Un marché foncier sous pression mais qui reste orienté vers l’installation
Éclairage sur le marché foncier agricole dans le Cantal. Un marché où la concurrence est vive, mais qui reflète une agriculture encore nombreuse et dynamique.
Dans le cadre des animations pour fêter son cinquantenaire, après une première soirée sur le climat avec Isabelle Autissier au printemps dernier, le lycée agricole Pompidou d’Aurillac a organisé la semaine dernière une table ronde sur un sujet sensible, voire passionnel, celui du foncier agricole, appréhendé notamment au travers de son lien avec l’installation. L’occasion de brosser un tableau précis du marché foncier dans le Cantal avec la Safer Auvergne- Rhône-Alpes et la Chambre d’agriculture.
Combien d’hectares changent de main chaque année dans le Cantal ?
Pierre Cusset, président du comité départemental Safer Aura : “Nous n’avons pas d’information sur les surfaces en location. Pour ce qui est des ventes, on estime le marché de l’espace rural à 5 000 ha dans le Cantal, dont 3 000 ha de SAU (NDLR : soit moins de 1 % de la SAU départementale (1). Le marché accessible à la Safer est d’environ 2 000 ha. C’est 1,5 à 2 fois moins que dans les autres départements de l’ex-Auvergne. C’est un petit marché qui n’empêche pas de maintenir un nombre d’installations important, près de 100 chaque année.”
Y a-t-il ici plus qu’ailleurs une rétention foncière de la part des propriétaires qui explique ce “petit” marché ?
P. C. : “Oui, il y a une rétention plus forte qu’ailleurs. Le foncier reste quelque chose de viscéral, dont on ne se détache pas comme ça dans le Cantal. Cet enracinement reste très fort, a fortiori dans un département de montagne où l’élevage bovin est dominant.”
L’acquisition de 900 ha agricoles dans l’Allier par des investisseurs chinois (après l’Indre) a récemment défrayé la chronique. Le Cantal est-il concerné par des investisseurs extérieurs au milieu agricole et/ou étrangers ?
P. C. : “La concurrence principale se fait entre agriculteurs. Il y a bien de la demande d’agriculteurs aveyronnais et des départements limitrophes mais la proportion reste faible. En revanche, on voit se développer quelques sociétés qui contournent le contrôle de structures par le biais du système sociétaire. Quant aux investisseurs qui souhaiteraient réaliser des placements financiers sur le foncier, le phénomène est encore très peu répandu ici.” Quid de la concurrence avec d’autres usages : zone d’activités, routes...
Connaît-on l’espace agricole artificialisé chaque année dans le Cantal ?
P. C. : “Grâce à une analyse des données du cadastre, on estime à 180 ha en moyenne la consommation foncière annuelle directe. À laquelle s’ajoute la consommation “masquée” (achat de petites parcelles par des non agriculteurs pour un usage de loisirs, achat de foncier adossé au bâti résidentiel) que nous évaluons à 120 ha/an (2). Soit un total d’environ 300 ha.”
Cette pression foncière n’est-elle finalement pas le “prix à payer” d’une politique d’installation forte ?
Nicolas Bardy, élu Chambre d’agriculture : “L’installation de jeunes agriculteurs est une volonté professionnelle impulsée depuis plusieurs décennies qui porte ses fruits. Nous sommes le département de la grande région qui installe le plus. Certes, cela a généré une concurrence foncière forte mais dans le Cantal, on a la chance d’avoir encore des voisins. Ailleurs, des exploitations se libèrent qui ne trouvent pas de repreneurs parce que personne ne veut aller vivre là où le premier voisin est à 50 km.”
N’est-ce pas aussi le résultat de la faiblesse des retraites agricoles qui génère des stratégies patrimoniales de la part des futurs retraités ?
N. B. : “Si on raisonne purement économiquement, le prix des terres - au regard de leur valeur agronomique - est souvent un non sens au moment de leur acquisition, surtout pour y faire pousser de l’herbe six mois de l’année. Mais c’est vrai que beaucoup d’agriculteurs ont cette approche patrimoniale de se constituer un capital pour compenser le niveau des retraites ou d’un retour sur investissement au terme de leur carrière d’exploitant. Si durant leur carrière, ils avaient la possibilité de mettre un peu d’argent de côté... ou, déjà, de dégager un revenu suffisant... On a aussi été victime d’un dispositif d’aides européennes à l’hectare et d’une réglementation qui obligeait à s’agrandir pour s’installer ce qui, dans les faits, n’est plus imposé aujourd’hui.”
(1) La surface totale du Cantal est de 572 000 ha dont 361 000 ha de SAU. Sur cette SAU, 75 % sont des surfaces toujours en herbe.
(2) Moyenne 2012-2015. S’agissant de la consommation “masquée” : analyse des données de la Safer sur les notifications de vente.