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Un plaidoyer pour la beauté des accents

Co-auteur avec Jean-Michel Apathie de « J’ai un accent et alors ? », le journaliste Michel Feltin-Palas dénonce les discriminations liées aux accents régionaux et son corollaire : l’uniformisation linguistique

© Marie Barlois

Rédacteur en chef à L’Express, Michel Feltin-Palas est un fervent partisan de la diversité culturelle et des langues dites « régionales », dont l’existence même est aujourd’hui menacée. Hasard du calendrier, son dernier ouvrage « J’ai un accent et alors ? » (coécrit avec Jean-Michel Apathie), coïncide avec la nomination au poste de Premier ministre de Jean Castex, dont l’accent gersois assumé a provoqué un torrent de plaisanteries douteuses dans les médias et sur Internet.

À peine nommé Premier Ministre, Jean Castex a vu son accent moqué par certains commentateurs et dans les réseaux sociaux. Votre livre tombe à point nommé ?
C’est un hasard mais cela rejoint en effet le sujet du livre, qui est le fruit d’un long travail. Au moment où j’ai commencé à enquêter, Jean-Luc Mélenchon venait de se moquer de l’accent d’une journaliste qui l’interrogeait. Les moqueries visant Jean Castex sont du même ordre et soulignent les problèmes que la France entretient avec la diversité linguistique. Dans notre pays, tout le monde devrait parler de la même manière, c’est absurde !

Vous pointez du doigt les a priori que véhiculent les accents…
Trop souvent en France, quoi que vous disiez, si vous parlez avec un accent régional on ne s’intéresse pas au fond mais uniquement à la forme. Les médias sont particulièrement touchés par ce phénomène : dans les écoles de journalisme, on apprend très tôt aux étudiants à se débarrasser de leur accent. S’ils refusent, on leur explique qu’ils pourront faire carrière dans la presse écrite mais pas dans l’audiovisuel. Les médias ne sont pas les seuls touchés : on n’entend jamais l’accent gascon ou corse à la Comédie française par exemple.

Dans votre livre, vous expliquez que le monde du travail est particulièrement touché…
Un sondage commandité par notre éditeur, Michel Lafon, et Mag Centre révèle que 10 millions de Français estiment avoir été discriminés en raison de leur accent au cours de leur carrière professionnelle. 17 millions de personnes disent être moquées au quotidien en raison de leur accent. C’est effarant ! À ses débuts à RTL, Jean-Jacques Bourdin s’est entendu dire qu’il ne ferait pas carrière dans le journalisme, sauf à commenter des matchs de rugby, car il avait l’accent des Cévennes. Même chose pour Jean-Michel Apathie, qui pensait faire une carrière dans la presse écrite à cause de son accent basque. Comme si l’on ne pouvait pas traiter à la télévision ou à la radio les sujets dits « sérieux » avec un accent régional ! C’est d’une stupidité totale, et cela questionne la notion d’égalité que prône notre République.

Comment expliquez-vous les relations compliquées que la France entretient avec ses accents ?
On oublie qu’il n’y a pas si longtemps, pendant la Guerre de 14-18, les Poilus parlaient d’autres langues que le français et sont morts pour la patrie. Or les accents sont justement la trace des langues régionales. Les Basques, les Bretons, les Alsaciens ont transposé dans leur deuxième langue, le français, les intonations de leur langue d’origine. La France est donc bien un pays plurilingue. Or il règne dans notre pays une forte intolérance culturelle, doublée d’une méconnaissance totale de la réalité des langues régionales. Cela aboutit à de véritables discriminations professionnelles, comme nous le montrons dans ce livre.

Pour vous cette intolérance est le signe d’un mépris ?
Oui, et même d’un double mépris : géographique, envers la « province », et social. Cet accent standard qu’on essaie de nous imposer n’est qu’un des accents parisiens, celui de la bourgeoisie parisienne. L’accent populaire de Paris est très différent. Le problème, c’est que, trop souvent, le sujet des accents n’est pas considéré comme « sérieux » donc on n’y réfléchit pas. Les réactions autour de notre livre me prouvent au contraire que c’est un vrai de sujet de société…

Vos origines béarnaises vous ont-elles apporté une sensibilité particulière sur cette question ?
J’ai compris très jeune que l’accent, c’est toujours celui de l’autre. À Paris, où j’ai grandi, c’est ma mère qui avait un accent. Dans le Béarn, c’est mon père, parisien de naissance, qui avait un accent. En soi ce n’est pas très grave. C’est un problème quand les accents sont tournés en ridicule ou quand la pression sociale conduit à les gommer pour être accepté.

Vous avez tout de même l’espoir que les accents soient mieux acceptés, notamment dans le monde du travail ?
La nomination de Jean Castex apporte la preuve que l’on peut accéder à de hautes responsabilités sans trahir son accent. Cela doit permettre d’aller à l’encontre des idées reçues et de contredire ceux qui les perpétuent. Il est bien évident qu’on peut parler avec l’accent gascon et être compétent… ou inversement, être incompétent et parler avec l’accent bourgeois de Paris. J’espère qu’il y aura une prise de conscience. Après tout, il n’y a pas si longtemps, on disait aussi que le droit de vote des femmes n’était pas un sujet sérieux. Et puis on vante tellement l’exception culturelle française, il va bien falloir commencer à l’appliquer chez nous !

« J’ai un accent et alors ? » par Jean-Michel Apathie et Michel Feltin-Palas, éditions Michel Lafon, 239 pages

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