L’Espagne a résolu l’équation du veau sevré
Le marché des petits veaux laitiers semble chaque année plus difficile. Faute d’être finis en France, un grand nombre part à l’export. Les ateliers espagnols sont devenus un débouché incontournable.
Le marché des petits veaux laitiers semble chaque année plus difficile. Faute d’être finis en France, un grand nombre part à l’export. Les ateliers espagnols sont devenus un débouché incontournable.
La filière veau de boucherie est le premier débouché des mâles laitiers. Mais, en France, les abattages de veaux de boucherie sont en repli régulier depuis de nombreuses années. Ils ont atteint 1,27 million de têtes en 2018, soit -15 % depuis 2009. Deux raisons expliquent ce recul : la baisse de la consommation de viande de veau et l’alourdissement régulier des carcasses. Pour un engraisseur, alourdir une carcasse permet de diminuer le nombre de nourrissons mis en place et par conséquent de réduire le coût d’achat du maigre et les frais de démarrage (prophylaxie, pertes…).
Par ailleurs, depuis la fin des quotas laitiers, la production de JB et de bœufs laitiers s’est effondrée sur le territoire français. Quand ils étaient destinés à une production de gros bovins la plupart de ces animaux étaient engraissés sur leur exploitation de naissance sans véritables investissements dans les infrastructures, ils étaient bien souvent logés à moindres frais « dans la dernière travée, en bout de stabu ! ». Or moins contraints dans leurs volumes de production, les éleveurs laitiers tendent à maximiser le nombre de vaches dans leurs installations au détriment de l’engraissement. Depuis 2009 les abattages de JB laitiers ont chuté de 25 % pour atteindre 180 000 têtes en 2018 et les abattages de bœufs ont chuté de 26 % à 102 500 têtes en 2018. Les veaux sont donc de plus en plus souvent vendus au plus tôt et il n’existe guère d’alternatives en dehors de l’export. Les exportations ont d’ailleurs battu tous les records en 2018 avec 247 000 veaux de moins de 80 kilos exportés depuis la France contre 96 000 en 2010.
La filière espagnole en place pour le sevrage
L’Espagne est depuis 2015 le principal exutoire pour ces animaux. Ce pays a reçu l’an dernier plus de 90 % des veaux exportés par la France. De l’autre côté des Pyrénées, ces animaux entrent dans la filière classique du JB espagnol : à savoir un engraissement avec une ration « sèche » et un abattage précoce. Les veaux devenus JB sont abattus vers 10-12 mois pour un poids proche de 250 kilos de carcasse. Ce produit, peu cher et à la viande claire, est valorisé en carcasse sur le marché local ou le Portugal ou bien en vif sur les marchés turcs et du nord de la Méditerranée.
Pourtant les grosses unités d’engraissement espagnoles ne sont toujours pas équipées pour sevrer des veaux. L’atelier espagnol typique est composé de bâtiments et d’équipements très simplifiés. Le recours quasi systématique aux rations sèches permet d’automatiser et donc de simplifier la distribution de l’alimentation. Le travail quotidien se limite à la surveillance et à la distribution de paille. Ce mode d’élevage permet de limiter la main-d’œuvre à environ 1 UTH pour 1 000 places. Difficile avec une main-d’œuvre si limitée d’imaginer nourrir des veaux non sevrés.
Exportations françaises de veaux de moins de 80 kilos
Veaux démarrés par un prestataire
La solution trouvée par les engraisseurs espagnols est de déléguer le démarrage des veaux à un prestataire spécialisé. Ils lui confient en particulier la période au cours de laquelle ils ont besoin d’une alimentation lactée. L’engraisseur achète ses veaux et les laisse trois à quatre mois à son prestataire. Comme dans un élevage intégré en France, l’engraisseur fournit l’alimentation, les produits vétérinaires, un accompagnement technique et paie le prestataire entre 25 et 35 centimes par jour et par veau. Le prestataire fournit son travail, ses bâtiments, la paille et les équipements d’élevage. Les démarreurs sont souvent des agriculteurs ou des pluriactifs disposant de bâtiments jusque-là inutilisés et réadaptés pour cette activité.
Le démarrage débute par une quarantaine et une solide métaphylaxie (vaccins : RS, IBR, entérotoxémie, antibiothérapie systématique, déparasitage interne et externe). La conduite est très économe. Les veaux sont nourris pendant 25 jours avec un lactoremplaceur complété par de la paille et des céréales à volonté. Ils sont ensuite sevrés et demeurent sur une ration sèche + paille, jusqu’à leur sortie de l’atelier de sevrage. Ils pèsent alors selon la race entre 120 et 140 kilos et n’ont consommé guère plus de 12 kilos de poudre de lait écrémé grâce à cette phase lactée très courte.
Du maigre à prix imbattable
Ce sevrage « à l’espagnole » produit des animaux maigres très bon marché. Rendu sur l’exploitation un veau laitier importé coûte entre 150 et 200 euros, la métaphylaxie est estimée à 20 euros par animal, l’alimentation entre 60 et 70 euros et la main-d’œuvre entre 25 et 30 euros. Pour l’engraisseur, seules comptent les charges opérationnelles. L’ensemble des charges fixes sont assumées par le prestataire. Ainsi, un Holstein quittant l’atelier de sevrage à 125 kilos aura coûté environ 250 euros soit environ 2 euros le kilo à l’engraisseur contre environ 3 euros le kilo pour un broutard.
Une fois ces veaux sevrés arrivés dans l’atelier où ils seront finis, leur engraissement se pratique généralement par bandes de 200 têtes, dans des élevages de plus de 1 000 animaux. Au vu du coût de l’animal à l’entrée en engraissement (200-300 €/tête contre 700 à 1000 € pour un broutard) la mise en production de JB laitiers est considérée à la fois comme moins risquée et moins difficile pour la trésorerie des exploitations. Les éleveurs répètent à l’envi « il est moins risqué d’engraisser quatre veaux laitiers à 200 euros qu’un broutard à 800 euros ».
Cette production de veaux sevrés n’est pas propre à l’Espagne. Des filières similaires existent en Europe, aux Pays-Bas, au Danemark et au Royaume-Uni. En France, leur développement demeure très limité. On peut envisager plusieurs explications. Tout d’abord, le marché français du JB est très segmenté selon la race et la conformation et sur ces critères, l’écart de prix au kilo de carcasse est plus important qu’en Espagne. Il réduit de ce fait l’intérêt du JB laitier. Par ailleurs, les engraisseurs français ont à leur disposition une offre conséquente en broutards issus de cheptels allaitants spécialisés. Cette offre est unique en Europe tant par le nombre, la qualité et la diversité des animaux proposés. Enfin, il semble difficile dans le contexte français de trouver des prestataires prêts à réaliser le sevrage de veaux laitiers pour 30 centimes d’euro par jour !
Gain de poids peu différent entre les races
L’engraisseur espagnol surveille de près l’indice de consommation de ses animaux : soit le ratio entre la matière sèche ingérée et les gains de poids vif. Pour des taurillons nourris en ration sèche, ce ratio se dégrade rapidement avec l’âge. Dans ces conditions, pour optimiser leurs coûts de production, les engraisseurs espagnols pratiquent un abattage précoce à un poids carcasse qui peut paraître léger vu d’un œil France. Les poids carcasses sont compris entre 250 kg pour un Holstein et 400 kg pour un Limousin importé. Ainsi le gain de poids vif chez l’engraisseur est assez peu différent d’une race à l’autre. Un veau sevré Holstein passera de 120 à 500 kg soit + 380 kg, tandis qu’un broutard limousin passera de 250 à 650 kg soit + 400 kg (voir tableau).
De nouveaux itinéraires techniques de production sont testés pour produire à partir de veaux croisés une alternative aux carcasses légères utilisées entre autres pour satisfaire à la RHD.
Valoriser des croisés laitiers sur le territoire français
Alors que l’on assiste à une baisse de l’engraissement des veaux laitiers en France, une grosse partie des débouchés en Restauration hors domicile (RHD) est aujourd’hui approvisionnée par des importations d’arrières de vaches de réformes laitières, provenant notamment d’Allemagne. Ce type d’animal est caractérisé par des carcasses plutôt légères (environ 300 kg), dont la dimension des muscles permet de produire des portions adaptées à la RHD et au fond de rayon en GMS.
Ce marché pourrait être approvisionné par des carcasses issues de veaux laitiers, aujourd’hui exportés et offrir simultanément une alternative au débouché espagnol. Pour analyser comment il est possible de produire en France à partir de veaux nés de mères laitières des gros bovins répondant à ce besoin en carcasses d’environ 300 kilos aux muscles à la fois rouges, tendres et persillés en analysant simultanément la rentabilité de ce mode de conduite dans un contexte français, un programme expérimental a été mis en place sur la station expérimentale de Mauron dans le Morbihan, à la demande d’Interbev Bretagne. Il consiste à produire des bœufs et génisses croisés limousins, Angus ou Hereford sur des vaches Prim’Holstein. Abattus entre 14 et 17 mois, les premiers lots ont donné des résultats intéressants (voir Réussir Bovins viande, n° 264, novembre 2018).
Des essais complémentaires sur des croisés limousins, avec pâturage sont actuellement menés. Suite à la reprise de la station à partir du 1er octobre 2019, l’Institut de l’élevage va poursuivre les travaux engagés. D’autres croisements issus de races françaises, avec différents niveaux de précocité, seront également testés, avec mesures d’efficacité alimentaire. L’objectif est de valoriser prioritairement les fourrages produits sur l’exploitation, en répondant aux attentes sociétales.