Renouveler les générations d’éleveurs
Une part croissante des cheptels allaitants est actuellement détenue par des éleveurs de plus de 50 ans. La reprise de ces troupeaux par des jeunes sera un défi majeur pour les années à venir. Le coût d’une installation et la faible rentabilité du capital investi sont un frein mais les passionnés s’accrochent.
Une part croissante des cheptels allaitants est actuellement détenue par des éleveurs de plus de 50 ans. La reprise de ces troupeaux par des jeunes sera un défi majeur pour les années à venir. Le coût d’une installation et la faible rentabilité du capital investi sont un frein mais les passionnés s’accrochent.
Entre 1998 et 2003, 35 % des cheptels de plus de 20 vaches allaitantes appartenaient à des éleveurs de moins de 40 ans. Cette proportion était passée à 20 % en 2013, année où 45 % des vaches allaitantes françaises appartenaient à des éleveurs de plus de 50 ans. Ce pourcentage a encore progressé depuis.
Autant de statistiques préoccupantes. L’actuelle pyramide des âges des détenteurs de cheptels allaitants laisse mathématiquement présager une vague conséquente de départs en retraite dans les années à venir. Initié depuis deux à trois ans, ce phénomène a été accentué par la dernière crise et va se poursuivre jusque dans les années 2025. Il fait suite à la politique d’installation qui avait eu lieu dans les années 1990 (années pendant lesquelles les installations avaient été soutenues par les mesures d’accompagnement de la réforme de la PAC de 1992 et les mesures préretraite-installation) sans occulter non plus les nombreuses conversions du lait vers la viande à la fin du XXe siècle, suite à l’instauration des quotas laitiers en 1984. Au fil des départs en retraite en cours et à venir, ce phénomène va « libérer » beaucoup de vaches et d’hectares avec d’énormes interrogations pour savoir comment et par qui, ces cheptels et ces surfaces pourront être repris et dans quelle proportion ils seront repris.
Moins d’une installation pour trois départs en bovins viande
Toutes productions confondues, le nombre d’installations est en net recul sur l’ensemble du territoire français. Ce phénomène est particulièrement sensible pour les élevages de ruminants. « Entre 2000 et 2010, il y avait une moyenne de 4 200 installations par an avec un élevage d’herbivores. Ce chiffre était plus proche de 3 100 sur la période 2010-2013 », explique Christophe Perrot, chargé de mission Économie et territoires à l’Institut de l’élevage. Les systèmes de production incluant un troupeau de bovins allaitants sont très concernés par cette évolution. C’est même pour ce secteur que la problématique liée au renouvellement insuffisant des générations est la plus aiguë. On comptabilise actuellement moins d’une installation pour trois départs. Ce recul est très lié à « l’intensité capitalistique » des systèmes allaitants associée à la faible rentabilité du capital investi, laquelle s’est encore dégradée ces trois dernières années (lire pages ??). « D’après les données du Réseau d’information comptable agricole 2007-2013, pour dégager 1 000 € d’EBE, il fallait en moyenne 2 000 € d’actif immobilisé hors foncier en grandes cultures, 2 400 € en volailles, 3 400 € en lait ou porcs et 4 700 € en bovins viande. Chiffre qui passe à 6 300 € si l’on y inclut le besoin en fonds de roulement », précise Christophe Perrot. L’importance de l’investissement de départ hypothèque tout particulièrement les velléités d’installations hors cadre familial. « Qui peut investir autant pour dégager de si faibles EBE ? » Certaines initiatives de reprises souvent liées à des circuits courts laissent envisager quelques belles opportunités pour des installations hors cadre familial, en particulier pour des exploitations proches de grandes agglomérations. Il est pour autant peu réaliste de prétendre pouvoir les généraliser à toutes les exploitations en quête d’un successeur.
Hors succession familiale pas toujours facile à organiser même quand il y a un possible successeur, quelles évolutions envisager pour nombre de systèmes allaitants spécialisés qui, ces dernières années, ont capitalisé dans les cheptels et les outils de production avec au final des exploitations de dimensions conséquentes. Quand il y a une alternative avec des céréales sur au moins une partie du foncier, les éventuels repreneurs se posent rarement beaucoup de questions. Ils ne reprennent souvent qu’une fraction du cheptel et retournent une partie des surfaces en herbe pour les réorienter vers la culture.
Le triste scénario « à l’Anglaise »
Pour des exploitations situées dans des zones herbagères inconvertibles et sur des territoires en manque de « dynamique allaitante » l’avenir semble plus incertain. « Pour résumer, je pense que le scénario 'à l’Anglaise' tel que nous l’avions rapidement décrit dans un dossier sorti en septembre 2011 et intitulé L’élevage bovin allaitant français à l’horizon 2015 et perspectives 2035 est en train de se réaliser. C’est une tendance que l’on commence à percevoir dans certains élevages », estime Christophe Perrot.
Ce triste scénario « à l’Anglaise » part du principe que faute de trouver des repreneurs, les chefs d’exploitation de bien des élevages français de grande dimension pourraient prolonger leur activité malgré leur âge de plus en plus avancé. Cela se traduirait par un recours accru à de la main-d’œuvre salariée que seules des exploitations aux équipements et installations déjà en grande partie amortis pourraient éventuellement se permettre. « Si ce scénario paraît crédible, il aurait pour conséquence la gestion d’une proportion importante du cheptel de vaches allaitantes par des exploitations peu enclines à investir et à se développer », précisaient alors les auteurs de l’Institut de l’élevage. « Leur priorité étant logiquement la poursuite et le maintien d’une activité et non la recherche d’innovations. Lorsque ces éleveurs âgés décideront tout de même de cesser leur activité, il est à craindre que l’absence d’investissements (bâtiments obsolètes notamment) ait rendu ces exploitations peu attractives. » Et de souligner également que ce scénario peut s’imposer comme une contrainte seulement temporaire « avant de trouver une solution pour la transmission, la cession, la valorisation du patrimoine accumulé durant toute une carrière ».
Difficulté à trouver des salariés
Une des limites à ce scénario « à l’Anglaise » est la difficulté à trouver des salariés compétents, associée à la nécessité de dégager suffisamment de revenus pour les rétribuer de façon attractive et leur donner envie de rester sur les fermes qui les emploient. À terme cette situation est surtout dangereuse dans la mesure où le recul du nombre d’installations et le vieillissement des éleveurs auront forcément un impact sur la dynamique des territoires ruraux, en particulier ceux où l’élevage allaitant est un des socles de l’activité économique. Qui plus est, cette évolution n’est pas bonne pour l’engraissement car depuis longtemps il y a une association entre les systèmes de production et la classe d’âge. « Les naisseurs engraisseurs tendent à être plus jeunes que les naisseurs. C’est classiquement lié à l’extensification des systèmes de production en fin de carrière voire à la décapitalisation. D’ailleurs la proportion de naisseurs augmente sensiblement depuis 2011. » Face à cette problématique du renouvellement des générations, Christophe Perrot rappelle que ce sont les systèmes bovins allaitants qui « tiennent » une grosse partie du territoire dans bien des zones herbagères. « Quand on superpose la carte des prairies permanentes et celle de la localisation des cheptels bovins allaitants, l’adéquation est quasi parfaite, en particulier dans un large Massif central. »
Une majorité de successions familiales
Une des caractéristiques des élevages allaitants spécialisés français est d’être majoritairement des exploitations familiales depuis plusieurs générations. Une enquête réalisée voici quelques années avait permis de montrer que « 80 % des chefs d’exploitation à la tête d’une exploitation allaitante spécialisée qui avaient pris la direction d’une exploitation en 2006-2007 à moins de 40 ans avaient un lien de parenté immédiat avec leur prédécesseur (fils, fille, gendre, bru, petit-fils, neveu) », précise Christophe Perrot. Et sur les 20 % restants, 16 % avaient des parents agriculteurs. Cela inclut en particulier les installations temporaires « à côté » de l’exploitation familiale préalablement à la constitution d’une société. 4 % seulement étaient d’origine non agricole, ce qui confirme l’extrême difficulté de reprendre ces exploitations en « hors cadre familial ».
Un site pour susciter des vocations
La transmission des exploitations spécialisées en élevage de ruminants est le cheval de bataille de nombreux organismes agricoles. Pour favoriser les reprises et inciter les jeunes et en particulier les « hors cadre familiaux » à s’intéresser à l’élevage, la Confédération nationale de l’élevage a mis en ligne un site devenir-eleveur.com. Il propose une banque de ressources alimentée par les partenaires de la filière et de nombreux espaces d’échanges. Il est présenté comme « le site de référence pour susciter des vocations et échanger sur un métier offrant de nombreuses opportunités ».
Évolution exploitations 2016/2010
• - 437 000 exploitations au total en France métropolitaine (- 11 %/ 2010), dont :
• - 15 % pour les spécialisations "élevage", mais
• + 1 % en exploitations spécialisées grandes cultures
• + 4 % en maraîchage, horticulture, et
• 57 000 exploitations spécialisées en bovins viande (- 6 %/2010)