Au Brésil le bétail est coté en bourse
À São Paulo, le bétail fini est coté en Bourse. Sur ce marché à terme s’échangent des lots d’animaux. Un outil de gestion utilisé par les engraisseurs et les industriels.
À la bourse de São Paulo, on parle le même langage qu’à Chicago. Ici comme là-bas, une catégorie de bovins fait l’objet de contrats qui passent de mains en mains. Il en va de même pour le café, le sucre, l’éthanol, le soja, le maïs et bien d’autres « commodities » (matières premières) agricoles. Qui émet ces contrats ? Qui les achète ? Qui en profite ? De quoi s’agit-il exactement ? Un contrat « boi gordo » (bétail fini, en portuguais) porte sur près de 5 000 kg carcasse (4847,7 kg) provenant d’un lot de zébus Nélore castrés pesant entre 450 et 550 kg (vif) et âgés de 42 mois maximum. Ces contrats sont échangés entre particuliers ou entreprises par l’intermédiaire d’une société de courtage associée à la Bourse de marchandises et de valeurs de São Paulo (BM&F).
SÃO PAULO, RÉFÉRENCE NATIONALE
Le premier contrat du genre fut créé en 1964 à la bourse de Chicago. À São Paulo, cela se produisit en 1980. À l’époque, le contrat se liquidait à la livraison physique du bétail. Mais en 1994, quand la Bourse des marchandises de São Paulo a fusionné avec la Bourse de valeurs, cette liquidation est devenue financière. En 2000, la monnaie de référence des contrats, qui était le dollar étatsunien, est devenue le real brésilien. Les spéculateurs représenteraient au moins 80 % des acquéreurs des contrats. Mais pour les engraisseurs et les industriels, ces contrats sont avant tout un outil de gestion. Il permet aux premiers d’assurer leur prix de vente des mois à l’avance. En fonction de ce prix, les engraisseurs achètent leurs animaux maigres et ajustent les rations pour viser la meilleure marge possible. Les industriels couvrent de cette manière leurs approvisionnements. Ils peuvent ainsi s’engager vis-àvis d’un client importateur, par exemple, et négocier avec lui en fonction du cours du bétail à la Bourse.
LE COURS DE LA BOURSE INDISSOCIABLE DU MARCHÉ PHYSIQUE
« Plus le nombre d’acheteurs est important, plus le marché est stable », assure Fabiana Perobelli, responsable produits à la BM&F. Et plus la Bourse y gagne ! Si la commission prélevée par la société de courtage ayant l’aval de la Bourse, autorité garante des échanges, sur chacune des transactions effectuées reste modeste (moins de 1 %), celle-ci est multipliée autant de fois. Mais le prix du bétail à la Bourse dépendra toujours de son évolution sur le marché physique. Parmi toutes les marchandises agricoles échangées à la bourse de São Paulo, le bétail est celle qui génère le plus de contrats (1,3 million de contrats négociés en 2010 dont la valeur totale cumulée fut de 17 milliards d’euros !). Pour les gestionnaires de la Bourse, il permet donc d’engranger davantage d’argent que le café et le soja réunis. « Un tel succès s’explique par l’existence d’un marché physique très important, explique Fabiana Perobelli. Après la filière du soja, le complexe viande bovine est le deuxième plus important du pays en termes de facturation. » Fait intéressant, qu’elle raconte : « en 2002, la Bourse a lancé un nouveau contrat qui portait sur du bétail maigre. La valeur du contrat ne s’exprimait pas en reais par kilo carcasse, mais en reais par animal. Les animaux en question devaient peser entre 170 et 200 kilos et être âgés de 8 à 12 mois. Mais ce produit financier n’a pas trouvé son public. Il a été supprimé en 2007. Une des raisons de cet échec est que contrairement à la commercialisation des animaux finis, celle d’animaux maigres est encore peu développée et très atomisée », précise-t-elle. N’y a-t-il pas le risque, à l’image du marché des céréales, de voir les spéculateurs parier à la hausse ou à la baisse des prix du bétail au gré des sécheresses et crises économiques ou sanitaires ? Cela accentuerait- il la volatilité des prix du bétail sans tenir compte des coûts de production sur le terrain ? La réponse de Fabiana Perobelli est mesurée : « Nous n’avons pas encore de réponse définitive. Notre point de vue est que le prix de la viande de boeuf est appelé à augmenter pour des raisons structurelles qui sont hors de notre portée. La Bourse ne fait que refléter, à la rigueur anticiper, cette hausse. »
LIMITER LES RISQUES DE PRIX
L’activité d’élevage, la transformation et la commercialisation de viande comportent en effet des risques liés aux prix. Or, ces risques peuvent être minimisés sur le marché à terme. Pendant la période d’engraissement, le prix du bétail fini varie selon différents facteurs qui conditionnent l’offre et la demande : l’évolution des prix du porc et du poulet, le prix des aliments pour animaux, un marché d’exportation qui s’ouvre ou se ferme pour des raisons sanitaires, etc. L’engraisseur peut se retrouver dans une situation où son prix de vente ne rémunère pas son activité ou ne couvre même pas ses coûts. Notons que l’essor de l’activité d’engraissement en parc où les animaux sont finis à l’auge garantit un approvisionnement plus régulier en bétail fini que les systèmes 100 % herbagers. Cette évolution des conditions de finition facilite le bon fonctionnement d’un tel marché financier. Mais aujourd’hui encore, au Brésil, le cas de São Paulo est unique. Le marché du bétail y est particulièrement bien organisé. Le cours du bétail à São Paulo sert d’ailleurs de référence nationale.
LA BOURSE EST LÀ POUR ÊTRE UTILISÉE
« Les engraisseurs en parc de l’État de São Paulo ont recours au marché à terme pour assurer leur prix de vente et ainsi mieux travailler, explique l’expert Alex Lopez da Silva, du cabinet Scot Consultoria. Les spéculateurs veulent simplement gagner de l’argent ». Il insiste sur le fait que le cours du bétail à la Bourse est sous l’influence directe des prix du marché physique. « Les valeurs ne sont pas déconnectées », souligne-t-il. « Au sud du Brésil, la période d’offre importante de bétail va de janvier à juin. Les prix sont plus élevés au deuxième semestre, quand il y a moins d’animaux finis. Ces jours-ci (avril dernier, NDLR), le prix du bétail fini à São Paulo est de 101 reais l’arroba (unité de poids utilisée pour les bovins), soit 3,12 euros/ kilo carcasse pour des bouvillons de bonne qualité. Si ce prix convient à un engraisseur, il peut en bénéficier dès maintenant. Les engraisseurs devraient davantage se servir de cet outil. La Bourse est là pour être utilisée ! » Les industriels aussi y trouvent leur compte. Anticipant leurs approvisionnements en achetant ces contrats de « bétail fini », ils peuvent faire un budget prévisionnel qui couvre ce coût. Toutefois, ils restent exposés au risque lié au taux de change des devises real/dollar. Si le dollar se déprécie par rapport au real, l’exportateur y perd car il achète son bétail en reais et facture la viande en dollars.
Exemple d’une opération
À São Paulo comme partout, l’activité d’engraissement commence avec l’achat du bétail maigre. Mettons qu’un engraisseur achète de jeunes zébus Nélore maigres de 360 kilos à 532 €/tête, soit 1,47 € le kilo (NDLR: chiffres d’avril dernier). La phase d’engraissement dure 180 jours répartis entre 90 jours à l’herbe et 90 jours en parc. Le coût de la ration s’élevant à 1,73 €/jour/ animal, auquel il faut ajouter le coût de l’engraissement à l’herbe et les coûts structure du parc d’engraissement. La seule ration sur les 90 jours de finition coûte donc 156 €/tête. Ajouté au prix d’achat de l’animal, cela fait 688€/tête. Or, le jour où il fait ses comptes, l’engraisseur voit qu’avec un prix du bétail à 3,12 €/ kilo carcasse, ou 1,62€/kilo vif, (frais de courtage compris), il facturerait 861 € pour un animal de 531 kilos vif (avec un rendement de 52 % donnant une carcasse de 276 kilos). L’engraisseur connaissant l’intégralité de ses coûts de production sait donc à l’avance ce qu’il peut gagner par tête à quelques réais près. En émettant un contrat sur son bétail à la Bourse à travers une société de courtage, il évite de naviguer à vue pour la conduite de son entreprise.