Pour que parler de ce qu’on fait devienne une évidence
À l’occasion de la quatrième édition des rencontres Made in viande, Interbev Auvergne-Rhône-Alpes a organisé, lundi 4 juin, à Clermont-Ferrand, un débat autour de l’élevage et des attentes sociétales.
«La filière élevage répond-t-elle aux attentes sociétales ? ». Il y a encore quarante ans, poser cette question en ces termes auraient sans aucun doute parue incongrue, tant l’activité d’élevage allait de soi. Chacun avait bien conscience que pour se régaler d’une belle entrecôte, de nombreuses vaches devaient pâturer. Aujourd’hui, force est de constater que le monde a changé. Le lien entre la production agricole et le consommateur s’est distendu, tandis que les scandales sanitaires surmédiatisés et la libération de la parole, certes virtuelle, sur les réseaux sociaux ont instillé un sentiment de défiance à l’égard de l’élevage.
Comment renouer le lien ?
Comment dire à quel point l’élevage joue un rôle essentiel d’un point de vue nutritionnel, économique, social et environnemental ? Pour ouvrir le débat et apporter des éléments de réponses, l’interprofession bovine régionale avait convié à l’Institut d’Auvergne de développement des territoires (IADT), des acteurs du secteur, des consommateurs… En tribune : trois éleveurs et un géographe : Philippe Dumas, éleveur dans la Loire et président d’Interbev Aura, Éric Fabre, éleveur bio de salers dans le Cantal, Bruno Dufayet, éleveur de salers dans ce même département, et président de la Commission enjeux sociétaux au sein d’Interbev et Laurent Rieutort, géographe, directeur de l’IADT. Pour planter le décor, Laurent Rieutort, fort des nombreux travaux qu’il a mené sur la ruralité, a souligné que les « projets de développement en zones rurales, en particulier dans le Massif central, passent par l’élevage », ce qui implique toutefois, selon lui, de
susciter à nouveau les rencontres : « la diversité des territoires implique parfois des conflits d’usage. Il est nécessaire de se rencontrer. Les territoires ruraux sont un vivier d’activités économiques actuellement beaucoup plus importants que les centres urbains. Ce sont de véritables atouts pour notre pays, car la ruralité se concentre sur 90 % du pays ».
Parler à ses voisins
Pour combler le fossé de la méconnaissance des pratiques agricoles, Bruno Dufayet estime qu’il est nécessaire de capter l’attention des citoyens dans les grandes villes, mais pas seulement « il faut surtout aller vers son proche voisin, qui n’est plus forcément issu du monde agricole ». Si depuis plusieurs années, l’interprofession a bien mesuré l’intérêt de communiquer, force est de constater que le temps semble être venu de le faire de manière collective. « C’est tout l’enjeu des rencontres Made in Viande », suggère Philippe Dumas. Éleveuse ovins dans le Puy-de-Dôme, présidente de la Fédération nationale ovine, Michèle Boudoin croit aux relais scientifiques, universitaires pour « prêcher » la bonne parole. Ces cautions scientifiques sont certes nécessaires pour étayer le propos des éleveurs, des transformateurs, des abatteurs, mais Philippe Dumas et Bruno Dufayet restent convaincus que le message de l’élevage, et plus globalement de la ruralité, doivent être portés par des acteurs économiques. Quitte à multiplier les formations d’éleveurs témoins, mis en place par les interprofessions depuis une vingtaine d’année déjà. Éric Fabre est l’un de ces éleveurs témoins. Il réalise combien les formations ont été précieuses pour vulgariser son discours sur ses pratiques. « C’est une ouverture sur les autres très enrichissante, qui permet de sortir de sa cour de ferme ».
Sur les bancs de l’école
Et si l’une des clés passait par l’enseignement agricole ? Pourquoi ne pas imaginer dès aujourd’hui, l’intégration dans les programmes d’une matière à part entière consacrée aux attentes sociétales, au même titre que la zootechnie ou l’agronomie… Les professionnels croient à ce besoin d’enseigner la place de l’agriculture dans une société en mouvement parce que « ces étudiants, seront les professionnels de demain dans une société qui évolue », selon Philippe Dumas. Cette volonté répond entre autres au pacte pour un engagement sociétal, initié par Interbev, il y a un an. « Tous nous devons être acteurs de démarches de progrès et de dialogue vers la société », estime Philippe Dumas, à condition toutefois « que le consommateur adhère aussi à ces valeur », souligne Bruno Dufayet. Comprenez, qualité, bien-être animal, préoccupations environnementales, services rendus par l’élevage en termes d’aménagement du territoire… ont un prix. Distributeurs et consommateurs devront non seulement être en capacité de le comprendre mais surtout de le payer.