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La viande tend à changer d’image

Voici quelques années, pouvoir consommer de la viande était une donnée positive, presque considérée comme un acquis social. Cette vision des choses est de plus en plus remise en cause.

La diététisation de l’alimentation se traduit avec un rapport de plus en plus "thérapeuthique" à la consommation de biens alimentaires.
© P. Cronenberger

« Plus un animal entre dans la sphère domestique et moins on peut le manger » expliquait Bruno Hérault, chef du Centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture lors d’un colloque organisé le 31 mai dernier par le CIV. Et ce dernier de prendre pour exemple le développement de la pratique de l’équitation ces trente dernières années. Pour un nombre croissant de Français, elle a fait passer chevaux et poneys du statut d’animaux de rente à celui d’animaux de compagnie. Ils doivent donc finir paisiblement leur existence dans un pré et non à l’abattoir. L’évolution des mentalités pour cette espèce serait accentuée par la féminisation croissante des sports équestres.

Le lapin, premier animal de compagnie de bien des petits Français, prend clairement la même direction. Et Bruno Hérault d’ajouter avec une pointe d’humour et d’ironie que ce phénomène pourrait même s’étendre à la volaille. « À force de mettre des poules dans les jardins d’agrément et sur les terrasses en ville on finira par ne plus les manger ! »

Ancien marqueur de réussite sociale

Les Français mangent moins de viande. C’est un constat. L’évolution des modes de vie y est pour beaucoup. Elle n’est pas seule à être responsable. Quelles que soient les espèces concernées, la viande n’a plus la place centrale qu’elle a longtemps eue dans notre alimentation. La viande n’a pas non plus la même image. « Hier la viande avait une valeur positive. Le fait de pouvoir la mettre souvent et en abondance dans son assiette était un marqueur de réussite sociale. » Aujourd’hui on en arriverait presque à penser que cet aliment véhicule une image négative voire malsaine, au moins dans certaines franges de la population. « Dans la société encore rurale, et surtout relativement pauvre de l’après-guerre, manger de la viande c’était un truc de riches. Cela faisait envie. » Au XIX° siècle l’ouvrier gagnait son pain. Au XX°, il gagnait son beefsteak et quand son pouvoir d’achat progressait, il était fier de pouvoir mettre un peu plus souvent ces mêmes beefsteaks dans les assiettes de la table familiale.

L’urbanisation de la société, les préoccupations relatives à la santé couplées à la chasse aux kilos superflus, le souci du développement durable, de l’écologie et du bien-être animal tendent à faire évoluer la façon dont sont perçus les produits carnés. « En ce début de XXI° siècle dans nos sociétés urbaines souvent riches, manger de la viande devient de plus en plus un truc de pauvres. » On en aurait presque l’impression qu’afficher son plaisir à manger un bon morceau de viande n’est pas bien, n’est pas « tendance ». Le rapport à l’alimentation devient un marqueur social de plus en plus important. Il est en défaveur de la viande au moins dans certaines franges de la population souvent urbaines et bénéficiant d’un pouvoir d’achat confortable. Et malheureusement pour les producteurs et les différents acteurs de la filière, ces mêmes personnes sont aussi souvent des prescripteurs d’opinion. Elles disposent d’un certain savoir-faire pour véhiculer leurs idées et connaissent parfaitement les réseaux qui leur permettront de les diffuser le plus largement possible à l’ensemble de la population. « Les gens se mettent à manger non plus ce qui est bon pour eux mais ce que les autres attendent qu’ils mangent. Ils veulent au travers de leur alimentation signifier leur appartenance à un groupe social. Cela peut être analysé comme l’une des explications à la progression du végétarisme et du végétalisme. On a le sentiment que des porteurs de domination sociale disent à ceux qui continuent de manger de la viande 'ce que vous faites n’est pas bien'. »

F. A.

Érosion de la gastronomie à la française

Le modèle alimentaire français a été bâti au fil des décennies autour de plats gastronomiques souvent liés aux différentes spécialités régionales dans lesquelles la viande a une place prépondérante, au moins pour le plat de résistance. Si on fait abstraction des moments festifs autour d’une bonne table ces plats régionaux se font plus rares dans notre alimentation. « Cela tend à muséifier une certaine forme patrimoniale de notre alimentation » soulignait Bruno Hérault. Cette érosion de la gastronomie à la française accentue la décarnisation de notre alimentation. « Autrefois on mangeait ce qui était bon d’un point de vue gustatif et maintenant on mange ce qui est bon pour notre santé mais ne l’est pas forcément pour satisfaire les plaisirs de notre palais ! »

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