Territoire : «Garder de la cohérence et défendre la proximité»
Nouvelle carte, compétences… les régions et les territoires vont profondément évoluer. Un point sur ces sujets avec Xavier Beulin, président de la FNSEA.
La nouvelle carte des régions de France a été adoptée.
Des commentaires ?
Au préalable, permettez-moi de faire remarquer que sur ce sujet, on a mis la charrue avant les bœufs : nous aurions préféré avoir un vrai débat sur les compétences (générales, plein exercice, délégation…) des régions et un vrai débat sur la fiscalité les concernant avant d’avoir à se prononcer sur une carte. De toute façon, il reste une question essentielle qui n’a pas été posée : quelle solidarité financière organisera-t-on entre les territoires au regard de la capacité fiscale de chacun d’entre eux ? Deux autres questionnements restent sur la table à nos yeux : est-ce que la réforme est source d’économie ou non et est-ce que l’efficience est liée à la taille ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que demain, il s’agira de gérer des grands territoires pour lesquels les populations, dans certains cas, ne semblent pas convaincues par les assemblages proposés. Il ne nous semble pas que tout ceci aille vers une simplification et nous estimons que dans les régions regroupées, on se prépare à quelques années difficiles au moins du point de vue des lieux de gouvernance de ces nouvelles régions. La disparition, les fusions ou regroupements de départements ou encore la notion de département rural ne nous apparaissent pas non plus comme une bonne piste. À cette approche, nous préférons la notion de territoires ruraux qui ont des besoins et qui portent des projets bien souvent innovants. Il faudra aussi surveiller l’apparition des métropoles (NDLR : effectives depuis le 1er janvier 2015) : que se passe-t-il pour les territoires sans métropole ? Et là où se situe une grosse métropole, n’y a-t-il pas un risque d’aspiration des moyens financiers pour le développement de ces métropoles au détriment du monde rural ? Enfin, nous constatons que les plans État/régions ont été négociés avec l’ancienne organisation régionale. Que se passe-t-il pour les régions regroupées ? Il reste que nous sommes convaincus qu’il faut renforcer les régions notamment autour des notions d’aménagement du territoire, de développement économique, d’enseignement supérieur et de recherche. L’idée est de trouver, à travers des bassins de vie, des territoires de cohérence avec des habitants qui s’y retrouvent en termes d’identité, de services…
Quid du monde rural et du monde agricole ?
Au sein des grands territoires nouvellement créés, une question nous intéresse particulièrement : comment va-t-on traiter la proximité ? Nous avons une crainte : c’est que cette réforme se traduise par un développement à deux vitesses avec un monde rural qui se sente à l’écart des grandes orientations. Un autre point nous paraît important : avec un échelon comme l’intercommunalité passant à une taille de 20 000 habitants minimum, on va devoir procéder, dans certains cantons, à des regroupements de 60 à 70 communes, un véritable casse-tête. C’est une mesure qui est du reste fort contestée en ce moment. Il faut bien prendre la mesure de ce qui est exprimé dans les différentes élections : pour les ruraux, c’est le risque et la peur de l’isolement, d’être laissés pour compte avec des interrogations fortes sur la présence des services publics comme les écoles, la formation, la santé, les loisirs et la culture, le très haut débit. Sur ce dernier sujet, par exemple, les collectivités font de gros efforts pour implanter de la fibre mais il ne faut pas se leurrer, on ne pourra pas installer de la fibre partout. Il y aura donc des inégalités de territoire face au très haut débit. D’où la convention signée entre Orange, Nordnet, Intelsat et la FNSEA pour installer cette technologie dans un certain nombre d’exploitations agricoles, à titre expérimental. Si cela fonctionne bien, nous essaierons d’équiper systématiquement les fermes très isolées. Il faut trouver les moyens d’exister au niveau régional.
Quelle vision proposez-vous de la régionalisation par rapport au monde agricole ?
Nous sommes naturellement décentralisateurs. Mais il faut garder la spécificité de l’agriculture française à travers son organisation par filière. Ce que nous attendons des régions à travers leurs futures compétences propres et les compétences déléguées, c’est de ne pas perdre, par excès de régionalisation, de leur cohérence d’intervention. Cette notion
de cohérence est particulièrement importante. Les grands enjeux du développement territorial agricole, comme par exemple la modernisation des bâtiments d’élevage ou encore l’équipement en outil d’aide à la décision, doivent transcender les particularismes régionaux. Nous pensons aussi, de façon plus globale, qu’une réforme réussie des régions ne se fera pas sans réforme de la fiscalité des régions.
Quelles évolutions envisagez-vous pour le réseau FNSEA ?
Il est bien entendu un peu tôt pour définir fermement ce que sera l’avenir. Lors de nos deux derniers congrès, nous avons déjà choisi l’option de renforcer les échelons régionaux. Mais de nouvelles adaptations seront à faire, absolument. L’idée sera bien de défendre des projets locaux avec des services interlocuteurs à l’échelle régionale. Notre prochain congrès traitera du fonctionnement du réseau et des orientations seront prises pour améliorer son organisation. Nous devrons déterminer qui seront nos futurs interlocuteurs et savoir comment être plus efficace et présent là où se prendront les décisions dans l’avenir. L’une de nos responsabilités sera de préserver la notion de proximité.
Propos recueillis par Thierry Michel et Michel Bourdoncle