« Loi alimentation : Le politique a choisi son camp, celui de la grande distribution »
La Commission Mixte Paritaire (CMP) réunie le 10 juillet s'est soldée par un échec alors que les deux assemblées étaient d'accord pour redonner du prix au producteur. Inconcevable pour la profession agricole qui dénonce une basse manoeuvre politique orchestrée par l'éleveur creusois, rapporteur de la Loi, Jean-Baptiste Moreau.
« Sur injonction de l'Élysée, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau a fait capoter la commission mixte paritaire (CMP) » dénonce Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, interrogée par Agra Presse. En cause, les « modalités d'élaboration des indicateurs contribuant à la formation des prix agricoles » qui ont « pourtant été adoptées par l'Assemblée nationale et par le Sénat » déplore un communiqué de presse de la Commission des affaires économiques du Sénat. En effet, le projet de loi prévoit que ces indicateurs soient élaborés par les interprofessions où à défaut par l'Observatoire de la formation des prix et des marges. Mesure jugée « inefficace » par Jean-Baptiste Moreau qui souhaite revenir sur ce point alors même que l'amendement à l'origine de cette rédaction a été porté par Grégory Besson-Moreau, député de la majorité.
Si près du but...
Les principaux points de désaccords ont été : le rôle de l'Observatoire de la formation des prix et des marges dans la diffusion des indicateurs de coûts de production, la séparation de la vente et du conseil et l'interdiction des rabais et ristournes lors de la vente de produits phytopharmaceutiques. Cet échec de la CMP, n'est pas de nature à rassurer la profession, bien au contraire. Difficile en effet de croire, comme l'assure le rapporteur, que le texte sera prêt à l'automne pour les prochaines négociations commerciales. « Cela va être compliqué », avertit Sophie Primas. En effet, le projet de loi va reprendre le chemin de l'Assemblée pour un examen en commission des affaires économiques dès la semaine prochaine, puis en septembre en séance publique. Ensuite, direction le Palais du Luxembourg. Si le Sénat adopte la dernière version de l'Assemblée, ce qui semble assez improbable, alors le texte sera définitivement adopté. Sinon, il retournera à l'Assemblée qui aura le dernier mot.
Indignation et consternation du côté de la FNSEA
« A la veille des difficiles négociations commerciales de l'automne, la manoeuvre politique l'a finalement emporté sur le réalisme d'un texte respectueux de l'esprit des Etats Généraux de l'Alimentation et du travail conjoint des parlementaires. Où est passé le bon sens paysan ? », s'interroge la FNSEA, dans un communiqué. « Sur la question centrale des indicateurs de coûts de production, rappelons qu'il s'agit juste de mettre à disposition des producteurs une référence neutre et indiscutable dans leurs relations commerciales avec l'aval de la filière. Sans ce garde-fou efficient, que peuvent peser les agriculteurs face à quatre centrales d'achat qui concentrent à elles seules 94% du marché alimentaire national ? Les députés de la majorité, membres de la CMP, ont délibérément ignoré cette réalité. Pire, c'est sur cette disposition qu'ils ont fait capoter la CMP, alors même qu'elle avait été votée conforme entre les deux Assemblées ! Les revenus ne se feront pas sans les prix ! Le bon sens ne l'a pas non plus emporté quand le rapporteur Moreau critique une soi-disant « vision passéiste » de l'agriculture française qui refuserait « sa transformation ». Ces déclarations sont un affront à la profession agricole, qui depuis plus d'un an, s'est engagée, sans faillir, dans les Etats Généraux de l'Alimentation, qui a construit des propositions tournées vers l'avenir et qui, maintenant, attend des résultats ».
La FNB dénonce l'aveuglement du député Moreau
« Les députés LREM ont fait le choix de faire primer leur dépendance au Gouvernement sur l'intérêt réel des agriculteurs et des citoyens français », dénonce la Fédération nationale bovine, dans un communiqué. « La FNB le craignait, cela est arrivé : bien que députés et sénateurs aient réussi à dépasser les clivages politiques pour adopter de nombreuses dispositions identiques utiles aux agriculteurs - parmi lesquelles une disposition centrale sur les indicateurs de coûts de production et de prix à prendre en compte dans les contrats (article 1er, alinéa 14) - dans le cadre de leur examen respectif du projet de loi issu des Etats Généraux de l'Alimentation, la Commission Mixte Paritaire qui les réunissait le 10 juillet n'a pas permis de dégager de texte consensuel... faute de posture constructive du rapporteur de l'Assemblée Nationale, Jean-Baptiste Moreau. Avec cet échec, c'est donc toute opportunité de voir ce projet de loi adopté avant la fin de la session parlementaire qui s'est envolée ». Pour Bruno Dufayet, Président de la Fédération Nationale Bovine : « C'est un sentiment de désolation qui règne aujourd'hui au sein de notre profession. Alors que le Président de la République affirmait le 9 juillet, devant le Congrès réuni à Versailles, la nécessité de garantir l'indépendance du Parlement d'une part, et de tout mettre en oeuvre pour permettre aux agriculteurs français de vivre dignement de leur métier, d'autre part, c'est une démonstration inverse que viennent de faire les députés de sa majorité présents à la CMP, en tête desquels le rapporteur Jean-Baptiste Moreau, qui semble bien plus soucieux d'obéir au pouvoir exécutif en place que de remplir convenablement sa mission. »
SC
ECLAIRAGES
Patrick Bénézit, éleveur dans le Cantal, président de la FRSEA Massif central et secrétaire général adjoint de la FNSEA : « A partir du moment où les deux assemblées votent les mêmes dispositions dans un texte, on se demande pourquoi une CMP peu échoué. Tout le monde était d'accord sur la mesure phare des EGA à savoir la prise en compte des coûts de production pour redonner du prix au producteur. Que s'est-il passé, pour que le rapporteur, Jean-Baptiste Moreau agriculteur dans la Creuse fasse une telle volte-face et oublie d'une part de défendre le texte issu de l'Assemblée Nationale et d'autre part l'intérêt des agriculteurs. Le lobbying de la grande distribution a-t-il prise sur l'éleveur creusois ? Nous sommes très inquiets sur la tournure que peuvent prendre les choses. Le Gouvernement veut-il faire une loi de plus pour Leclerc, ou conformément à l'esprit des Etats généraux, donner enfin des leviers aux producteurs ? »
Jérémy Decerle, éleveur en Saône-et-Loire et président des Jeunes Agriculteurs : « La conséquence de ce manquement aux responsabilités est l'angoisse des agriculteurs qui voient une énième fois leur avenir mis en suspens, avec le risque d'être encore les victimes des prochaines négociations commerciales. Nous demandons au Gouvernement et aux parlementaires de se rattraper en ne rouvrant pas des débats sur des sujets qui ont déjà été discutés lors des EGA, en commission et dans l'hémicycle. Cela serait un manque de considération sévère pour tout le travail de la profession et des institutions démocratiques sur cette loi ».