Comment réagissez-vous au niveau de l’interprofession aux attaques et aux actes violents des animalistes radicaux qui affectent tous les professionnels des filières d’élevage ?
Bruno Dufayet - "Nous condamnons bien évidemment les actes de plus en plus radicaux des antispécistes, au travers desquels ils montrent leur vrai état d’esprit. Leur volonté n’est pas de construire la société de demain mais d’imposer une vision du monde la plus radicale possible. Nous avons fait le choix de ne pas leur répondre. Il n’y a aucun intérêt à discuter avec des gens qui représentent une très faible part de la société et qui veulent nous voir disparaître. Nous nous focalisons sur les consommateurs de viande, sur les 98 % de Français qui mangent de la viande. Ce qui me rassure, c’est qu’en 2018, nous avons fait + 1,6 % de viande de bœuf en France par rapport à 2017. Le message des végans ne passe pas. S’il avait un impact aussi fort qu’on veut bien le dire, cela se traduirait tout de suite sur la consommation de viande de bœuf."
Pourtant des enquêtes montrent qu’une part non négligeable de Français est sensible à leurs arguments ?
B. D. - "Les consommateurs ne sont pas sensibles aux arguments des végans mais aux enjeux sociétaux : l’environnement, le bien-être animal, la santé, la consommation éthique… L’objectif des végans, c’est l’abolition de l’élevage, l’antispécisme. Sauf qu’aucune association végane ne se revendique de l’antispécisme. Elles se servent des arguments des ONG de protection animale pour exister. Les citoyens ne partagent pas les idées du mouvement végan mais les idées et les inquiétudes des mouvements de protection animale. La nuance est très importante. Les abolitionnistes ont bâti une stratégie de communication qui ne revendique pas la volonté même du mouvement, y compris L214 qui se montre de plus en plus welfariste parce qu’ils sentent que leurs messages extrêmes passent de moins en moins. Ils se rattachent à la cause welfaristes alors qu’au fond d’eux-mêmes ils sont des abolitionnistes. Nous alertons sur cette duperie."
Quelle est donc votre stratégie ?
B. D. - "Les comportements alimentaires des Français changent. Ils privilégient de plus en plus une alimentation responsable. Nous avons décidé de nous inscrire dans ce nouveau contexte sociétal. Nous avons commencé un travail d’abord avec des ONG environnementales et, aujourd’hui, avec des ONG de protection animale. Nous venons de lancer également une concertation avec des médecins, des associations de consommateurs, des experts pour réfléchir ensemble sur la place de la viande demain dans une alimentation durable et éthique. De la même manière, notre campagne de communication collective en cours — 'Aimez la viande, mangez-en mieux' — vise à dire que la viande a toute sa place dans le mode de vie actuel qu’est le flexitarisme. C’est aussi pour répondre à ces nouveaux enjeux que l’interprofession a inscrit la montée en gamme des viandes, par le biais des labels rouges, parmi les objectifs des plans de filières issus des États généraux de l’alimentation. Ces enjeux seront intégrés aux cahiers des charges des labels rouges. Nous avons enfin lancé plusieurs programmes de recherche et développement pour le bien-être et la protection animale. Nous sommes ainsi en train de finaliser des indicateurs de bien-être en élevage afin que les éleveurs puissent s’évaluer par rapport à cette attente, déterminer les marges de progrès mais aussi les pratiques à conserver parce qu’elles répondent à l’enjeu. Par exemple, le fait d’aller visiter ses troupeaux tous les jours fait partie de la gestion du bien-être animal. D’autre part, nous allons mettre en place dans l’ensemble des abattoirs des grilles d’évaluation des bonnes pratiques en termes de protection animale."
Comment travaillez-vous avec les ONG de protection animale (Welfarm, CIWF, OABA, LFDA) ?
B. D. - "Nous avons proposé aux organisations welfaristes de se rencontrer et de bâtir une concertation dans le même esprit de ce que nous avons fait dans l’environnement, avec un médiateur qui fait respecter des règles d’écoute et d’échange. Nous avons convenu de travailler sur trois thèmes : l’engraissement, le transport des animaux et l’abattage. Comme nous l’avons fait avec l’environnement, nous espérons pouvoir produire un document partagé sur les grands enjeux, les visions qui font consensus, les points de divergence à travailler. Notre dernière rencontre portait sur les bâtiments d’engraissement de demain. Nous allons enclencher rapidement sur ce sujet un programme de recherche et développement financé par la filière mais co-construit avec les ONG, qui sera confié à des experts des instituts techniques. Dans ce travail de concertation, notre mission est aussi de faire comprendre que la performance bien-être animal ne se déconnecte pas de la performance économique. Atteindre des objectifs de respect de l’animal passe par la capacité de l’éleveur à vivre et à mettre en place des évolutions. Nous partons de loin sur ces sujets-là. Mais, nous avons à faire à des progressistes qui ont envie de faire évoluer les choses et qui ne sont pas sur des positions très extrêmes comme les associations véganes ou antispécistes. J’espère que nous arriverons à faire un travail constructif comme nous y sommes parvenus en environnement."
Êtes-vous inquiet de l’avènement annoncé de la viande artificielle ?
B. D. - "C’est un vrai sujet et un vrai danger. L’ultra-capitalisme qui, d’un côté, finance des ONG chargées de mettre le bazar sur la viande bovine et, de l’autre, arrive avec une belle image de sauveur de la planète, nous interpelle. Sous couvert de durabilité, les Google, Facebook et compagnie ambitionnent de faire le deuxième coup financier de leur histoire avec la viande in vitro en nous la présentant comme la viande zéro défaut. Je ne suis pas certain que le consommateur européen soit prêt à consommer de la viande de labo. Mais, il est important d’avoir une information plus fine sur ce sujet pour pouvoir alerter les citoyens sur ce qui est en train de se passer."