Patrick Bénézit : « Il faut arrêter d’amuser les agriculteurs. Du concret et vite ! »
L’éclaircie peine à poindre dans le ciel agricole de ce début 2016. Prix, inertie de l’Etat, multiplication des ravageurs…Les objets de combat sont nombreux comme en témoigne, Patrick Bénézit, président de la FRSEA Massif central.
L’année 2015 restera pour l’agriculture du Massif central l’une des plus noires des récentes décennies et laisse pas mal de chantiers ouverts. Comment abordez-vous 2016 ?
Patrick Bénézit : L’année qu’on vient de passer est effectivement à oublier très vite même s’il faut souligner un point positif, le seul sans doute : l’application de la transparence pour les Gaec, à l’issue d’un combat de haute lutte pour le Massif central. Cette disposition a bénéficié à de nombreuses exploitations. Globalement, cette réforme de la Pac a été favorable à nos zones même si nous pouvons déplorer sa mise en œuvre calamiteuse. Nous allons commencer à faire les nouvelles déclarations de 2016 alors que les dossiers 2015 ne sont pas encore traités ! C’est un bordel incommensurable où une vache n’y reconnaîtrait pas son veau !
Quels sont les enjeux prioritaires pour le syndicalisme dans le Massif central en 2016 ?
P. B. : Que l’État honore tous les engagements pris par Manuel Valls et son ministre de l’Agriculture auprès des éleveurs le 3 septembre dernier. Des engagements réitérés par la suite dans le cadre du plan d’urgence et du fonds calamité. Les éleveurs dont les trésoreries sont « HS » ont urgemment besoin des mesures annoncées. Tous ces dossiers ont trop traîné. Nous demandons le paiement rapide de tout ce qui est dû : le Fac (NDLR : fonds d’allègement des charges), les mesures MSA, la remise d’impôts (sur le foncier non bâti...) et l’année blanche. Cette dernière se met en place progressivement et nous avons obtenu un report au 31 janvier de la date limite de dépôt des demandes. Les agriculteurs qui en ont besoin doivent profiter de ce délai pour faire les démarches auprès de leur banque.
Plusieurs départements du Massif ont été touchés par la sécheresse à plus ou moins grande échelle. Les procédures d’indemnisations ont-elles avancées ?
P.B. : S’agissant de la sécheresse, il faut d’abord rappeler la ponction de 255 millions d’euros opérée par l’État sur les réserves du fonds calamités. Des considérations budgétaires qui ont aussi prévalu dans le traitement des dossiers déposés par les départements affectés cette année. Suite à l’intervention du syndicalisme FDSEA-FNSEA, les autorités ont accepté de revoir plusieurs dossiers, dont celui du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. Il faut maintenant que la reconnaissance des départements en calamités se fasse fin janvier à la hauteur des pertes transmises par les administrations départementales et que les indemnités sécheresse soient versées au plus vite. Il en va de même pour le dégrèvement de la TFNB lié à cette procédure calamité et des engagements complémentaires des Conseils départementaux et de la Région Auvergne que nous avons réclamés sur les secteurs les plus touchés. Enfin, nous attendons aussi toujours l’indemnisation des coûts d’immobilisation des broutards du fait de la FCO. Là encore, c’est un engagement ministériel formalisé cet automne mais pour l’heure pas concrétisé. Il y a urgence car toutes ces mesures sont une question de survie pour beaucoup d’exploitations.
Les marchés ont aussi été fortement perturbés par la FCO. Où en est-on ?
P. B. : On commence l’année 2016 avec une situation extrêmement compliquée pour les veaux naissants avec l’arrêt du protocole dérogatoire signé avec l’Espagne. C’est inadmissible ! Sans dérogation, le protocole européen prévoit des échanges pour les seuls veaux issus de mères vaccinées. Or l’administration française n’a pas prévu de doses pour ce cas de figure ! Nous exigeons donc des pouvoirs publics une solution, y compris - si nécessaire - le retrait sanitaire d’une partie de ces petits veaux pour palier une partie du marché devenu inexistant. Cette situation est pour l’heure de nature à déstabiliser davantage les autres marchés de la viande qui continuent de subir les conséquences de la FCO.
Qu’il s’agisse des productions animales ou végétales, nous avons des problèmes de prix. Et quoi qu’on dise, il faudra que l’Union européenne ou la France soutienne à nouveau des politiques de prix à la production. La situation actuelle n’est plus tenable, on ne pourra pas faire une “année blanche” tous les ans. Ce débat sur le prix devra être traité, la France n’est pas la seule concernée, on le voit, la situation des éleveurs en Europe est partout catastrophique. L’UE ne pourra pas éternellement se défausser de ce débat et restée arc-boutée sur une politique ultralibérale qui presse les producteurs.
Sur le volet laitier, plus spécifiquement, il faut continuer à travailler, faire progresser toutes nos démarches de différenciation. C’est un impératif pour nos zones.
L’année écoulée a aussi été marquée par le fléau des rats taupiers. Le préfet de Région a annoncé fin décembre un comité scientifique tel que vous le réclamiez. Y a-t-il des raisons d’espérer ?
P. B. : “Tout va dépendre des ambitions que les pouvoirs publics entendent donner à ce comité. À ce stade c’est une coquille vide. Nous demandons d’ores et déjà au nouveau préfet de Région d’engager tout le panel possible de scenario de recherche qu’il s’agisse de nouveau poison, d’immunocontraception, de maladie ou de parasite naturels, de prédateurs (hermine...), etc. Aucune piste ne doit être écartée même celles dont les pouvoirs publics n’ont pas voulu entendre parler jusqu’à présent. Le fléau devient tel qu’ils ne peuvent rester sans rien faire en mettant le principe de précaution à toutes les sauces. Rien n’a été engagé qui corresponde à l’objectif d’éradication des rats, nous attendons donc une forte impulsion du nouveau préfet coordinateur de Massif. D’autant que si en 2015, de vrais ravages sont à déplorer sur plusieurs secteurs, pour 2016 les zones d’infestation vont se démultiplier.
Qu’en est-il des possibilités d’indemnisation ?
P.B. : “Dans les zones encore peu touchées, on incite les éleveurs à utiliser les moyens de lutte actuels qui peuvent désormais être pris en charge par le FMSE grâce au travail de lobbying que nous avons mené.
Face à la fusion des régions effective depuis le 1er janvier 2016, de quelle manière la FRSEA Massif central souhaite se positionner ?
P.B. : Le Massif central était là hier. Il est encore là aujourd’hui, il sera là demain. Même si d’aucun avait des velléités de déplacer les montagnes, ils ne le pourraient pas. Nous n’avons pas attendu la fusion des régions décrétée par la loi pour travailler en inter-régions. Depuis plus de trente ans, les départements du Massif central œuvrent collectivement à tracer l’avenir agricole de leur zone car des réalités agro-climatiques nous rassemblent. Au-delà des frontières que l’on voudrait nous imposer, nous continuerons à travailler à l’échelle du Massif central car sur un certains nombre de dossiers (politique de la montagne, des zones défavorisées, ICHN, lutte contre les rats taupiers, valorisation des produits de nos zones à travers la mise en valeur de l’élevage à l’herbe…), ce niveau est pertinent. Que chacun en soit bien conscient à commencer par nos élus. Il sera d’ailleurs indispensable que les nouveaux exécutifs régionaux prennent en compte de manière significative les problématiques de la ruralité et des zones fragiles. Nous ne manquerons pas avec nos partenaires auvergnats, limousins, rhônalpins…de défendre nos spécificités auprès des nouvelles régions.
Propos recueillis par Patricia Olivieri et Sophie Chatenet