Haro sur la viande de bœuf en Finlande
Sous les hautes latitudes finlandaises, le bovin est une des rares productions possibles. Mais pour contrer le réchauffement climatique, l’université d’Helsinki vient d’exclure le bœuf des menus. Les éleveurs répliquent.
Sous les hautes latitudes finlandaises, le bovin est une des rares productions possibles. Mais pour contrer le réchauffement climatique, l’université d’Helsinki vient d’exclure le bœuf des menus. Les éleveurs répliquent.
À l’extrême Nord de l’Europe, la Finlande, pays frontalier de la Russie, de la Suède et de la Norvège constate que le climat évolue. Les tempêtes sont plus fréquentes et les hivers moins glacés favorisent les insectes prédateurs des cultures. Seules productions à bénéficier du réchauffement, la forêt et l’herbe poussent davantage. Pour les cultures, le facteur limitant reste la lumière – au Nord du pays, la nuit d’hiver dure trois mois. Même si la température augmente, impossible d’utiliser les semences de pays situés plus au Sud. Les variétés classiques ne sont pas adaptées à une durée de photosynthèse hivernale aussi réduite et les firmes internationales n’ont pas sélectionné sur le critère de la pénurie de lumière pendant une si longue période. Mais le devenir de l’agriculture n’est pas qu’une question de température. Seigle, avoine et pois poussent dans le Sud du pays. Le maraîchage concerne des légumes locaux (pommes de terre, chou, oignon…), des fraises et des myrtilles à la belle saison. Reste l’herbe, valorisée en viande et en lait par les bovins.
Boycott bovin
La nouvelle tombe début octobre. Unicafe, le restaurant de l’université d’Helsinki, qui sert 10 000 repas par jour, annonce le retrait intégral de la viande de bœuf de ses menus à partir de février 2020 et la réduction de moitié des produits laitiers. « L’idée est venue du personnel, lors d’une réflexion sur nos prochaines actions de responsabilisation. On s’est aperçus que c’est une piste pour réduire significativement nos émissions de carbone, déclare Leena Pihlajamäki, directrice générale d’Unicafe. Nos impératifs de prix de repas nous permettaient de proposer uniquement de la viande de bœuf hachée. Elle sera facile à remplacer. Les consommateurs ne vont pas s’en rendre compte. »
Actuellement, le bovin ne représente que 15 % de la viande servie dans les restaurants et cafétérias d’Unicafe, mais cette décision est symbolique et médiatisée. Substituer le bœuf par du porc et des protéines végétales devrait, selon les estimations de cette société de restauration « réduire de 11 % l’empreinte carbone, soit de 240 t par an ». Leurs calculs se basent sur sitra.fi, « fonds pour le futur et le développement durable », qui brandit une infographie selon laquelle la production de 100 grammes de bœuf génère 1,5 kg de CO2, trois fois plus que le porc et dix fois plus que 100 grammes de café. Ces chiffres laissent perplexe, si l’on considère les itinéraires internationaux du café et des aliments pour porcins.
Réplique agricole
La réponse des éleveurs n’a pas tardé. Anne Kalmari, présidente du Comité de l’agriculture et des forêts au Parlement européen, a exprimé sa consternation devant la décision d’Unicafe, la qualifiant d’« incompréhensible et insoutenable ». En effet, « retirer des menus la viande de bœuf produite dans le pays va entraîner une hausse des ingrédients importés et des légumes venus des quatre coins du monde. Il est bon de rappeler qu’aucune huile de soja ou de palme n’est utilisée dans la production de bœuf en Finlande ». Anne Kalmari s’insurge contre « la mafia végétarienne qui tente de priver d’autres personnes du droit de manger ce qu’elles veulent, de les priver d’un régime sain et équilibré, sous le prétexte du changement climatique. » Jan de la Chapelle, éleveur de 120 Holsteins, également montrées du doigt, réplique que « manger écologique et local, c’est manger de l’herbe, donc du bovin ! » Max Schulman, cultivateur et responsable du syndicat Mtk (Union centrale des agriculteurs et propriétaires forestiers) approuve : « le bœuf, c’est de l’herbe transformée, les végétariens peuvent en manger ! »
Angus-tourisme
En 1840, la famille Rehnberg achète la ferme Gårdskulla, à 50 kilomètres à l’Ouest d’Helsinki. Aujourd’hui, Gustav et Heidi Rehnberg, représentant la cinquième génération, possèdent cette exploitation de 600 ha agricoles et 1 300 ha forestiers. Pour valoriser leurs prairies, ils élèvent 130 mères Angus, soit en tout de 350 à 400 têtes dont ils vendent la viande bio en direct à la ferme à 15 euros/kg. Il cultive 50 ha de seigle et autant d’avoine et de pois pour partie utilisés pour compléter des rations hivernales basées sur l’enrubannage récolté à raison d’une à deux coupes par an sur les prairies de l’exploitation. « On ne fait pas de foin tous les ans. Deux jours secs de suite, ce n’est jamais sûr ! » Reste 50 ha de trèfle et luzerne. Le troupeau pâture de mai à octobre. Il passe l’autre moitié de l’année à l’étable « pour ne pas abîmer le sol ». Les vêlages ont lieu de février à mai, en bâtiments.
Gustav Rehnberg a mûrement réfléchi son choix : « en Finlande, la viande bovine vient de races laitières et les bovins de race à viande sont rares. Si vous investissez dans le lait ou le porc, il vous faudra 2 à 3 M€ pour monter une belle structure. Mais produire du bœuf ne m’a pas coûté autant même si j’ai des chambres froides pour la viande. J’ai 56 ans, je ne regrette rien. Je n’aimerais pas travailler dans un bureau à Helsinki. On prend une semaine de vacances en été et deux en hiver. » La décision d’Unicafe l’interpelle : « il faut faire attention à la mode, aux changements de consommation. On devrait insister sur le fait que l’herbe constitue une excellente captation du carbone – mais on ne mange pas d’herbe, on fait donc appel à des bovins pour la transformer », résume cet éleveur finlandais pétri de bon sens.
Atouts locaux
« Les gens qui viennent ici ont une attente différente de ceux qui vont dans les magasins qui vendent la viande 12 €/kg – ici c’est plutôt 17€/kg. Je valorise mieux mes animaux que si je les vendais sur pied à des abatteurs. L’important est de trouver les clients et de ne pas faire de perte dans la découpe », poursuit Gustav Rehnberg.
Ses revenus proviennent pour 40 % des récoltes d’avoine, orge, pois et fèves vendus à des entreprises de l’agroalimentaire. « L’avoine bio 'sans gluten' est à la mode ! » Le reste provient dans les grandes lignes pour 20 % du bœuf, 20 % de la forêt et 20 % du tourisme. Il a aménagé une jolie salle de réunion, décorée avec d’anciennes publicités locales et internationales, à côté d’une salle de restauration prisée des particuliers et des entreprises. Le clou de la visite est un musée agricole de 120 modèles anciens rassemblés par son père, en particulier les tracteurs finlandais Valmet. Il reçoit quelque 5 000 visiteurs par an. La visite vaut 40 euros avec repas et café.
Chiffres clés
La Finlande, c’est :
5,5 M habitants
7 % de terres agricoles et 76 % de la superficie nationale est couverte de forêts
40 ha de surface moyenne pour une exploitation
50 000 exploitations agricoles
893 178 têtes de bovins sont référencées par Faostat en 2017,
278 200 bovins ont été abattus, à 309 kg de moyenne, pour une production de 86 080 t.
La Hereford est la race à viande la plus fréquente. Simmental et Charolais viennent en seconde position.