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Abattoir à la ferme : « De leur naissance jusqu’à l’abattage, nos bovins ne quittent jamais leur lieu de vie »

C’est une première en France. Kathleen Brémont et son compagnon Stéphane, à la tête d’un troupeau de 170 mères Angus à Ver dans la Manche, ont construit un abattoir « sur-mesure » sur leur exploitation. Depuis le 27 février 2024, date symbolique de l’obtention de l’agrément par l’État, tous leurs bovins finissent leur vie « à la maison ».

« Ce projet d’abattoir à la ferme avait commencé à germer avant même mon installation en agriculture », retrace Kathleen Brémont, qui reprend, en 2020, une ancienne exploitation laitière à Ver dans la Manche. Elle est rejointe par son compagnon, Stéphane, en tant que salarié agricole. La quadragénaire repart de zéro sur ce site qu’elle baptise la ferme Eben (Élevage bovin éthique de Normandie), avec l’objectif de se réapproprier une totale autonomie, de la naissance des animaux jusqu’à leur abattage. Les quatre-vingt-dix premières Angus sont acquises entre 2020 et 2021, dans un élevage situé à cheval entre le comté d’Angus et Aberdeen, en Écosse. « Depuis, le cheptel a grossi par croît interne pour atteindre 170 mères », rapporte Kathleen.

Un abattoir monté sur un ancien corps de ferme

Le chantier démarre dès 2021. « Nous avons présenté notre projet à la DDPP avant même de lancer les premiers devis. La direction départementale a été notre seul interlocuteur avec l’État du début à la fin », évoque Kathleen. Les inspecteurs ont réalisé en tout quatre visites durant les travaux, « permettant de corriger le tir au fil de l’eau ». Le tout, c’est de « ne pas se braquer, se montrer franc, en toutes circonstances, et garder en tête que l’outil parfait n’existe pas », souligne l’éleveuse. Elle ajoute : « N’importe quel éleveur peut construire un abattoir sur son exploitation du moment que l’outil est conforme aux normes européennes. »

Les plans ont été conçus avec l’aide de la chambre d’agriculture de Normandie. Pareil projet n’existant nulle part ailleurs, le chemin a été long et fastidieux pour ces éleveurs précurseurs. La coquille de l’abattoir a été montée sur un ancien corps de ferme comprenant une laiterie et un hangar de stockage, à 500 m du siège de l’exploitation. « La hauteur sous plafond de l’abattoir devait au minimum mesurer 5,90 m. Nous avons donc dû adapter toute la charpente en conséquence », explique-t-elle. Dans leur étude de faisabilité, les éleveurs ne souhaitaient pas dépasser les 500 000 euros, mais l’inflation intervenue cette même année en a décidé autrement. L’expérience antérieure de Kathleen dans la rénovation a été bien utile. Le surcoût s’est chiffré à 100 000 euros. « Nous avons dû revoir nos plans pour rentrer dans nos frais, faire de l’autoconstruction », témoigne l’exploitante, qui évoque la pose alternative de panneaux sandwichs.

 

 
<em class="placeholder">Graphique - Un abattoir miniature pour les bovins de la ferme EbenPlan de l’abattoir Audelea</em>
Graphique - Un abattoir miniature pour les bovins de la ferme EbenPlan de l’abattoir Audelea © Source : Abattoir Audelea

Une durée d’amortissement de sept ans

Les éleveurs ont calculé un amortissement sur sept ans. Le coût de l’abattage à la ferme est plus élevé par rapport à l’acheminement des bêtes à l’abattoir de Coutances, situé à une vingtaine de kilomètres, comme précédemment. « Mais une fois que l’outil sera amorti, le résultat sera différent », estime Kathleen. En tenant compte des charges fixes et variables totales (eau, électricité, loyer, assurances, salaires, produits divers), amortissement compris, le coût d’abattage est estimé à 650 euros par bovin actuellement, soit environ 1,70 euro par kilo de carcasse. La ferme Eben et l’abattoir, nommé Audelea, font l’objet de deux entités juridiques distinctes, de sorte à protéger l’activité d’élevage. Bien qu’elle ne puisse pas anticiper les aléas futurs, Kathleen se montre optimiste : « Les frais fixes et l’amortissement de l’atelier de découpe, mis en fonctionnement il y a un an et demi, sont en bonne voie d’être absorbés », calcule Kathleen, malgré le fait que les subventions n’aient toujours pas été versées à la fin 2024 (lire l’encadré).

En même temps que l’abattoir prenait forme, Kathleen et Stéphane ont suivi une formation pour obtenir leur certificat de compétences « protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort ». Ces derniers ont obtenu l’agrément par l’État le 27 février 2024 (coût de la procédure d’obtention de l’agrément évalué à 6 000 euros). Il est valable uniquement pour les animaux élevés sur la ferme Eben. « L’abattage d’un bovin à titre expérimental avait eu lieu un mois plus tôt. Après le retour positif de la DDPP et quelques ajustements nécessaires, le premier abattage en série a été réalisé le 7 mars », situe l’exploitante. Depuis cette date, quatre à six bovins sont abattus tous les quinze jours, la capacité maximale étant de huit en lien avec la taille de la chambre froide de ressuyage.

Quatre techniciens vétérinaires se relayent

Le jour de la tuerie intervient systématiquement un jeudi. « Un technicien des services vétérinaires est présent de 6 h 30 à 11 heures pour examiner les animaux ante et post mortem et apposer le tampon d’agrément sur les carcasses, si tout est en règle. » Ils sont quatre à se relayer. Basés à l’abattoir Socopa à Coutances, ils sont parvenus à adapter leur planning pour effectuer les visites de contrôle à tour de rôle à la ferme Eben. En plus des deux éleveurs, deux opérateurs retraités d’abattoir viennent en soutien deux fois par mois. Le processus d’abattage dure environ cinq heures, suivi de quatre heures de nettoyage. « Deux mètres cubes d’eau sont consommés à chaque fois. L’entretien et la maintenance de nos outils sont un point clé. Il faut qu’ils tournent au moins vingt ans », estime Kathleen.

 

 
<em class="placeholder">Abattoir Audelea à Ver dans la Manche</em>
Le cornadis est ouvert une fois le bovin étourdi. Ce dernier tombe sur une perse. Il est accroché sur le haut du jarret avec une chaîne. Le palan est relevé. © L. Pouchard

 

 
<em class="placeholder">Abattoir Audelea à Ver dans la Manche</em>
Le bovin transite d'abord en zone grise, sur la plateforme de dépouille puis il est transféré en zone blanche, pour le traitement de la carcasse. La découpe en quartier est directement réalisée à l'abattoir. © L. Pouchard

 

 
<em class="placeholder">Atelier de découpe et de transformation de la viande de la ferme Eben à Ver dans la Manche</em>
Les carcasses restent deux semaines en chambre froide au laboratoire avant d'être découpées et mises sous vide par les bouchers. © L. Pouchard

L’équipe d’abattage tourne sur tous les postes, hormis l’étourdissement qui est toujours assuré par Stéphane. « Nous ne savions pas réellement comment nous réagirions une fois passé le cap d’éleveur tâcheron. Il nous a fallu passer outre les premiers ressentis de sensibilité. La satisfaction de permettre à nos animaux de mourir dignement l’emporte sur tout le reste », confie l’éleveuse.

Engendrer le moins de stress possible

Cette satisfaction réside dans les efforts fournis pour éviter aux animaux toute forme de stress. La semaine précédant la mise à mort, les bovins passent à quatre reprises dans le parc d’attente et la contention – où est donné le coup de matador – pour s’habituer au lieu. L’espace a été pensé de sorte qu’aucun contraste lumineux ou nuisances sonores ne viennent perturber les animaux. Aussi, le technicien vétérinaire procède à l’examen ante mortem dans la stabulation plutôt que dans le parc d’attente.

 

 
<em class="placeholder">Parc d&#039;attente de l&#039;abattoir Audelea</em>
La semaine précédant la mise à mort, les bovins passent à quatre reprises dans le parc d’attente et la contention – où est donné le coup de matador – pour s’habituer au lieu. © L. Pouchard

 

 
<em class="placeholder">Cage de contention de l&#039;abattoir Audelea</em>
Les animaux ne passent la porte de l’abattoir qu’une fois qu'ils ont été étourdis dans cette cage de contention. © L. Pouchard

Des huiles essentielles sont véhiculées pour tenter de couvrir l’odeur du sang et des musiques de méditation sont diffusées en fond pour calmer les bovins, mais aussi les éleveurs. « Les animaux ne rentrent dans l’abattoir qu’une fois qu’ils ont été étourdis », souligne Kathleen Brémont.

Au départ, les éleveurs craignaient de ne pas avoir le retour escompté sur la qualité de la viande, mais les résultats sont au rendez-vous. 90 % des animaux sont abattus « à la maison », les 10 % restants étant des ventes de reproducteurs. Les éleveurs ne valorisent en viande que des bœufs d’au moins 30 mois et des vaches âgées entre 4 et 5 ans en moyenne. Les poids moyens après abattage se situent entre 380 et 420 kg de carcasse. La conformation et la note d’état affichent en moyenne R = 3, pour un rendement légèrement supérieur à 60 %. Stéphane a été formé au classement des carcasses de gros bovins. « Nos viandes ont gagné en tendreté depuis que nous abattons à la ferme », apprécie Kathleen qui attribue cette amélioration aux tensions musculaires des dernières heures évitées avant la mise à mort. C’est aussi un travail sur le long cours en matière de sélection génétique. « Parmi nos taureaux achetés pour la monte naturelle, nous prêtons une attention particulière à l’index de persillage et aux longueurs. Plus l’animal est long, plus le train de côte est intéressant », illustre l’éleveuse. Les numéros de lot des animaux correspondent aux numéros de travail. Ainsi, ils savent tout de suite de quel animal il s’agit lorsqu’ils évaluent la qualité de la viande. Régularité, tendreté et persillé sont leurs fers de lance.

« On devient des pros à chaque étape »

Et pour cause, la ferme Eben a de nombreux clients à satisfaire. En plus de leur casquette de tâcheron, Kathleen et Stéphane sont commerçants. Avec l’aide d’un salarié, les éleveurs tiennent en tout huit marchés, en Normandie et en Bretagne. Ils accueillent leur clientèle à la ferme et vendent au détail et en colis sur Internet. La ferme travaille aussi en direct avec des bouchers traiteurs, restaurateurs et une cantine centrale. Chaque semaine, deux bovins et demi sont commercialisés. 60 kg de chaque carcasse sont systématiquement réservés au haché. Tout est valorisé, y compris les abats : foie, cœur, rognons, queue et joue. Ils récupèrent même le gras de rognons pour la fabrication de savons et de suif.

 

 
<em class="placeholder">Produits de la ferme Eben à Ver dans la Manche</em>
Les nombreux équipements présents dans l'atelier de découpe et de transformation permettent aux éleveurs de travailler la viande sous de multiples déclinaisons. © L. Pouchard

L’anticipation des stocks est un exercice difficile. « Il faut savoir gérer la saisonnalité, les périodes scolaires jouent aussi, témoigne Kathleen. Nous faisons en sorte de multiplier les partenaires pour ne pas se retrouver avec trop de morceaux sur les bras. » Pour l’éleveuse, la recette, c’est de ne pas avoir d’intermédiaires. « Nous sommes les seuls décideurs tout au long de la chaîne : c’est la condition de rentabilité de notre système. »

C’est aussi une philosophie de vie pour ces éleveurs, qui apprécient « devenir des pros à chaque étape ». « C’est fascinant de toucher à tous ces mondes », sourit Kathleen.

 

 

 

 

 

Deux chantiers menés de front

 

<em class="placeholder">Atelier de découpe et de transformation de la viande de la ferme Eben à Ver dans la Manche</em>
© L. Pouchard

En parallèle de la construction de l’abattoir à la ferme, un laboratoire de découpe et de transformation, attenant au magasin de la ferme pour la vente directe, a vu le jour. Sa construction a représenté un coût total de 350 000 euros, amorti sur sept ans. L’outil a été agréé par l’État (frais de procédure de demande d’agrément de 3 200 euros), permettant ainsi aux éleveurs de commercialiser leur viande auprès de professionnels, toutes distances confondues. La pièce centrale correspond à la salle de découpe autour de laquelle se trouvent six salles annexes : SAS et chambres froides carcasses, semi-finis, produits finis, séchage et déchets. Le laboratoire dispose également d’une salle pour la confection du haché et d’une autre pour les préparations chaudes. Un boucher et un aide-boucher travaillent à plein temps sur la structure.

Côté éco

Des subventions de la région Normandie et du programme FEDER ont été octroyées à hauteur de 20 % par rapport au coût total de l’abattoir, soit environ 120 000 euros. Également, les éleveurs ont pu bénéficier du même type d’aides (100 000 euros) pour la construction simultanée de leur laboratoire de découpe et de transformation de viande. C’est la chambre d’agriculture départementale qui a chapeauté les dossiers de demande de subventions pour les deux structures.

Fiche élevage de la Ferme Eben

  • SAU de 220 ha d’un seul tenant dont 15 ha de céréales à paille, 15 ha de maïs et le reste en herbe ;
  • Conversion bio en 2022 ;
  • 170 mères inscrites au Herd Book de l’Aberdeen-Angus ;
  • Valorisation en direct de bœufs et de vaches de réforme, vente de quelques reproducteurs ;
  • 1 cheffe d’exploitation, 4 salariés à temps plein et 2 à temps partiel

Découvrez l'abattoir de la Ferme Eben en vidéo

 

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