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Des solutions pour sauvegarder « l’abattage paysan »

La possibilité de faire abattre les animaux au plus près des élevages est une donnée clé pour favoriser les circuits courts. Cela contribue à limiter le transport d’animaux vivants et va dans le sens d’une meilleure prise en compte du bien-être animal.

D’après la dernière édition de l’étude « Où va le bœuf ? » publiée par l’Institut de l’élevage en 2019 à partir d’informations et de chiffres collectés en 2017, la proportion des femelles allaitantes valorisées par le biais de la vente directe ou de l’autoconsommation est loin d’être négligeable. En 2017, ces circuits auraient concerné 6 % des génisses et 8 % des vaches allaitantes. C’est pour ces deux catégories de gros bovins que cette proportion est la plus importante. Il n’est malheureusement pas possible de compléter ces données par des informations plus récentes, ni plus anciennes d’ailleurs.

Ce créneau de marché n’était pas évoqué dans la précédente édition de cette étude, publiée en 2015. Les tarifs des femelles finies en 2018, 2019 et tout au long du premier semestre 2020 laissent à penser que les éleveurs qui ont choisi de vendre eux-mêmes la viande d’au moins une partie de leurs animaux finis n’ont pas relâché leurs efforts. Bien des adeptes de la vente directe soulignent qu’ils ne chercheraient pas à développer ce créneau si leurs animaux étaient achetés à des tarifs plus proches de leurs coûts de production.

Or la vente directe est très liée à la possibilité de faire abattre à proximité des élevages. C’est une nécessité pour limiter les frais de transport et d’abattage et favoriser le bien-être animal en limitant les stress liés à des transports sur de longue distance. C’est aussi un argument commercial mis en avant auprès de la clientèle. Ces thématiques ont été abordées au Sommet de l’élevage lors d’une conférence sur « l’abattage paysan » organisée par la Confédération paysanne.

Abattre, désosser, transformer pour mieux valoriser

« Pour nous, cet abattage paysan se caractérise par deux données importantes. La première est de s’appliquer à des animaux dont la viande sera valorisée dans le cadre de circuits courts », expliquait Jacques Alvernhe, ancien directeur d’abattoir et consultant en modes alternatifs d’abattage. Cela concerne la vente directe, mais également les bouchers qui achètent sur pieds directement en ferme. Ce sont ces éleveurs et ces bouchers qui sont les plus investis dans ces abattoirs de proximité. La seconde caractéristique correspond à des outils dans lesquels les éleveurs sont parties prenantes et où ils ont décidé de « mettre les pieds et de s’investir ».

S’investir dans le fonctionnement

Ils doivent pour cela entrer dans la gouvernance de l’abattoir en s’investissant dans une société qui sera en charge de son fonctionnement au quotidien avec les prises de décision à engager pour le faire fonctionner. Cela correspond à un « premier niveau de prise en main ». Mais comme il est devenu de plus en plus difficile de recruter les personnes en charge de faire fonctionner ces outils, le second niveau de prise en main réside dans le fait que des éleveurs puissent s’impliquer dans les différentes tâches à réaliser.

C’est-à-dire que ces éleveurs ne vont plus simplement confier l’abattage puis la dépouille des animaux à des professionnels salariés, mais ils vont réaliser eux-mêmes au moins une partie, voire parfois la totalité de ce travail. « Ils seront ce que l’on appelle aujourd’hui des 'éleveurs tâcherons en abattoir'. Ils viendront faire eux-mêmes l’ensemble du travail : à savoir l’abattage à proprement parler mais également les tâches administratives ainsi que l’entretien et le nettoyage. C’est le second niveau d’implication des éleveurs essentiel à cette notion d’abattage paysan », insistait Jacques Alvernhe. Et même le rendu qualitatif de leur travail est loin d’être en leur défaveur. Leurs connaissances du comportement animal font qu’ils ont les compétences pour manipuler et déplacer les animaux et ils ont forcément intérêt à ce que le travail soit réalisé dans de bonnes conditions. Ils sont les premiers à subir les conséquences d’un abattage défectueux puisqu’ils vendent eux-mêmes la viande des animaux qu’ils abattent.

Le cas des éleveurs tâcherons

Dans un groupe d’éleveurs travaillant en abattoir, tous ne travaillent pas sur la chaîne où les animaux sont abattus, dépouillés puis éviscérés. Le nettoyage et l’entretien des installations sont des postes clés.

Le contexte économique des abattoirs employant des éleveurs est très différent des abattoirs publics gérés par une collectivité locale et employant du personnel salarié. « La rémunération des éleveurs tâcherons dépend du nombre d’heures travaillées. Les charges de personnel – qui représentent en moyenne les deux tiers des charges d’un abattoir ne sont plus des charges fixes, mais variables. » C’est forcément un atout pour adapter ce coût de la main-d’œuvre aux volumes traités et permettre l’équilibre économique.

Autre donnée importante : tous les éleveurs qui ont recours à ce type d’outils ne sont pas obligatoirement des éleveurs tâcherons. C’est en fonction de leurs disponibilités mais aussi de leurs besoins financiers. Faire quelques heures de travail complémentaire est un « plus » non négligeable pour des éleveurs à la tête d’élevages de dimensions modestes, ou en phase d’installation ou qui ont des périodes « creuses » dans leur emploi du temps et peuvent de ce fait s’ils le souhaitent consacrer un peu de temps à une autre activité en lien direct avec le fonctionnement de leurs exploitations.

Solidarité entre éleveurs

« Derrière cette notion 'd’abattage paysan', il y a une notion de solidarité entre éleveurs. Et elle joue dans les deux sens ! D’un côté, il y a des éleveurs qui sont tâcherons pour rendre service. Mais il y a également des éleveurs qui laissent leur place de tâcheron tout simplement car ce travail peut être une source de revenu complémentaire pour certains de leurs collègues. » Pour des jeunes en phase d’installation, cette possibilité d’avoir un travail extérieur à raison en moyenne d’une journée par semaine est parfois un plus pour boucler les fins de mois. Le fait de se retrouvera également un rôle social. « C’est devenu un lieu de rencontres et de discussion. C’est souvent l’occasion de partager un repas ensemble », soulignait Jacques Alvernhe.

Il existe plusieurs exemples de petits abattoirs fonctionnant sur ce modèle, en particulier dans le Sud-Est de la France : Le Vigan (Gard), Guillestre (voir encadré), Die (Drôme), Saint-Bonnet-en-Champsaur (Hautes-Alpes). « Est-ce que ce mode de fonctionnement est transposable. Je pense que oui. Cela correspond à une certaine idée que l’on se fait de la qualité de la viande, de sa traçabilité, du bien-être animal et de l’élevage paysan. Je doute en revanche que ce soit transposable sur des unités traitant des tonnages annuels très importants », expliquait Bernard Leterrier, vétérinaire retraité, ancien maire de Guillestre et une des chevilles ouvrières du redémarrage de l’abattoir de cette commune.

L’exemple de Guillestre dans les Hautes-Alpes

Guillestre est une petite ville des Hautes-Alpes de 2 400 habitants. Son abattoir est depuis 2016 géré par une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). L’abattoir de Guillestre a été construit en 1972. De communal, il est devenu intercommunal à la fin des années 2000. Il a ensuite été rénové et mis aux normes en 2015 avec des travaux qui à l’époque s’étaient traduits par une dépense avoisinant le million d’euros. Compte tenu des charges fixes découlant de cette rénovation, il aurait fallu faire passer les tonnages abattus de 300 à 600 tonnes pour arriver à l’équilibre financier. Un objectif irréalisable. Il s’est rapidement soldé par une faillite, suivie de la fermeture de cet outil.

« Mais en 2016, il y a eu une mobilisation paysanne pour permettre sa réouverture », expliquait Bernard Leterrier, à la fois vétérinaire retraité et maire de Guillestre entre 2008 et 2020. Cela s’est traduit par la mise en place d’une SCIC pour reprendre cet outil. Aujourd’hui, elle totalise 150 sociétaires dont 92 éleveurs, 8 collectivités et 37 individuels. « L’abattoir possède une chaîne bovine et une chaîne ovine auxquelles s’est rajouté il y a deux ans un atelier de découpe essentiellement utilisé par des éleveurs préparant ou faisant préparer des carcasses pour la vente directe. » L’abattoir n’est volontairement utilisé qu’un jour par semaine pour limiter les frais de fonctionnement. Son tonnage est passé de 103 t en 2017 à 134 t l’an dernier (2 500 agneaux, 250 caprins, 150 veaux et 126 gros bovins). « Nous fonctionnons avec 13 éleveurs tâcherons. C’est lié à la difficulté pour trouver le personnel compétent. Je suis régulièrement surpris par le calme et le silence les jours de tuerie. Ils travaillent en équipe, dans une bonne ambiance. C’est aussi un lieu d’échanges », soulignait Bernard Leterrier en ajoutant que si « côté financier on est à l’équilibre » cet outil demeure fragile. Pour autant, il fonctionne et l’une des réflexions du moment est de chercher à mieux valoriser les peaux par une petite tannerie locale.

Quatre familles d’abattoirs paysans

Les « abattoirs paysans » correspondant aux outils de proximité tels qu’ils sont plébiscités dans le cadre des circuits courts et en particulier de la vente directe. Ils se scindent en quatre grandes catégories ; deux d’entre elles ne sont encore qu’au stade de projets.

Les abattoirs fixes. Il s’agit d’abattoirs classiques — le plus souvent anciens outils publics — de dimension modeste, voire très modestes. Ils ont été repris par des collectifs d’éleveurs avec souvent le recours à des « éleveurs tâcherons ». On les rencontre majoritairement dans un large Sud-Est de la France avec par exemple l’abattoir de Guillestre (Hautes-Alpes), Die (Drôme), Saint-Bonnet-en-Champsaur (Hautes-Alpes), Le Vigan (Gard). « Ce sont pour la plupart de très petites unités même si celui de Die approche les 600 tonnes par an », précisait Jacques Alvernhe. La plupart ont la particularité de ne fonctionner qu’un jour par semaine. C’est généralement suffisant pour satisfaire aux besoins de circuits courts sur un territoire donné. Le plus petit abattoir de France entre dans cette catégorie. C’est celui de Saint-Auban-sur-l’Ouvèze dans la Drôme, au cœur des baronnies provençales. « Il fonctionne depuis janvier 2020 un jour par semaine et ne traite que des ovins à raison d’un total de 15 tonnes l’an dernier. Il est géré en Cuma et fonctionne avec 10 éleveurs tâcherons. »

Les abattoirs mobiles. Après avoir vu le jour en Suède, il en existe un exemple en France et plus précisément en Bourgogne où il a été mis en service le 25 août dernier. Il convient également de citer une petite unité mobile mise au point par la société Frappa. Un outil exclusivement utilisé pour les petits ruminants dans le cadre dérogatoire très particulier de la fête musulmane de l’Aïd. Il fonctionne deux jours par an. Il existe trois autres projets dans le Vaucluse, en Lozère et l’Aude. Encore à l’étude, ils ne travailleraient pas de ferme en ferme mais davantage sur le principe du point de rassemblement auprès duquel les animaux seraient amenés sur de très courtes distances.

Les caissons d’abattage. C’est un outil que l’on déplacerait depuis un abattoir jusqu’à une ferme afin de réaliser les étapes depuis l’amenée de l’animal jusqu’à la saignée (voire l’éviscération) en ferme. Il n’y a eu pour l’instant qu’un essai en Loire-Atlantique. (Voir ici.) « Pour développer les caissons, il faut au préalable sensibiliser les abattoirs et les impliquer pour qu’ils acceptent de recevoir des animaux abattus hors abattoir. » Ces caissons seront en quelque sorte un prolongement juridique de l’abattoir. Ils correspondent au souhait d’éleveurs souhaitant continuer à travailler avec les classiques abattoirs fixes de proximité mais en essayant de régler la question du stress et du transport des animaux juste avant l’abattage. Le caisson est donc amené sur la ferme juste avant de contenir l’animal pour l’étourdir et le saigner. Puis l’animal mort simplement saigné, mais ni vidé ni dépouillé, est placé dans ce caisson pour le transporter jusqu’à l’abattoir qui va finir le travail. Ce procédé est plus particulièrement à l’étude en Loire Atlantique où une association (AALVie) abattage des animaux sur le lieu de vie regroupe des éleveurs travaillant sur ce projet.

Un mix des solutions précédentes. C’est ce que l’on appelle des unités de mise en carcasse. C’est un abattoir fixe qui n’aurait pas de bouverie. Il serait approvisionné uniquement par des caissons d’abattage à partir d’animaux qui arriveraient morts dans ces unités, mais simplement saignés donc ni dépouillés, ni éviscérés. Il s’agirait donc d’abattoir fixe mais sans bouverie.

 
Rédaction Réussir

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