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Cash Investigation : « une émission truffée d’erreurs qui n’explique pas à quoi sert la Pac »

Avant la diffusion de Cash Investigation sur la Pac, présentée par Elise Lucet, l’agroéconomiste indépendant Jean-Marie Séronie décrypte l’émission.

  Jean-Marie Séronie, agroéconomiste indépendant et membre de l’Académie de l’agriculture.
Jean-Marie Séronie, agroéconomiste indépendant et membre de l’Académie de l’agriculture.

[Mis à jour le 25 juin 2022 avec un droit de réponse]

Selon vous, l’émission Cash Investigation que vous avez pu visionner sur le site de France Télévision donne-t-elle au grand public une image biaisée de la Politique agricole commune (Pac) et son utilité ? Pourquoi ?

Jean-Marie Séronie : Oui, elle donne une image complètement erronée de la Pac. Puisqu’elle ne s’intéresse qu’aux questions de budget et de manière fausse sans prendre de recul. L’émission n’explique pas à quoi sert la Pac et est truffée d’erreurs et ça c’est grave !

Par exemple quand ils expliquent qu’il n’y a pas d’agriculteurs dans les cinquante premiers mais c’est absolument faux ! Le Cerafel n’est pas une industrie agroalimentaire, c’est un groupement d’agriculteurs (une association d’organisations de producteurs pour être plus précis, ndlr). C’est grave de ne pas avoir vérifié cela. Les journalistes de l’émission devraient savoir que sur les légumes historiquement il n’y avait pas d’aides Pac. Puis ont été créés les programmes opérationnels (projets d’entreprises établis sur 3 à 5 ans, ndlr) portés par les organisations de producteurs. Ces programmes sont au profit des agriculteurs. De même dans le Champagne, attaqué par l’émission Cash Investigation.

Dans la Pac, il y a aussi des soutiens à la promotion des produits, oublie de dire l’émission.

Quant aux trois premiers bénéficiaires de la Pac cités, l’ordre annoncé est faux, ils ont notamment oublié de citer l’interprofession laitière (Cniel). L’émission donne la parole à une jeune femme (Aurélie Catallo, coordinatrice de la plateforme Pour une autre Pac) qui cautionne les bêtises dites sur les bénéficiaires de la Pac, c’est incroyable !

Sur la question de la biodiversité, la chercheuse de l’Inrae (Clelia Sirami, ndrl) se fait instrumentalisée. De même, Benoît Biteau, agriculteur et député européen, s’est fait piéger.

Autre exemple, à un moment donné on entend que les aides Pac représentent 70% du chiffre d’affaires d’une exploitation. Or selon les études, les aides représentent en moyenne 12 à 13% du chiffre d’affaires d’un agriculteur.

Le résumé « plus t’es gros plus tu touches » pour les aides Pac reflète-t-il la réalité ?

Cash Investigation parle de 80% des aides touchées par 20% de bénéficiaires. La logique est au fond celle-là. Mais l’émission oublie de dire que les aides directes mises en place en 1992 visaient à faire baisser les prix des produits de 35%. Comme on ne pouvait pas calculer la baisse de chiffre d’affaires pour chaque agriculteur, les aides ont été calculées à l’hectare (avec un rendement moyen par région). Et elles n’ont compensé qu’une partie de la baisse des prix. Cela a été très mal vécu par le monde agricole. Aujourd’hui la répartition des aides Pac hérite encore de cette histoire.

L’émission oublie de dire que les aides directes visaient à baisser les prix des aliments

Pour autant c’est une vraie question : la Pac doit-elle continuer à subventionner les produits ou plutôt les emplois ?

Dire que le verdissement des aides Pac appliqué depuis 2015 a été du greenwashing est-ce selon vous exagéré ?

Comme pour la surface des exploitations, Cash Investigation pose très mal une vraie question, et de manière uniquement liée au budget. Il est clair que le verdissement de la Pac, engagé en 2015, ne va pas assez loin mais dire que ce verdissement s’accompagnait d’une enveloppe de 2 milliards d’euros supplémentaires est faux. Lors de la précédente réforme de la Pac, a plutôt été décidé de conditionner une partie de l’enveloppe de la Pac à des pratiques environnementales. Après il est vrai que tout a été fait pour que le maximum d’agriculteurs touche ces aides.

Cash Investigation pose très mal une vraie question

Pour moi, la vraie question devrait être : doit-on continuer à soutenir le revenu de l’agriculteur sur l’existant ou doit-on se servir des fonds de la Pac pour accompagner la transition agroécologique ? Quand Cash Investigation dit que le verdissement ne va pas assez loin, l’émission a raison mais elle n’explique pas les enjeux.

Quid de la fraude mise en avant dans l’émission ?

Pour moi, il ne s’agit pas d’un problème lié à la Pac, mais plutôt des dérives du modèle corse qui sont hyper connues. Quant au milliardaire tchèque, cela n’a rien à voir avec le système de la Pac, cela donne un visage faussé de la Politique agricole commune.

La mise en scène est scandaleuse et méprisante

Que pensez-vous de la mise en scène du départ ?

La mise en scène est scandaleuse et méprisante pour le monde agricole. Le jeu du gâteau pour représenter la Pac est aussi désobligeant, c’est intolérable.

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