La viande bovine bio doit franchir un nouveau palier
Le fort développement de la production de ces dernières années bouscule la filière qui a quelques difficultés à absorber cet afflux. Mais, elle parvient à maintenir les prix.
Le fort développement de la production de ces dernières années bouscule la filière qui a quelques difficultés à absorber cet afflux. Mais, elle parvient à maintenir les prix.
Situation compliquée cet automne sur le marché des bovins bio. Il fallait souvent compter un mois et demi d’attente pour livrer ses bêtes, surtout dans les catégories moyennes. La sécheresse a précipité des animaux sur le marché. Cet afflux a alourdi une offre structurellement plus importante de par les nombreuses conversions des années précédentes alors que la consommation s’est plutôt stabilisée depuis trois ans. « Quand on augmente la production de 20 % sur un an, on arrive à l’absorber, mais quand cette même évolution se poursuit depuis trois ans, dans un contexte assez négatif pour la viande, cela devient plus difficile, analyse Philippe Cabarat, président de la commission bio d’Interbev. Il faut laisser le temps à la filière de consolider ses marchés et de continuer à construire. C’est un problème temporaire. La filière a déjà connu ce type de situation. Les entreprises vont trouver des solutions. »
Forte progression des abattages de génisses et vaches allaitantes depuis 2015
« La situation actuelle ne va pas perdurer, assurait Myriam Loloum, coordinatrice filières à Unebio, lors du salon Tech & Bio, en septembre à Valence dans la Drôme. Nous mettons tout en œuvre pour qu’elle se résorbe et nous maintenons les prix d’achat. Le fait d’être unis permet d’avoir de la mutualisation pour gérer les aléas de marché. Et, aujourd’hui, nous sommes face à un aléa. » « La filière bio n’est pas dans une logique de baisse des prix mais dans une logique de gestion de l’offre, confirme Philippe Cabarat. Mais, il n’est pas évident de dire aux éleveurs, surtout aux nouveaux entrants dans la filière : 'gardez vos animaux un mois et demi de plus', alors qu’ils font face à des pénuries de fourrages. » La moyenne des cours à la production, toutes catégories confondues, est stable depuis 2014.
La viande bio n’est pas épargnée par les attaques antiviandes
La filière doit donc relever un certain nombre de défis pour passer ce palier. La viande bio n’est pas épargnée par les attaques antiviandes. Cette sensibilité est même exacerbée dans cette frange de consommateurs quand bien même l’image de la viande bio reste très positive selon le sondage annuel d’Interbev. De plus, en grandes surfaces (GMS), la viande bio est souvent « noyée » dans le rayon de la viande conventionnelle. Elle est peu visible et quand le consommateur veut réduire sa consommation, il se détourne aussi bien de l’une que de l’autre. Myriam Loloum perçoit en bio des tendances de consommation qui se rapprochent du conventionnel. D’un côté, « une demande encore dynamique sur des produits élaborés (steak haché, plats cuisinés) poussée par des consommateurs jeunes qui ne cuisinent pas mais très sensibles au prix ». De l’autre, « des consommateurs avertis qui veulent manger moins de viande mais une viande de qualité, de terroir, qui raconte une histoire et porte des valeurs ». Des consommateurs à fort pouvoir d’achat qui se dirigent plutôt vers les boucheries. « Un gros bovin n’est pas vendu dans un seul circuit, poursuit-elle. Sur un animal, il y a 40 pièces à valoriser. Il faut donc être présent sur tous les marchés pour assurer l’équilibre matière et pouvoir tenir de bons prix en ferme. C’est de la haute couture. Nous devons convaincre les bouchers et les commerciaux que la filière bio s’est professionnalisée et qu’elle est en capacité de livrer des produits de qualité et réguliers sur l’ensemble de l’année. »
Distribution de viande bio des gros bovins allaitants
« Pas suffisamment d’animaux très conformés pour la boucherie »
La viande bio est majoritairement vendue en GMS (55 % toutes viandes confondues mais 64 % pour les gros bovins) et les volumes y sont en forte progression (+ 28 % en 2018/2017). Des grandes surfaces où le steak haché est le produit phare alors que les morceaux nobles sont de plus en plus boudés en libre-service. En face, la boucherie traditionnelle, indispensable pour valoriser les pièces nobles, n’assure que 13 % des débouchés de la viande bio. Seulement 200 boucheries (sur 20 000) en proposent et il est très difficile de recruter de nouveaux bouchers en bio car cela suppose des changements d’habitudes. « Beaucoup de bouchers font du très haut de gamme, explique Luc Mary, directeur de Sicaba, dans l’Allier. En bio, on n’a pas suffisamment d’animaux de très haute conformation pour répondre à cette demande. » Entre les deux, les magasins bio spécialisés (16 % de parts de marché) continuent de progresser (+ 17 % en 2018/2017). Le réseau Biocoop (600 magasins) ouvre par exemple 20 boucheries par an (il en détiendra 145 en 2020). « Quand un magasin lance un rayon traditionnel et que le boucher fait bien le boulot, le développement du volume est spectaculaire », note Luc Mary. Myriam Loloum pointe néanmoins dans les magasins spécialisés, « un ralentissement de la mise en place des rayons traditionnels face à la montée du végétal ».
La RHD, indispensable pour l’équilibre matière
Beaucoup d’espoirs sont fondés sur la restauration collective mais les volumes sont encore faibles (7 %) alors que la demande des consommateurs est forte pour qu’il y en ait davantage. La RHD est « un segment indispensable pour atteindre l’équilibre matière. Il permet de valoriser les bas-morceaux (sautés…) dans la restauration publique et les pièces nobles à bons prix dans la restauration commerciale », affirme Myriam Loloum. Où se situe donc le blocage ? Dans la restauration publique (ou collective), la coordinatrice des filières d’Unebio estime que les appels d’offres ne sont pas calibrés pour la viande bio. « Le frein budgétaire est énorme et les critères sont de plus en plus contraignants, en termes d’origine locale (animaux élevés, abattus, transformés dans le département), de date limite de consommation, de formats… Quant à la restauration commerciale, elle nécessite une gestion logistique très pointue pour livrer de toutes petites quantités sur un large territoire. » La commission bio d’Interbev a engagé un plan d’actions pour sensibiliser la RHD (Trophées de l’innovation, salons spécialisés, journées d’information…). L’obligation d’introduire 20 % de produits bio en restauration collective d’ici à 2022 devrait donner du souffle à ce débouché.
« Quel bonheur d’être sur un marché en croissance ! »
Face à cette demande de plus en plus axée sur le steak haché — il assure à lui seul 60 % des ventes de viande bovine bio — et les produits élaborés, l’offre n’est pas totalement en adéquation. Les races allaitantes représentent les trois quarts des approvisionnements pour un quart de races laitières et l’écart s’accentue. Un rapport 50/50 correspondrait mieux au marché. La filière comptait beaucoup sur une arrivée d’animaux laitiers suite aux récentes et nombreuses conversions. Mais, beaucoup d’éleveurs ont fait une conversion non simultanée des terres et du cheptel. Le troupeau est converti un an après les terres, ce qui permet de vendre le lait en bio au bout de 18 mois au lieu de deux ans quand la conversion est simultanée. Mais, en contrepartie d’une conversion non simultanée, les animaux doivent avoir passé les trois quarts de leur vie en bio pour pouvoir être commercialisés comme tel. Ce qui a retardé considérablement l’arrivée des vaches laitières sur le marché du bio. « On les voit arriver d’un bon œil », assure Myriam Loloum. Quant aux veaux, le marché s’essouffle et la qualité est encore trop variable. Si le consommateur accepte plus facilement désormais la couleur rosée, il ne pardonne pas un état d’engraissement insuffisant. Néanmoins, conclut Luc Mary : « en bio, la progression n’est plus à deux chiffres, mais quand on voit comment on galère sur les autres viandes, notamment en label rouge, quel bonheur d’être sur un marché en croissance ! ».
Par le dialogue, l’abatteur est parvenu à développer des relations solides avec la restauration collective.
Le succès de Sicaba dans la restauration collective
Il est une structure qui mise depuis plus de 15 ans avec succès sur la restauration collective. Sicaba, à Bourbon-l’Archambault dans l’Allier, qui abat 30 à 50 gros bovins par semaine et autant de veaux, écoule 35 % de sa production de viande bio de cette manière-là. Spécialisé dans les viandes sous signes officiels de qualité, l’abatteur a noué petit à petit des partenariats avec de gros faiseurs et installé une relation de confiance. Il a aussi travaillé avec l’interprofession bio d’Auvergne qui a entrepris dès 2003 de faire manger de la viande bio dans les cantines scolaires. « Nous nous sommes adaptés à leurs besoins en termes de quantité, qualité et saisonnalité », explique son directeur, Luc Mary. Pour lui, tous les freins peuvent être levés par le « dialogue. Nous faisons l’effort de comprendre leurs problèmes et eux de comprendre les nôtres. » Quant au surcoût, « on peut le gérer en travaillant intelligemment ». Les quantités peuvent être réduites parce qu’avec de la bonne viande, il y a moins de gaspillage et moins de perte en eau. On peut adapter la portion à chaque convive plutôt que de faire des parts standard. « Le prix matière n’est qu’un petit composant du prix du repas. En gérant mieux, on peut absorber le surcoût. Ils doivent aussi être capables de changer leurs appels d’offres, ne pas vouloir faire par exemple du sauté de bœuf avec du paleron mais avec du collier basse-côte, il y en a 40 kg par bovin. Ceux qui sont motivés y arrivent. » La Sicaba congèle également de la viande pour pouvoir en fournir aux périodes où elle n’a plus de production. Luc Mary avoue néanmoins butter sur la restauration commerciale (5 % des volumes). « Il y a un trou dans la voilure. Tous les secteurs s’intéressent au bio sauf eux. Ils ne font pas l’effort intellectuel d’y aller. »
Planifier et contractualiser la production
« Pour pouvoir construire la commercialisation de la viande bio, les producteurs doivent entrer dans un fonctionnement auxquels ils ne sont pas assez habitués, à savoir la planification et la contractualisation de l’offre, martèle Philippe Cabarat. Sinon, la durabilité du système ne tiendra pas. » Les éleveurs de bovins bio non adhérents à une structure seraient de l’ordre de 30 %. Luc Mary se fait encore plus précis : « pour que la viande bio soit bien valorisée, les producteurs doivent planifier leur production, s’engager à produire un type de viande pour un type de marché et produire toute l’année. Nous disons cela depuis vingt ans. C’est fondamental. Surtout en bio. » Et, le directeur de Sicaba de regretter le manque de production au printemps. « On ne peut pas engraisser les animaux qu’à l’herbe. Les consommateurs veulent manger de la viande toute l’année. »
Unebio : former, innover, se différencier, investir
Pour développer ses marchés, Unebio, qui commercialise près de 28 000 gros bovins et 3 000 veaux (pour 2 800 éleveurs), a lancé un certain nombre d’initiatives. Notamment pour recruter de nouveaux bouchers. Une plateforme de formation a été ouverte pour les inciter à se convertir et les accompagner. Des animations sont organisées avec des éleveurs dans les points de vente. Pour se différencier auprès des consommateurs comme étant une filière d’éleveurs 100 % bio, elle a rédigé une charte et créé des marques, soit avec des partenaires soit en propre. Pour répondre aux attentes des consommateurs, elle développe sa gamme de produits élaborés et des présentations de produits en éco-emballage avec DLC longue. Unebio investit enfin dans de nouveaux concepts de distribution, en développant notamment le réseau Ma boucherie bio du coin, en partenariat avec des bouchers, et des outils de transformation régionaux pour valoriser la production locale sur les marchés de proximité.