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Anne-Cécile Suzanne : « Aujourd’hui les agriculteurs ne savent pas ce qu’on attend d’eux »

Dans son livre « Les sillons que l’on trace » récemment publié chez Fayard, Anne-Cécile Suzanne retrace son parcours pour le moins atypique. Alors qu’elle ne s’y destinait pas, elle a été, à l’âge de 20 ans, dans l’obligation de reprendre l’exploitation familiale lorsque son père est tombé gravement malade. Elle a dû, dans un milieu totalement inconnu, faire face aux tâches quotidiennes qui incombent à un éleveur mais aussi affronter de multiples difficultés qui ne l’ont pourtant pas découragée. En vraie battante, elle est même parvenue à poursuivre ses études et a réussi Sciences Po. Aujourd’hui elle mène deux carrières de front : agricultrice en Normandie et consultante pour les acteurs de l’alimentaire à Paris. Très engagée dans les médias et en politique, elle a toujours à cœur de défendre le métier d’agriculteur. Elle nous explique ses motivations et ses réflexions sur l’agriculture d’aujourd’hui.

interview anne cécile suzanne
© Alexis Dufumier

Pourquoi avoir écrit « Les sillons que l’on trace » ? Est-ce que c’était un besoin ?

Je l’ai écrit pour différentes raisons. Je prenais beaucoup la parole dans des tribunes publiées dans la presse mais il s’agit d’un format court, ce qui restreint ce qu’on veut dire. En écrivant ce livre, j’ai voulu expliquer de façon posée et plus longue mon amour pour l’agriculture et montrer que ce métier d’agriculteur est important pour la personne qui l’exerce. Je voulais aussi dénoncer des choses qui m’ont marquées dans mon parcours comme le préjugé qui veut qu’un agriculteur c’est être un homme de plus de quarante ans. Je voulais enfin montrer les aspects positifs et négatifs de ce métier et transmettre ce que j’avais pu en apprendre.

Lire aussi : Itinéraire atypique d’une éleveuse passionnée

L’écriture de ce livre vous a-t-elle donné envie d’en écrire d’autres sur le sujet agricole ?

J’a pris plaisir à l’écrire et c’est le retour des lecteurs qui me remercient d’avoir exprimé le quotidien d’un agriculteur, et plus particulièrement d’un éleveur, qui me donne envie d’en rédiger un autre. Mais encore faut-il en avoir le temps ! Peut-être raconterai-je l’histoire de mon grand-père, agriculteur pendant la seconde guerre mondiale, en montrant à quel point l’histoire nous explique aussi le présent. Mais ça ne sera pas avant 2025 !

Vous n’étiez pas préparée à reprendre l’exploitation même si enfant vous avez passé beaucoup de temps avec votre père, quelles tâches vous ont semblé les plus difficiles ?

Ce qui m’a paru le plus difficile c’est de ne pas savoir comment faire. C’est le côté opérationnel des choses qui était le plus dur. Il y a de la logique dans ce qu’on fait quand on est agriculteur et moi je n’avais pas cette logique, c’est pour cela que je me suis un peu fait mal, physiquement, au début. L’agriculture ne pardonne pas quand on s’y prend mal. La ferme et les équipements n’étaient pas faits pour moi, mais pour mon père.

Si c’était à refaire, dans le contexte actuel, choisiriez-vous encore de reprendre la ferme familiale ?

Oui assurément, mais l’équation serait un peu plus complexe parce que maintenant j’ai un enfant en bas âge. Je le referais parce que ça m’a créé un parcours de vie incroyable, ça m’a ouvert un champ que je ne soupçonnais pas.

Seriez-vous inquiète ou ravie si votre fille vous dit un jour qu’elle souhaite reprendre l’exploitation ?

Je fais tout aujourd’hui pour que je ne sois pas inquiète si un jour ma fille décide de s’installer à la ferme. L’objectif c’est qu’on ait dans dix ou quinze ans un métier d’agriculteur qu’on puisse embrasser sereinement. A court terme, on a de quoi s’inquiéter mais le défi est hyper important…. et enthousiasmant !

Justement, quel regard portez-vous sur l’agriculture actuelle ?

Au sortir de la deuxième Guerre mondiale, on a dit aux agriculteurs de produire plus, pour nourrir la population et mettre fin à la pauvreté alimentaire : c’était enthousiasmant ! Puis, dans les années 1980, on leur a demandé de produire moins, on a ajouté des normes… Mais sans donner de nouvelle vision à l’agriculture. Aujourd’hui, les agriculteurs ne savent pas ce qu’on attend d’eux. Il faut redonner une nouvelle vision à l’agriculture tant au niveau français qu’européen.

Partout en France, les agriculteurs ont manifesté leur colère. Que faudrait-il faire pour que le monde agricole se porte mieux ?

Lui donner une marche à suivre et lui dire là où on veut l’emmener. Il faudrait clairement dire aux agriculteurs ce qu’on veut faire, et prévoir ensuite un budget assorti aux objectifs fixés.

Selon vous, cette colère qui ne semble pas calmée par les différentes annonces gouvernementales, va-t-elle  à nouveau s’exprimer lors du Salon de l’agriculture qui ouvre ces portes ce samedi ?

La colère n’est pas apaisée. J’ai l’impression qu’on s’est dit qu’avec quelques annonces qu’on allait contenter les agriculteurs. Mais non. Il faut donner la direction à prendre avec un budget alloué filière par filière. Il y a beaucoup de discours en matière agricole mais ni dates ni actes. L’agriculture française a besoin d’une feuille de route précise avec des engagements datés et d’un débat impliquant les consommateurs. Les agriculteurs souhaitent par ailleurs qu’on fasse appliquer les normes miroirs qui existent, qu’on en crée d’autres et qu’on regarde ce qui se passe en amont, du côté de ceux qui fournissent le monde agricole et pourquoi leurs prix augmentent.

Pensez-vous que les agriculteurs sont incompris ?

Oui et non. Leur métier n’est pas compris du grand public et des politiques même si les agriculteurs reconnaissent de plus en plus qu’ils ont une grande responsabilité à se faire comprendre. Ils doivent s’ouvrir encore plus. Aujourd’hui les prises de parole se multiplient et c’est bien. On voit d’ailleurs que pendant les manifestations les agriculteurs ont eu le soutien du grand public, peut-être aussi parce que ce dernier rencontre également des difficultés similaires à celles des agriculteurs dans la vie quotidienne.

Quels conseils donneriez-vous à une personne  souhaitant s’installer ?

Je lui conseillerai d’avoir foi en ses convictions, de toujours y aller à fond, d’être ouvert au monde et à ce qui existe aussi sur le territoire, de travailler avec les autres et l’écosystème. On fonctionne toujours mieux en équipe, c’est aussi un moyen de s’enrichir. Les jeunes générations ont bien compris qu’il est plus intéressant de travailler à plusieurs mais il y a aussi une forte montée de l’individualisme, c’est ce qui est un peu inquiétant.

Vous menez de front deux carrières, comment vous organisez-vous ?

Au prix d’une grande flexibilité, je n’ai pas d’emploi du temps calé. Je m’adapte aux impératifs de mes deux emplois. Au départ, on m’a dit que je n’y arriverai pas, mais cela fait dix ans que j’y parviens ! Pour ce qui est de l’exploitation, heureusement que je travaille en équipe avec deux collaborateurs à plein temps. Mais c’est si difficile de recruter ! Pour faire tourner une ferme, il ne faut pas compter ses heures, surtout en élevage, mais les jeunes générations ne l’entendent pas de cette oreille. Le grand sujet est de savoir comment on fait pour que le métier soit compatible avec les exigences des nouvelles générations d’agriculteurs, installés et salariés.

Que pensez-vous de la place des femmes en agriculture ?

Il n’y a pas eu un moment où j’ai ressenti une inégalité en tant qu’agricultrice. Là où je vois un plafond de verre c’est dans les instances de décision agricoles, la FNSEA et les coopératives agricoles qui sont toutes encore très peu féminisées. Il est difficile d’intégrer ces milieux masculins parce qu’on rompt des habitudes et que nous n’avons pas les mêmes codes. Un autre plafond de verre est celui de la maternité. Pour ma part, j’ai dû travailler jusqu’au dernier jour, faute de remplaçant. On se met en danger quand on est enceinte en élevage ou dans les champs, secouée sur son tracteur. Il existe clairement un problème avec le remplacement car même si l’on peut toucher des indemnités à la place, nous ne sommes plus protégées en cas d’accident du travail. Il est impératif de se pencher sur l’attractivité pour trouver des remplaçants afin de protéger les femmes quand elles sont arrêtées. On est trop parti du principe que les femmes avaient leur mari au sein de l’exploitation pour les aider alors que c’est de moins en moins le cas.

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