Cinq pistes pour une alimentation des chèvres plus autonome
Le projet occitan Cap & Go redonne des pistes pour améliorer l’autonomie alimentaire des exploitations caprines. Cinq préconisations techniques et témoignages d’éleveurs.
Le projet occitan Cap & Go redonne des pistes pour améliorer l’autonomie alimentaire des exploitations caprines. Cinq préconisations techniques et témoignages d’éleveurs.
1 – Produire un fourrage équilibré en mélangeant graminées et légumineuses
En ne distribuant qu’un seul fourrage équilibré en énergie et en azote, on peut diminuer la part de concentré. Pour des chèvres en pleine lactation, un fourrage équilibré idéal affiche 0,85 à 0,95 UFL/kg MS (matière sèche) et 100 à 110 PDI/kg MS (protéines digestibles dans l’intestin). Même si très peu de fourrages atteignent ces valeurs recommandées, on peut s’en approcher en mélangeant les graminées, qui apportent surtout de l’énergie, et les légumineuses, davantage de l’azote. Dans les prairies multiespèces, on raisonne le choix des semences en fonction de leur évolution dans le temps. On cherchera aussi à récolter au stade optimum, c’est-à-dire au début de l’épiaison des graminées.
Pour les méteils fourragers, il faut raisonner la dose de chaque espèce (avoine, vesce, pois…) afin de laisser les légumineuses s’implanter. Il faut également veiller à ce que la légumineuse ou la graminée ne domine pas au cours du développement du méteil. On va ainsi rechercher des espèces adaptées au type de sol (humidité hivernale), une proportion d’espèces « tuteurs » suffisante pour supporter le pois et la vesce et une teneur minimale en matière azotée totale (MAT) avec deux espèces de légumineuses représentant 45 à 50 % du poids de semences. Pour les méteils fourragers, le stade optimum de récolte est le stade du gonflement de la céréale et du début de floraison de la légumineuse.
Benoît Cournède, éleveur à Salvagnac Cajarc (Aveyron) en AOP Rocamadour s’y retrouve avec les méteils à double vocation. Sur ces terres où la luzerne pousse bien, l’éleveur est plutôt à chercher des fourrages riches en énergie. « Si la météo bascule sur un temps sec, on peut faucher les méteils soit en affouragement en vert soit en foin séché au sol. Au contraire, si le temps est favorable, on peut les mener jusqu’à la moisson mi-juillet. »
2 – Des fourrages annuels résistants à la sécheresse
Le contexte climatique de réchauffement et d’aléas climatiques plus fréquents perturbe la pérennité et la productivité des prairies. Pour s’y adapter, on peut chercher à faire le maximum de stocks fourragers en dehors des périodes à fort risque de sécheresse : méteils fourragers, prairies à base d’espèces précoces. On peut aussi semer des prairies avec des espèces capables de pousser en conditions très chaudes et sèches : fétuque élevée et dactyle pour les graminées, luzerne, lotier et sainfoin pour les légumineuses, ainsi que d’autres espèces comme la chicorée et le plantain fourrager (pour la pâture). Cela permet de sécuriser le fourrage récolté en deuxième ou troisième coupe, et de prolonger la pâture en fin de printemps et en été.
En complément, il peut être intéressant de semer des fourrages annuels résistants à la sécheresse, notamment pour pouvoir continuer d’offrir une ressource à pâturer en été et début d’automne quand les prairies ne suffisent plus, par exemple si la surface est limitée. Parmi les espèces annuelles proposées sur le marché, les plus résistantes à la sécheresse et capables de pousser en conditions très chaudes sont les sorghos fourragers, le millet perlé, le moha fourrager et le teff grass.
Dans l’Hérault, Sylvie Bisognin cultive du sorgho pour le pâturage de ses 60 chèvres. Cette dérobée estivale, implantée au mois de mai après une prairie ou un méteil, est pâturée au fil pour une meilleure valorisation : bien géré les bonnes années, le pâturage est possible deux fois. Dans ce contexte méditerranéen, le sorgho est, avec ses luzernes, une des seules ressources pâturables à sa disposition en été.
3 – Un bon fourrage à pâturer
Le pâturage reste la récolte la moins coûteuse. Du temps de travail est économisé sur la récolte et sur l’épandage des effluents. L’objectif du pâturage est d’aller chercher de l’herbe au stade feuillu, pour maximiser la qualité de l’herbe. Pour Aude Sénégas du GAEC de la Carlarié à Albine (Tarn), « un bon fourrage pour la pâture, c’est un fourrage que les chèvres ont envie de manger, qui les fasse faire du lait et qui résiste à la chaleur. Pour ça, la luzerne, c’est fantastique ! Un bon planning de rotation permet d’anticiper les parcelles à garder pour la pâture et celles à laisser à la fauche. En cours de saison, c’est important de l’ajuster en fonction des hauteurs d’herbe afin d’avoir des quantités suffisantes. Il faut aussi être vigilant au parasitisme quand on a des chèvres. »
4 – Des fourrages bien fibreux pour faire ruminer
Garantir l’apport de fibres dans la ration permet de faire ruminer les animaux. La fibre peut être chimique ou physique/mécanique. La fibrosité physique s’apprécie visuellement et au toucher, par la longueur des fibres et un fourrage qui pique, qui gratte. Un foin de prairie multiespèce, un foin de méteil immature, un foin de luzerne sont des exemples de fourrage fibreux.
Pour avoir un fourrage fibreux, on peut jouer sur le stade de récolte (pas trop tôt) et sur le choix des espèces. Dans une prairie de mélange, les espèces sont choisies en fonction de leur appétence (trèfle violet, sainfoin, luzerne, lotier) et de leur teneur en fibres (ray-grass, fétuque élevée, brome). Il y a aussi la possibilité de se tourner vers un méteil fourrager : avoine, vesce, pois fourrager. La culture du méteil dans un assolement a l’avantage de pouvoir se pâturer, se récolter en vert, en immature ou en grains et paille.
Matthieu Bergougnoux du GAEC du domaine de Mordesson, à Rignac dans le Lot, explique comment il a fait évoluer son système fourrager qui était composé essentiellement de prairies naturelles. « Il fallait produire plus de protéines et, surtout, des fibres de qualité. Nous avons introduit de la luzerne pour la protéine et de l’avoine fauchée pour la fibre. Progressivement, nous avons commencé à faire des méteils avoine-vesce que nous récoltons tôt, juste avant épiaison, puis des mélanges prairiaux multiespèces contenant des graminées et légumineuses. En bio sur les terres, nous ne semons plus aucune prairie sans légumineuses, cela représente un budget semences, mais nous nous y retrouvons. En 2018, la qualité des fourrages a été telle que nous avons pu nourrir les chèvres pendant sept mois sans correcteur azoté. »
5 – Des ressources riches en azote avec le méteil grain et les fourrages
Disposer de ressources riches en azote sur son exploitation permet de diminuer les dépendances technique et économique aux achats extérieurs, que ce soient des aliments ou des engrais. Avec une matière azotée totale dépassant 14 %, un aliment, fourrage ou concentrés sont considérés comme riche en azote. Cependant, ce n’est pas le seul critère, car il faut aussi considérer le taux de protéines digestibles dans l’intestin.
Un méteil grain est un mélange de céréales et de protéagineux cultivés ensemble et récoltés en graines. C’est ce qu’ont mis en place Marion Quenton et Lucas Honnoré, éleveurs à Cadalen dans le Tarn : « Notre objectif était de remplacer une partie des concentrés achetés par une production maison comparable, afin de diminuer le coût de la ration. Nous avons mis en place un méteil grain à base d’orge, petit épeautre, avoine, pois fourrager et vesce. On a obtenu des valeurs de MAT de 11 à 20 %, selon les années. Cela nous a permis de modifier les rations en bâtiment et de passer de 950 g par chèvre et par jour de “complet chèvre laitière” à 750 g-600 g selon les années et les valeurs du méteil récolté. »
Côté fourrage, on trouve de l’azote dans la plante verte (au stade feuillu), quand son ratio feuilles-tiges est au plus haut. La valeur azotée diminue lorsque la plante approche de l’épiaison ou de la floraison, par dilution. Introduire des légumineuses, riches en protéines, permet de compenser cette baisse de la valeur azotée dans le temps. Ainsi, dans le choix d’une prairie multiespèce, on aura l’objectif d’atteindre au minimum 25-30 % de légumineuses au moment de la récolte.