Comment la filière bovine italienne vit-elle le contexte européen actuel ?
Edigio Savi - En 2023, l’Italie a importé 55 % de sa consommation de viande bovine. Notre cheptel laitier se maintient, mais le nombre d’élevages allaitants et d’engraisseurs diminue. Sur 1,4 million de bovins abattus en Italie, 65 % sont nés dans d’autres pays et engraissés sur notre territoire, principalement en Italie du nord et dans la plaine du Pô. Dans ces zones, les exploitations qui résistent sont celles qui disposent des surfaces en maïs nécessaire à l’alimentation des bovins, mais aussi d’installations modernes - de méthaniseurs - qui permettent de dégager des marges et de faciliter l’installation des jeunes. Ces fermes s’inscrivent dans des filières organisées : les éleveurs nous achètent les broutards et nous revendent les jeunes bovins.
Aujourd’hui, le manque de broutards se fait sentir sur le marché et dans nos ateliers. Nous avons pu compenser en partie, car les supermarchés recherchent des produits nés, élevés et abattus en Italie. Mais cela reste un débouché de niche. Pour que notre filière perdure, nous avons besoin que la France continue à produire des veaux.
Près de 90 % des broutards engraissés en Italie sont d’origine française.
Quel regard portez-vous sur la hausse du prix des broutards en 2024 ?
E.S. - En 2024, le prix des broutards a gagné entre 1 et 1,50 euro du kilo vif. C’est un bon signal, qui doit se poursuivre afin que les éleveurs français puissent vivre de leur métier. Les prix de la viande en Italie ont progressé eux aussi et permettent de répercuter la hausse des broutards tout en couvrant nos coûts de production.
En revanche, nous ne comprenons pas pourquoi les prix des jeunes bovins français sont inférieurs, d’environ 40 centimes par kilo de carcasse, à ceux engraissés en Italie, alors même que nous achetons plus cher les broutards. Nos systèmes de production, nos conduites alimentaires se ressemblent pourtant… Il faut que les éleveurs, français comme italiens, soient rémunérés à la hauteur de leur travail. Les prix des jeunes bovins français doivent rejoindre les prix italiens, et continuer à progresser afin d’intégrer non seulement les coûts de production, mais également les risques inhérents à l’élevage (aléas sanitaires, de reproduction…). Nous commençons d’ailleurs à intégrer ces risques dans nos négociations commerciales.
Comment se dessine l’avenir de nos filières selon vous ?
E.S. - La France est le territoire de production de bovins par excellence, et notre premier fournisseur de broutards (près de 819 000 têtes en 2023, soit plus de 90 % des importations de maigre). Par conséquent, la réorientation des aides bovines françaises pour favoriser l’engraissement nous inquiète : nous craignons que ce parti pris accentue le manque de broutards. Outre notre activité d’engraissement, cela pourrait à terme baisser le prix de la viande bovine en Italie si un manque de jeunes bovins devait nous mener à en importer de France de manière plus conséquente. Aux tarifs actuels, ils concurrenceraient directement notre production. La filière italienne serait alors doublement pénalisée.
Je crois très fort en le partenariat franco-italien. Nous devons lier la production française avec notre engraissement. En tant qu’importateur, le groupe Parma est prêt à monter une filière d’élevage auprès des naisseurs français, comme nous l’avons déjà fait avec le groupe coopératif agricole Capel.
Vous restez donc optimiste ?
E.S. - Oui. J’ai de l’espoir, nous allons nous battre pour installer des jeunes, dégager les marges programmées, et pérenniser notre savoir-faire et notre culture de la viande. Le marché mondial de la viande bovine est en expansion : les pays tiers consomment davantage. Si l’offre reste inférieure à la demande, les prix continueront à augmenter. C’est une opportunité à saisir, à condition de ne pas noyer la production bovine européenne dans une surenchère de normes alors que l’élevage européen est déjà parmi les plus respectueux au monde. À ce sujet, la filière italienne partage sur de nombreux points l’avis de la Fédération nationale bovine, que nous avons rencontrée en décembre dernier. Dans le combat politique aussi, nos filières sont partenaires.