Palais idéal du facteur Cheval : le rêve d’une vie
Classé au titre de monument historique depuis 1969 et considéré comme un chef-d’oeuvre de l’art naïf, le Palais idéal du facteur Cheval, construit de 1879 à 1912 à Hauterives dans la Drôme, est l’oeuvre d’un fils de paysan devenu facteur. En 2022, ce palais pittoresque fête ses 110 ans d’existence.
“Fils de paysan et fils de mes oeuvres, je suis resté paysan avec le ferme désir de mettre en évidence le pouvoir d’une volonté énergique et d’un travail soutenu », a écrit Joseph Ferdinand Cheval, le 3 décembre 1911, dans l’un de ses cahiers. Né le 19 avril 1836 à Charmes-sur- l’Herbasse dans la Drôme, Joseph Ferdinand Cheval était facteur des Postes. Pendant vingt-neuf ans, il a déambulé dans la campagne drômoise, de Hauterives à Tersanne. Parcourant chaque jour une trentaine de kilomètres à pied, le facteur aimait se laisser aller à ses pensées. « Pour distraire mes pensées, je construisais en rêve un palais féerique dépassant l’imagination, tout ce que le génie d’un humble peut concevoir, avec grottes, tours, jardins, châteaux, musées et sculptures, cherchant à faire renaître toutes les anciennes architectures des temps primitifs », a-t-il déclaré.
Un autodidacte réservé
Ignorant totalement les secrets du monde de la maçonnerie, le facteur rural pensait son projet irréalisable. C’était sans compter sur un accident de parcours plus de dix ans plus tard. À 43 ans, il buta malencontreusement sur une pierre aux formes originales.
Il n’en fallait pas plus pour mettre en éveil ses songes antérieurs. La nature lui ouvrait alors les portes de son rêve et c’est donc par le hasard le plus complet qu’il commença, à chacune de ses tournées, à rassembler dans ses poches ou sa brouette, « sa compagne de labeur » comme il aimait la définir, toutes les pierres qu’il pouvait trouver sur son chemin. L’année 1879 marqua le début de sa folle aventure pour concrétiser son rêve de toujours : édifier un palais féerique dans son potager. « Le Temple de la nature », comme il l’appelait au départ, prenait forme à l’heure où la nuit tombait, à la lumière d’une lampe à pétrole : « Le soir à la nuit close, quand le genre humain repose, je travaille à mon palais, de mes peines nul ne le saura jamais, les minutes de loisir, que mon service m’a permis, j’ai bâti ce palais des mille et une nuits, où j’ai gravé mon souvenir », a-t-il récité telle une prose.
Un chef-d’oeuvre monumental
À force de pierres, de ferrailles et de chaux, il façonna des années durant les quatre façades de son édifice dans lequel il chercha à faire apparaître des animaux, des géants, des personnages mythologiques ou encore des fées, et à réunir les peuples et les religions. Il trouvait son inspiration au gré des cartes postales ou des magazines, comme « Le Magasin Pittoresque » qu’il distribuait aux habitants de son secteur. Sur les murs, il est possible de lire de multiples inscriptions, poèmes ou manifestes, provenant de l’imagination du facteur ou d’autres hommes connus. Trente-trois ans de dur labeur et 93 000 heures plus tard passées à façonner les pierres, Joseph Ferdinand Cheval termina son monument pittoresque à l’âge de 76 ans, sur lequel il a gravé Travail d’un seul homme. Son oeuvre a été achevée en 1912, soit douze ans avant sa mort. Il lança même un défi au monde entier : « 1879-1912, 10 000 journées, 93 000 heures, 33 ans d’épreuves, plus opiniâtre que moi se mette à l’oeuvre ». C’est donc une colossale bâtisse qui s’impose aux visiteurs, venant par milliers depuis l’ouverture au public : l’ensemble mesure 12 mètres de hauteur et près de 26 mètres de long !
Un labyrinthe de pierres
« Après le temps du labeur est venu celui de la curiosité et de la reconnaissance. En 1905, les premiers visiteurs sont arrivés au Palais idéal, du vivant du facteur Cheval. C’est d’ailleurs lui qui les accueillait et leur faisait visiter son monument », indique le service presse du Palais idéal. « Considéré comme une oeuvre majeure par les plus grands peintres et sculpteurs, depuis plus d’un siècle, ce palais accueille de prestigieux visiteurs comme d’illustres inconnus. Aujourd’hui, ses admirateurs viennent des quatre coins de l’Hexagone et du monde entier pour découvrir ce labyrinthe de pierre à nul autre pareil », précise-t- il. Pour compléter son oeuvre, Joseph Ferdinand Cheval s’est aussi attaché à construire son propre tombeau dans l’enceinte du cimetière du village, une tombe là aussi singulière, à l’image de son palais. Cette deuxième oeuvre, appelée « le tombeau du silence et du repos sans fin », est également classée au titre des monuments historiques. Il lui a fallu huit ans pour la bâtir, jusqu’en 1922, deux ans avant sa mort.