à un travail qui ne peut plus être que familial ».
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Pour le sociologue, si les capitaux des entreprises sont majoritairement familiaux, l’exercice du métier l’est de moins en moins. Les exploitations de type familial-conjugal ont évolué : un couple qui s’installe le fait généralement dans deux structures distinctes, ce qui permet, en cas de séparation, de diviser les ateliers sans casser la structure globale. « Et en cas de crise, de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », ajoute François Purseigle. A l'avenir, « ces agricultures familiales vont relever de dispositifs collectifs d’une grande complexité, qu’il faut appréhender par-delà le modèle de l’agriculture conjugal ».
930 000 actifs non familiaux interviennent dans les exploitations : groupements d’employeurs, ETA, cuma, ce qui accrédite le constat d'« une recomposition du modèle de travail dans les fermes ».
Le constat d’une grande variété des modèles d’exploitation
Comme il en a fait le constat dans son ouvrage « Une agriculture sans agriculteur »*, le sociologue François Purseigle souligne la grande diversité des types d’exploitation : artisanal, commercial, à visée patrimoniale ou industrielle, et où coexistent « autant du travail familial que du travail salarié, ou encore délégué ».
Sur les 398 000 actuels, 200 000 chefs d’exploitation auront l’âge de partir à la retraite d’ici 2030, le phénomène est parallèle en Allemagne, avec une prévision de 100 000 chefs d’exploitation en place à l’horizon 2030. En revanche, l’emploi des salariés embauchés en direct par les agriculteurs reste stable, il est de 150 000, « on voit bien que ces salariés permanents ne compensent pas le nombre de départs ». Par ailleurs, 930 000 actifs non familiaux interviennent dans les exploitations : groupements d’employeurs, ETA, cuma, ce qui accrédite le constat d'« une recomposition du modèle de travail dans les fermes ».
C’est cette configuration morcelée qui rend difficile, selon lui, la construction d'une politique publique en faveur de l'installation, « parce qu’aujourd’hui, on a une telle diversité de schémas entrepreneuriaux que l’usage d’un seul outil permettant l’entrée au capital ou la restructuration foncière est de plus en plus difficile à actionner. »
Des nouveaux acteurs sur le marché de l’accompagnement
Cécile Gazo, sociologue également au sein de l’INP-ENSAT, autrice d’une thèse sur les nouveaux outils d’accompagnement à l’installation, liste les trois nouveaux acteurs de l’installation : les filières de production agricole qui accompagnent des installations dans le but de sécuriser leurs futurs approvisionnements ; les espaces-tests agricoles, à l’instar des couveuses, permettent à des projets de se tester sur une période de un à trois ans. Enfin, les entreprises à mission, avec un fonctionnement de type start-up comme Ferme en vie (Fève).
Le futur installé qui n’est pas issu du monde agricole est face à une complexité et une diversité d’acteurs qui est forte.
Les acteurs du monde agricole sont en concurrence sur l’installation
Par ailleurs, la sociologue relève deux grandes familles dans l’installation historique, celle d’un groupe autour des Jeunes Agriculteurs qui ont historiquement créé l’aide à l’installation dans les années soixante, avec les chambres d’agriculture et le syndicalisme majoritaire ; et un second groupe, proche de la Confédération paysanne. « Ces deux gros blocs s’opposent sur la question des modèles d’agriculture », résume Cécile Gazo. Dans ce contexte, le futur installé qui n’est pas issu du monde agricole, « est face à une complexité et une diversité d’acteurs qui est forte », d’autant plus que les nouveaux acteurs privés brouillent les pistes : « parfois, on a du mal à voir ce qui relève de l’action publique », ajoute Cécile Gazo, les instances publiques devenant des acteurs de l’accompagnement à l’installation comme les autres.
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En outre, la nouvelle DJA va territorialiser encore davantage ces aides. Historiquement, le dispositif était encadré au niveau national, les Régions ne définissaient pas leur propre politique. Depuis 2023, « on est entré dans une nouvelle ère », la mission a été déléguée aux Régions : « on va vers 13 politiques d’accompagnement différentes en matière de Dotation jeunes agriculteurs », note la sociologue, dans un contexte où l’aide européenne est passée de 80% de la dotation à 57%.
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Mieux connaître les exploitations à céder pour mieux transmettre
Pour les sociologues, la méconnaissance par les pouvoirs publics du profil des exploitations n’est pas en faveur des transmissions. François Purseigle souligne que celles-ci ne doivent pas seulement être vues comme le remplacement « un pour un » des exploitants. Citant l’exemple d’un maraîcher installé sur un demi-hectare, face à un éleveur sur une centaine d’hectares avec un troupeau allaitant, Cécile Gazo souligne qu'« on n’a pas de vue sur le volume, le type, la qualité de la production », quand on n'analyse pas ces données. Or, les acteurs économiques ont besoin de ces informations, avise François Purseigle, pour anticiper les évolutions de leur modèle.
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Le sujet de la rémunération ne doit plus être tabou
L’essentiel reste la viabilité de son projet
Loïc Guitton, responsable marchés agricoles à la Banque Populaire, plaide le pragmatisme : quoiqu'il en soit, « un chef d’entreprise doit vivre de son entreprise. Il doit connaître son projet et passer du temps à faire des hypothèses de scénarios bas, anticiper ». La viabilité économique est essentielle, selon lui, pour lancer un projet. « C’est un devoir collectif de simplifier l’installation, mais aussi d’amener les jeunes à réfléchir à leur projet pour qu’ils en soient maîtres et qu’ils aient réfléchi à leur revenu avant de se lancer. » Il note que le temps de travail en agriculture et notamment, dans les types de structures familiales, n’est pas toujours comptabilisé, et que le sujet de la rémunération ne doit plus être tabou.
Mettre ses objectifs en face de ses prévisions
« Dans un projet d’entreprise, rebondit Éric Quineau, directeur associé du cabinet Fiteco, des porteurs de projets, on regarde la valeur économique, le foncier étant réglé à part ». Quatre aspects sont scrutés à la loupe : le niveau de vie souhaité de l’exploitant, les impôts, les annuités d’emprunt et la constitution de la trésorerie, ce qui permet d’évaluer un objectif. La deuxième étape consiste à partir du modèle que le porteur de projet veut mettre en place pour calculer l’EBE prévu. Au final, les deux résultats sont censés coïncider.
Trois conseils à un porteur de projet
« Reprendre une exploitation est un projet de long terme», admet Loïc Guitton qui invite le porteur de projet à faire le tour des établissements bancaires, « rencontrez-les au moins tous ». Deuxième conseil : garder une somme de côté dédiée à une étude par un conseiller sur la viabilité de son exploitation tous les cinq ans. « Il s'agit de prendre du recul sur votre exploitation, ce n'est jamais perdu, même si tout va bien». Enfin, troisième conseil : « dès l'installation, réfléchissez au futur et à la façon dont vous allez transmettre, pour chaque investissement stratégique que vous faites, foncier, production d'énergie, etc ». Une posture qui permet, « même si elle évolue tout au long de la vie », « pour maîtriser les choix qui seront faits ».
*écrit avec Bertrand Hervieu, Presses de Sciences Po, 2022.
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