L’Inde structure sa filière d’export de viande bovine
La production de viande bovine indienne progresse, conséquence de l’essor laitier, et ses échanges commerciaux poursuivent leur structuration. À l’export, l’Inde occupe désormais le 3e rang du marché mondial.
La production de viande bovine indienne progresse, conséquence de l’essor laitier, et ses échanges commerciaux poursuivent leur structuration. À l’export, l’Inde occupe désormais le 3e rang du marché mondial.




Après une accalmie post-Covid, « l’Inde revient en force sur le marché mondial de la viande bovine », décrit Caroline Monniot, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage (Idele). L’Inde a abattu plus de 40 millions de bovinés en 2023 pour une production de viande bovine s’élevant à 4,47 millions de tonnes équivalent carcasse (tec), rapporte l’Idele dans un dossier spécial publié en novembre 2024. Un tiers des volumes (1,55 million de tec) a été commercialisé à l’export, plaçant le pays au troisième rang du marché mondial derrière le Brésil et l’Australie. En 2014, l’Inde occupait la première place. La majorité de la production (2,92 millions de tec) est destinée à la consommation intérieure des populations non hindouistes.
L’expansion du cheptel laitier tire la production de viande
Le cheptel de bovinés, estimé par la FAO et l’USDA autour de 308 millions de têtes, regroupe 54 % de zébus, 32 % de buffles d’Asie, et 14 % de croisements de zébus avec des races européennes à fort potentiel laitier. La grande majorité du cheptel est éclatée sur de petites fermes pratiquant une agriculture vivrière : l’exploitation moyenne possède un peu moins d’un hectare et deux bovinés qui fournissent du lait, de la force de traction et de la fumure.
À l’exception des zébus mâles, souvent utilisés pour la traction et dont l’effectif « s’est replié » au profit de la mécanisation, le cheptel indien n’a cessé de croître pour satisfaire le besoin intérieur en produits laitiers et assurer l’alimentation de la population en pleine expansion démographique. La consommation domestique de viande bovine (deux tiers de la production) provient d’une filière « plutôt hétérogène, fragmentée, peu structurée », avec « beaucoup d’abattages non contrôlés », décrit Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Idele. Il s’agit essentiellement de buffles, « mais aussi des zébus mâles et femelles, car ils ne peuvent pas être valorisés à l’export ». Seul 17 % de la population consomme de la viande bovine, soit près de 250 millions d’habitants. L’hindouisme, qui est la religion majoritaire, interdit en effet la consommation de viande bovine et le «végétarianisme» est également « très répandu » parmi les pratiquants hindous, sikhs et bouddhistes.
Le premier producteur mondial de lait dispose donc d’un excédent de bovinés. « Si l’abattage de viande de bœuf et de zébu est limité pour raisons religieuses, et bien que certains États interdisent tout abattage de bovinés, la production et l’export de buffles restent légaux à travers le pays », rappelle l’USDA. L’Inde exporte donc uniquement de la viande de buffle, également appelée « carabeef ».
Conséquence de la progression anticipée du cheptel laitier, la production de viande bovine et sa disponibilité pour l’export devraient donc continuer de croître dans les années à venir, estiment la FAO et l’OCDE.
Les volumes disponibles pour l’export augmentent
La filière d’export est concentrée autour de trois grands opérateurs : Allana (40 % du marché), HMA (15 %) et HindAgro (10 %) représentent à eux seuls les deux tiers des volumes. Soutenus par le ministère indien du Commerce et de l’Industrie, ces géants industriels développent depuis une quinzaine d’années une filière structurée aux installations modernes et aux normes d’hygiène plus développées, entièrement dédiée à l’export de carabeef. Des méga complexes d’abattage et découpe voient ainsi le jour dans le nord du pays, notamment en Uttar Pradesh où se trouve la majorité du cheptel. « Fin 2023, l’Inde comptait soixante-sept complexes d’abattage-découpe ainsi que treize ateliers de découpe et six abattoirs seuls agréés pour l’export », rapporte l’Idele.

Source : GEB-Idele d'après Department of Animal Husbandry & Dairying (DAHD)
Une fois conditionnée, la viande congelée doit traverser plus de 1 500 kilomètres sur des infrastructures routières « souvent de mauvaise qualité », d’après l’Idele. Contrepartie des installations à proximité du cheptel, les coûts de transport entre les complexes d’abattage et de découpe et le port commercial de Mumbai sont donc élevés.
Une viande compétitive sur les marchés émergents
Sous forme désossée, essentiellement congelée, le carabeef arrive sur le marché à des prix défiant toute concurrence. « À 2,87 dollars américains par kilo (US$/kg) en moyenne sur 2023 (2,66 €), les découpes exportées par l’Inde sont de 1,4 fois moins chères que celles du Brésil (3,89 US$) à 2,6 fois moins que celles des États-Unis (7,43 US$) », chiffre Baptiste Buczinski. Ces prix compétitifs s’expliquent en partie par l’orientation du cheptel : la viande est « un coproduit de la production laitière, donc les coûts de production sont bien inférieurs par rapport aux exploitations spécialisées en viande bovine », souligne l’expert. Mais aussi par les écarts réglementaires : « l’absence de traçabilité en amont des abattoirs, le peu de contraintes concernant le bien-être animal, et un encadrement moins important de l’utilisation des produits vétérinaires et phytosanitaires sont autant d’atouts concurrentiels ».
Par conséquent, les envois de carabeef indien partent majoritairement vers les pays émergents du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est, « peu exigeants en matière sanitaire et à la recherche de viande très compétitive », selon l’Idele. Le Vietnam est la première destination (251 000 tec en 2023), devant la Malaisie (231 000 tec), l’Égypte (213 000 tec), l’Irak (151 000 tec) et l’Indonésie (130 000 tec).
Malgré son poids dans les échanges mondiaux, l’Inde n’est que peu impliquée dans les accords de libre-échange. « Culturellement, la politique indienne est plutôt protectionniste », indique Baptiste Buczinski, afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire du pays. Toutefois, depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, l’Inde a entamé plusieurs négociations commerciales, dans lesquelles elle fait de la viande bovine un intérêt offensif. L’Union européenne figure parmi ses interlocuteurs. « Une conclusion à court terme de l’accord commercial semble de plus en plus illusoire », estime Baptiste Buczinski, qui rappelle que « l’Inde n’est pas autorisée pour le moment à exporter de la viande bovine vers l’UE, en l’absence notamment d’agrément sanitaire ». À moyen terme, l’accès au marché européen « nécessiterait d’importants investissements qui entameraient la compétitivité de la viande indienne ».
La montée du nationalisme hindouiste met la filière bovine sous pression
La religion hindoue donne le statut de « vache sacrée » aux femelles de l’espèce Bos taurus : les zébus et les races bovines européennes, ainsi que leurs croisements. Les zébus et bovins européens mâles, ainsi que les buffles d’Asie mâles et femelles, ne sont pas concernés.
La législation relative à l’abattage des bovinés reflète ces distinctions et la répartition géographique des minorités religieuses. Ainsi, l’abattage de zébus femelles est interdit sur la quasi-totalité du territoire, celui des mâles entièrement interdit les États du Nord-Ouest, et limité aux animaux improductifs dans la plupart des autres États. « La majorité des abattages est donc constituée de bufflonnes et bufflons, dont l’abattage est autorisé sur la quasi-totalité des États, notamment au nord », résume Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Idele.
Depuis l’élection, en 2014, du traditionaliste hindouiste Narendra Modi, les initiatives visant à protéger la vache sacrée se multiplient. « On assiste à un durcissement des lois dans les États où le BJP (1) est majoritaire, souligne l’expert. Les milices de protection des vaches se développent, souvent soutenues par le parti hindouiste, et multiplient les actes violents à l’encontre des abatteurs et des personnes qui collectent les animaux, essentiellement issus de la population musulmane. »