Méthane : Des additifs à l’étude pour réduire les émissions des bovins
De nombreux travaux sont menés pour réduire la production de méthane des vaches par l’alimentation. Plusieurs additifs sont notamment à l’étude, dont certains très prometteurs.
De nombreux travaux sont menés pour réduire la production de méthane des vaches par l’alimentation. Plusieurs additifs sont notamment à l’étude, dont certains très prometteurs.
La fermentation ruminale des glucides s’accompagne systématiquement de production de méthane, qui est éliminé par éructation et part dans l’atmosphère. « 6 % de l’énergie ingérée est ainsi perdue, note Francis Enjalbert, de l’école nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT). Et surtout, le méthane émis par les ruminants représente plus de 40 % des émissions de gaz à effet de serre des élevages. » Au-delà d’un changement de conduite, plusieurs stratégies sont donc étudiées pour réduire la production de méthane par l’alimentation.
En pratique, la fermentation des glucides dans le rumen aboutit à trois principaux acides gras volatils, acétique (C2), propionique (C3) et butyrique (C4). La production de C2 et C4 se traduit par une production nette de gaz carbonique (CO2) et d’hydrogène (H2), alors que la production de C3 consomme de l’hydrogène. En conditions habituelles, la production d’hydrogène est très supérieure à sa consommation, si bien qu’il y a une production nette de CO2 et d’H2 que des microorganismes spécialisés, les archées, qualifiés de « méthanogènes », combinent pour produire du méthane.
Efficacité du 3-NOP
Une piste pour limiter l’émission de méthane consiste à concurrencer les méthanogènes. « D’autres voies biochimiques que la méthanogénèse peuvent fixer l’hydrogène produit dans le rumen, explique Francis Enjalbert. Des accepteurs d’hydrogène, appelés 'puits à hydrogène', peuvent être ajoutés à la ration pour limiter la disponibilité en hydrogène pour les archées. » Les plus étudiés sont les nitrates, ainsi réduits en nitrites puis en ammoniac. « En moyenne, l’ajout de 1 % de nitrates dans la ration réduit la production de méthane de 7 %, avec un effet qui persiste dans le temps », indique le vétérinaire. Sur le plan réglementaire, cette utilisation est possible. Les essais montrent aussi que l’apport progressif de nitrates est bien toléré par les ruminants et ne conduit pas à une intoxication par les nitrites. « Il y a toutefois la question de l’acceptabilité sociétale des nitrates », note Francis Enjalbert.
Autre solution : inhiber la méthanogénèse par l’ajout d’inhibiteurs chimiques des archées. Une piste efficace est le 3-NOP (3-nitrooxypropanol), qui bloque une enzyme intervenant dans la synthèse du méthane. Un additif à base de 3-NOP (Bovaer®) a été autorisé en 2022 pour les vaches laitières et allaitantes. « La réduction du méthane est en moyenne de 35 % pour un apport de 60 mg/kg MS », rapporte Francis Enjalbert. Les dernières études montrent que l’effet est un peu diminué avec les rations riches en matière grasse ou en fibres et plus faible avec des rations à base d’ensilage d’herbe que des rations à base d’ensilage de maïs. Il est aussi un peu moins élevé chez le taurillon. Quelques débats demeurent de plus sur la persistance de son action dans le temps.
La piste des algues rouges
Une algue rouge, Asparagopsis taxiformis, est aussi capable d’inhiber la méthanogénèse. Sur des bouvillons, un apport à hauteur de 0,5 % de la ration réduit l’émission de méthane de plus de 50 % avec des rations riches en fourrages, jusqu’à 80 % avec des rations pauvres en fourrages, en diminuant légèrement l’ingestion mais en augmentant l’efficacité alimentaire. « Des données complémentaires sont toutefois souhaitables sur la persistance de l’effet dans le temps, les impacts environnementaux du bromoforme produit par cette algue et les résidus dans le lait », estime Francis Enjalbert. Enfin, de nombreux métabolites secondaires de plantes (tanins, saponines, huiles essentielles…) sont étudiés sur leur capacité à réduire la méthanogénèse, avec plusieurs modes d’action évoqués : inhibition des méthanogènes ou puits à hydrogène pour les tanins, inhibition des protozoaires du rumen, symbiotiques des archées, pour les saponines, effet antimicrobien des huiles essentielles… « Les baisses de méthane observées vont de 0 à 50 % selon les plantes, mais avec le plus souvent un seul essai par plante, rapporte l’expert. L’effet moyen de plantes à tanins a été chiffré à 12 %. Ces stratégies basées sur des plantes ont de plus l’avantage de pouvoir être mises en œuvre facilement dans les systèmes pâturants. »
D’autres voies restent encore à explorer
D’autres actions permettent de réduire la production de méthane. Une piste déjà utilisée est l’ajout de lipides dans la ration. « Comme les lipides ne fermentent pas dans le rumen, si on remplace de l’énergie glucidique par de l’énergie lipidique, la production de méthane diminue, analyse Francis Enjalbert. De plus, les lipides, surtout insaturés, inhibent les méthanogènes et les protozoaires qui leur sont symbiotiques. Enfin, de par leur effet négatif sur les bactéries fibrolytiques, ils réduisent la production de C2 et donc de méthane. » En moyenne, l’ajout de lipides à raison de 0,66 à 0,75 % de la matière sèche ingérée réduit le méthane de 3,5 à 5 %. « Du fait de l’effet négatif des lipides insaturés sur le microbiote ruminal, il ne faut toutefois pas dépasser un ajout de 1-1,5 % de la ration. Au-delà, une baisse de digestibilité peut être observée. L’intérêt de l’apport de lipides est donc limité. »
Autre possibilité : augmenter le rapport amidon/cellulose en apportant plus de concentré, pour orienter les fermentations vers la production de C3, consommatrice d’hydrogène. « Cette piste qui peut paraître intéressante à l’échelle de l’individu, ne l’est toutefois pas à l’échelle globale, estime le vétérinaire. Produire plus de concentré entraîne plus de gaz à effet de serre. » La sélection d’animaux moins émetteurs de méthane est par contre envisageable, l’héritabilité de la production quotidienne de méthane étant de 0,20. Les liens avec les défenses immunitaires doivent toutefois être explorés.
Enfin une autre piste, encore peu étudiée, est la vaccination via le passage d’anticorps anti-archées dans la salive, avec des limites liées à la diversité des archées et un effet modéré et transitoire.