Beef Carbon
Une évaluation environnementale multicritère
Un an après son lancement officiel, la filière viande fait le point sur son plan d’actions visant à réduire son empreinte carbone de 15 % d’ici dix ans. Julien Boulet est l’un des premiers éleveurs à avoir réalisé une évaluation de son empreinte carbone sur son exploitation.
Un an après son lancement officiel, la filière viande fait le point sur son plan d’actions visant à réduire son empreinte carbone de 15 % d’ici dix ans. Julien Boulet est l’un des premiers éleveurs à avoir réalisé une évaluation de son empreinte carbone sur son exploitation.
« L’environnement, j’en entends beaucoup parler ! D’autant plus que je commercialise une majorité de ma production en vente directe », commence Julien Boulet, éleveur à Saint-M’Hervé en Ille-et-Vilaine, avant de poursuivre, « j’ai tout de suite accepté d’intégrer le projet Life Beef Carbon lorsque mon conseiller me l’a proposé. Connaître mon niveau d’un point de vue environnemental m’apparaissait comme un plus pour la vente directe, notamment face à une clientèle de non avertis (vente aux particuliers sur Paris, Vitré, Rennes...). »
Ce programme, lancé officiellement au Sommet de l’élevage 2015, représente le plan d’actions de la filière viande visant à réduire de 15 % son empreinte carbone, d’ici dix ans, tout en restant en cohérence avec les autres indicateurs environnementaux (qualité de l’eau,de l’air, biodiversité) mais aussi économiques et sociaux. Ce projet a pour ambition d’être multicritère. Piloté par l’Institut de l’élevage et Interbev, en collaboration avec les chambres d’agriculture, France contrôle élevage et Coop de France, ce dispositif, d’une durée de cinq ans, implique quatre pays producteurs de viande bovine, la France, l’Italie, l’Irlande et l’Espagne, soit 32 % de la production de viande européenne. L’idée est d’obtenir un observatoire national et européen. Six régions françaises représentatives de l’élevage bovin viande sont impliquées.
Une solution collective pour des fermes allaitantes bas carbone
« Beef Carbon représente une solution collective apportée par la filière face à cet enjeu climatique, grâce au déploiement d’un réseau de 57 partenaires. Ce programme permettra d’objectiver les pratiques et d’étudier concrètement des voies d’améliorations. Pour se faire, 2 000 fermes de démonstration, dont 1 680 françaises et 170 fermes innovantes, dont 125 françaises, seront auditées à l’aide d’un outil d’appui technique multicritère, nommé CAP’2ER (voir encadré). Les recrutements des fermes et les audits seront effectués par les partenaires du projet. Cet outil permettra à l’éleveur de se positionner, de simuler l’effet de nouvelles pratiques et d’évaluer ses contributions positives (stockage carbone, performance nourricière…) », explique Josselin Andurand, responsable du projet Beef Carbon.
« Sur l’exploitation, nous avons réalisé un diagnostic de niveau 1. Rentrer l’ensemble des critères nous a pris une heure et demie. Le plus gros poste concerne les données du troupeau. J’ai été très surpris, à la vue des résultats, de l’impact conséquent des fermentations entériques (52 %) et des effluents (26 %) dans la contribution aux émissions. Les animaux représentent ainsi une part importante des émissions de gaz à effet de serre (GES). Par contre je savais, en rentrant les données, que la fertilisation des cultures allait faire augmenter mon empreinte carbone. En effet, en 2015, année de mon installation, j’ai voulu assurer les stocks en poussant la fertilisation minérale, ce que je ne reproduirai pas à l’avenir. J’ai été également étonné par la compensation carbone permise par les haies. Je ne pensais pas en avoir autant. Au final, mon empreinte nette est de 15,1 kg equivalent CO2 par kilo de viande vive », poursuit Julien Boulet. Cette empreinte reste faible si on la compare aux cas types naisseurs-engraisseurs de bœufs situés à 17 kg eq. CO2/kg vv.
Des améliorations techniques, économiques et environnementales
Avant de réaliser ce diagnostic, différentes améliorations du système avaient été prévues sur l’exploitation de l’éleveur. La première concernait l’implantation de 1,3 kilomètre linéaire de haies (soit 10 % de plus que la surface actuelle), la seconde, la réduction de l’utilisation d’engrais chimiques grâce à l’apport de 1 200 unités de lisier de porc (récupéré chez un éleveur voisin) et la troisième visait, la diminution de l’âge au premier vêlage passant de 33 à 30 mois, afin de passer en deux périodes de vêlages et de lisser ainsi les ventes. L’implantation des haies est liée au choix de l’éleveur de mettre en place un système de chauffage au bois déchiqueté, dans sa maison d’habitation.
Ces changements, sans être contraignants pour l’exploitant présentent le double avantage d’apporter des améliorations au système actuel (technico-économique) et d’améliorer le bilan carbone de l’exploitation qui passerait à 13,5 kg eq. CO2/kg vv. « Trois exemples de réduction des émissions de GES illustrant parfaitement des leviers surfaces (fertilisation), des leviers troupeaux (reproduction) et des leviers de stockage carbone (haies). Il existe toute une palette de leviers pour limiter l’empreinte carbone de la viande, les uns permettant une baisse des émissions (gestion du troupeau, alimentation, gestion des déjections bâtiments et pâturages, gestion des cultures et de l’azote, consommation de fioul et d’électricité, dépendance aux intrants), les autres agissant en faveur du stockage de carbone. Les conséquences de la mise en place de ces actions doivent bien entendu être évaluées à l’échelle de l’exploitation dont il ne faut pas dégrader la situation. Ces leviers sont classés en trois catégories, économique (financièrement rentable), intermédiaire (coût inférieur à 25 € par tonne de CO2 évitée) et coûteux (coût supérieur à 25 € par tonne de CO2 évitée) », observe Josselin Andurand.
Des comparaisons entre pays
Les consommations d’énergie de l’exploitation restent plutôt basses, conséquence d’un parcellaire peu morcelé et d’un nombre réduit d’hectares de cultures. « L’amélioration des pratiques et l’efficience technique constituent un point clé dans la réduction des émissions, sans changement radical des systèmes de production », souligne le chef de projet. La séquestration du carbone associée à l’activité d’élevage, principalement herbivore permet de compenser une part importante des émissions. Sur l’exploitation de Julien Boulet, cette compensation s’élève à 20 % des émissions de GES. « Pour l’instant, les comparaisons à systèmes équivalents (naisseurs entre eux, engraisseurs de jeunes bovins entre eux…) se feront avec les cas type des réseaux d’élevage, l’ensemble des diagnostics devant être effectué entre l’automne 2017 et fin 2018. Avant cela, il faut former les conseillers à l’outil de diagnostics et recruter fermes de démonstrations et fermes innovantes. Une fois réalisés, les résultats pourront permettre des comparaisons (entre race, avec des exploitations étrangères…). L’Italie a également opté pour l’outil CAP’2ER. L’outil irlandais est lui relativement proche du nôtre. Quant à l’Espagne, elle est encore en train de développer le sien et essaie de se caler au mieux », précise Josselin Andurand. Pour les fermes de démonstrations, un second diagnostic en fin de projet est prévu.
Ce travail permet d’avoir une idée de l’empreinte carbone du bœuf dans son assiette. Les fermes innovantes seront suivies chaque année. Des portes ouvertes y seront organisées. « La ferme de Julien Boulet devrait faire partie des fermes innovantes. « Ces exploitations sont choisies pour la motivation des agriculteurs et pour leur représentativité de la ferme française. Ce sont par ailleurs des exploitations où des évolutions sont possibles. Des échanges seront ensuite effectués entre les pays partenaires. Dans les fermes innovantes, les pratiques carbone identifiées seront mises en place, ce qui permettra de voir comment le curseur carbone évolue et d’évaluer les difficultés rencontrées par les éleveurs », conclut Josselin Andurand.
Ce projet est financé par la Commission européenne et le ministère de l’Agriculture, par le biais d’un Casdar.(Pour en savoir plus, voir RBV n° 231 de novembre 2015)Beef carbon a été distingué par les Nations unies en obtenant le label officiel LPAA (plan d’Actions Paris-Lima). À ce titre, le projet a été présenté à la COOP 22, à Marrakech. Il a également été reconnu par le ministère de l’Écologie pour le label COP 21 pour sa portée ambitieuse et sa rigueur scientifique.
CAP’2ER pour évaluer son empreinte environnementale
Le calcul automatisé des performances environnementales en élevages de ruminants ou CAP’2ER, est un outil d’évaluation environnementale et d’appui technique, créé par l’Institut de l’élevage. Développé en lait, un travail a été réalisé pour l’adapter à la production de viande.
L’outil intègre à la fois les impacts directs liés à la conduite du troupeau (émissions du bâtiment, présence de haies…) et les impacts indirects, générés par l’utilisation d’intrants (fioul, électricité, aliments, engrais achetés…).
Avec ce système, l’élevage dispose de chiffres sur la performance nourricière de son exploitation, sur sa contribution au maintien de la biodiversité, sur le stockage de carbone permis…
L’outil comprend deux niveaux de diagnostic. Le premier dit de niveau 1 est simple et rapide. Il a surtout pour vocation de positionner l’exploitation par rapport à des références et d’identifier les postes responsables d’émissions de GES. Le diagnostic de niveau 2 est plus complet. Il offre une analyse multicritères (GES, qualité de l’eau/air, biodiversité…), permet d’établir la relation entre pratiques d’élevage et impacts sur l’environnement, de quantifier les gains environnementaux et de faire le lien avec l’économie et les conditions de travail.
Produire une viande française répondant aux attentes sociétales
« Face à un questionnement de plus en plus pressant de la société sur la nutrition, l’environnement et le bien-être animal, Interbev a créé en 2015 la commission enjeux sociétaux. L’objectif est d’avoir un traitement plus transversal de ces sujets avec une vision amont/aval de la filière, pour mettre en avant les atouts de l’élevage herbivore auprès du grand public », explique Bruno Dufayet, éleveur de Salers dans le Cantal et président de la commission enjeux sociétaux. Cette commission est structurée en trois groupes de travail : le premier, environnement, présidé par Bruno Dufayet, le second, bien-être animal, représenté par Michel Peudenier, négociant en bestiaux et le dernier, nutrition et alimentation, avec Bernard Collin, directeur qualité en industrie d’abattage et de transformation.
De nombreuses pistes de travail
Le programme Life Beef Carbon constitue une des pistes collectives de travail de la commission. Une meilleure quantification et reconnaissance du stockage de carbone et des services rendus par la filière viande sur les territoires, la participation aux réflexions nationales et européennes sur une stratégie bien-être animal avec des réflexions sur la mise en place d’indicateurs sur ce sujet, tout au long de la filière, la poursuite des travaux sur les valeurs nutritionnelles des différents morceaux et différentes espèces, la lutte contre le gaspillage alimentaire… sont autant d’autres pistes. « Par ce travail, notre volonté est de donner une image cohérente et plus transparence auprès du grand public pour qu’il continue de consommer de la viande, mais aussi d’anticiper les nouvelles réglementations, tout en étant force de propositions. »