Changement climatique : « Le pâturage total contribue à régénérer mes sols »
Depuis quatre ans, Anthony Born, dans le Lot, conduit toutes ses génisses en pâturage total. Cette pratique peu conventionnelle, qui consiste à déplacer les animaux plusieurs fois par jour à un chargement à haute intensité en instantané, a eu des effets positifs immédiats sur la vie du sol et la flore qui composent ses prairies.
Depuis quatre ans, Anthony Born, dans le Lot, conduit toutes ses génisses en pâturage total. Cette pratique peu conventionnelle, qui consiste à déplacer les animaux plusieurs fois par jour à un chargement à haute intensité en instantané, a eu des effets positifs immédiats sur la vie du sol et la flore qui composent ses prairies.
Anthony Born, installé en Gaec avec sa mère, Josiane, et son frère, Alix, font transiter pas à pas leur système vers l’agriculture régénératrice. La culture de céréales a laissé place à celle de l’herbe sur la quasi-totalité du parcellaire et une partie du cheptel est désormais menée en pâturage total. Les éleveurs expérimentent la recherche du bon équilibre pour entretenir la biodiversité, les sols et couvrir les besoins de leur troupeau. « Dans la mise en route de ce cercle vertueux, nous sommes très naturellement revenus aux méthodes de nos anciens », explique Anthony. L’étude empirique des bouses les guide pour ajuster la conduite alimentaire.
La fétuque élevée choisie comme base
« Notre exploitation a la particularité d’être scindée en deux sites distants de 20 kilomètres, à Reyrevignes dans le Lot et à Capdenac dans l'Aveyron », situe l’éleveur. La ferme aveyronnaise, historiquement en polyculture élevage, ne compte plus qu’un hectare de maïs. Sur le site du Lot, tout près des causses du Quercy, les 20 hectares de blé et d’orge, en rotation avec la luzerne, ont été remplacés il y a sept ans par des prairies multiespèces. « On souhaite, à terme, que nos vaches profitent d’une alimentation uniquement à base d’herbe », reprend Anthony, qui fait le lien avec le passage tout récent de l’exploitation en agriculture biologique.
Ce changement de cap est allé de pair avec l’ajustement de la méthode de pâturage. « En pâturage tournant dynamique depuis déjà quelques années, je cherchais la bonne recette pour sécuriser à la fois la pousse automnale et produire suffisamment de stock pour passer l’hiver. » Les échanges avec le formateur américain Jaime Elizondo, qui lui vante les mérites de la fétuque élevée pour pâturer l’hiver, le convainquent à se lancer. « Cette graminée s’avère particulièrement intéressante pour constituer du stock sur pied à cette saison. Même quand elle jaunit, elle ne perd pas sa valeur alimentaire », évoque Anthony. Semée à 14 kilos par hectare, la fétuque élevée, à feuilles souples, est associée à un mélange multiespèce de RGA, RGH, trèfle blanc, lotier corniculé et luzerne sous couvert d’avoine et trèfle incarnat. « L’objectif est de ne plus intervenir sur ces prairies, en comptant sur le re-semis naturel et l’impact des sabots pour faire lever la dormance de graines indigènes. »
« Il faut que les animaux comblent tout l’espace »
Pour accompagner cette transition, Anthony redimensionne son parcellaire — qui a l’avantage de tenir en un seul bloc — de sorte à garder 50 % de ses surfaces pour pâturer l’herbe fraîche au printemps et les stocks sur pied l’été, le reste étant réservé pour la fauche et pour les stocks sur pied l’hiver. « Pas une année ne se ressemble sur le plan climatique alors je procède à des ajustements permanents », dit-il. « Au cours des trois années précédentes, je m’étais rendu compte qu’il me fallait au moins 25 hectares de stock sur pied hivernal pour faire pâturer 60 à 68 génisses, avec une complémentation anecdotique de dix bottes de foin de 350 kilos. Cette année a été plus compliquée compte tenu des deux sécheresses consécutives et de l’excédent pluviométrique. J’ai dû nourrir 67 génisses sur 60 jours, à raison de deux bottes par jour pour ne pas abîmer mes sols. 23 génisses de renouvellement ont tout de même passé tout l’hiver dehors uniquement sur des stocks sur pied », relate Anthony.
Pas toujours évident de lier théorie et pratique mais Anthony s’emploie à débuter le déprimage de ses prairies le plus tôt possible au printemps. « Pour ne pas se laisser déborder, il faudrait, dans l’idéal, avoir déjà effectué un tour complet avant le début du mois d’avril mais je manque d’effectifs », indique l’éleveur. Ce dernier vise un retour entre 45 et 60 jours. Ce temps de repos rallongé permet à des graminés plus longues à s’implanter de coloniser naturellement les prairies.
Au quotidien, les lots sont déplacés trois à quatre fois — contre deux auparavant, pour un chargement moyen à 1,33 UGB par hectare. « Selon l’attitude de mes bêtes et le remplissage de leur panse, j’ajuste la surface à allouer », détaille Anthony. Ce dernier ne remet pas de fil arrière lors du deuxième et troisième déplacements, pour laisser la possibilité aux animaux de revenir à l’abreuvoir. « Lorsque j’arrive le matin, le but est que l’herbe soit rase sur l’intégralité du paddock », explique l’éleveur, avant d’ajouter : « Ce raisonnement vaut lorsque le temps est sec. En période pluvieuse, le risque de salissement de l’herbe, mais aussi de parasitisme, est accru. Il faut accepter d'avancer en laissant davantage de résiduels. »
Pour Anthony, « le fait de serrer les animaux sur de petites surfaces et de les déplacer plusieurs fois par jour contribue à ralentir le cycle de rotation et à constituer davantage de stocks ». Les animaux reviennent dans les premiers paddocks quand la plante a pleinement reconstitué ses réserves, au milieu de flambée de croissance de la prairie. Certaines troisièmes feuilles commencent à être sénescentes, donne comme repère Anthony. Au global, les performances à l’abattage (poids et rendement carcasse) se tiennent, encourageant les éleveurs à étendre cette pratique de pâturage total à d’autres lots : « la trentaine de bœufs et les vaches de réforme qui pâturaient jusqu’ici sur les parcelles les plus éloignées, à Capdenac dans l’Aveyron, vont rejoindre nos génisses sur le site du Lot pour simplifier la gestion de lots », projette Anthony.
Pour conforter ses pratiques et progresser, la ferme Mas D’aillès fait partie d’un groupe d’échanges sur le pâturage régénératif. Ses membres souhaitent définir une ligne de route commune et s’appuyer sur un coordinateur du réseau. « Nous sommes convaincus que le pâturage total aggrade(1) davantage en comparaison aux autres méthodes, mais nous devons nous appuyer sur des résultats chiffrés, via des analyses de sol notamment, pour le démontrer », conclut l’éleveur.
Chiffres clés
- 200 ha de SAU, dont 100 ha de STH d’un seul tenant à Reyrevignes
- Le site du Lot se caractérise par des sols très argileux, et des zones humides
- 110 mères limousines en système naisseur engraisseur
- Vente directe de génisses de boucherie et de bœufs abattus à 3 ans et de vaches de réforme
- 3 UTH
Manon Tyssandier, chargée de gestion écologique au conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie
« Une biodiversité extraordinaire »
« Le Gaec Mas D’aillès fait partie du réseau de fermes pilotes dans le cadre du projet Life Biodiv’paysanne, coordonné par le conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie. Ce projet s’appuie sur un partenariat avec des acteurs engagés composé d’associations environnementales, de collectivités, de gestionnaires d’espaces naturels, de centres de formation, d’acteurs du monde agricole et d’agriculteurs, qui œuvrent pour une transition agroécologique de leurs méthodes de production. Un état initial agro-éco-socio de l’exploitation est réalisé la première année. En résultent des préconisations de gestion pour la conservation du patrimoine naturel de l’exploitation en prenant en compte les pratiques agricoles. Le diagnostic réalisé sur le Gaec du Mas D’aillès a mis en lumière une biodiversité extraordinaire : sur l’ensemble du parcellaire, 264 espèces de flore et 247 espèces de faune ont été recensées dont quatre oiseaux et trois amphibiens menacés d’extinction en Occitanie. Une sauterelle très rare sur ce territoire et trois papillons de jour protégés par la loi ont également été identifiés sur la ferme. »
Un travail de fond sur la génétique
Pour les éleveurs, la génétique du troupeau doit impérativement être adaptée à la méthode de pâturage choisie. « Les femelles qui se montrent trop sélectives quand l’herbe offerte est moins qualitative, perdent en état et ne parviennent pas à se retaper au printemps sont écartées au fur et à mesure », indique Anthony. Les exploitants travaillent sur la sélection génétique de gabarits plus légers, de sorte à abîmer le moins possible le sol, notamment en conditions humides. Une meilleure robustesse sur le plan parasitaire est un autre critère de choix.