L’économie sans langue de bois
La CCI du Cantal et le quotidien La Montagne ont invité le très médiatique économiste Pascal Perri, à la soirée de remise des Trophées des entreprises.

Journaliste, cadre d’entreprise, essayiste, titulaire d’un doctorat en géographie-aménagement sur les enjeux économiques, avec des études poussées sur l’invasion des marchés low-coast(1) et aujourd’hui conseiller en économie, Pascal Perri est surtout connu auprès du grand public pour être une des “Grandes gueules” de RMC et BFMTV. Jeudi 28 septembre, il a animé une conférence face à 400 chefs d’entreprises cantaliens, invités à la soirée des Trophées de l’entreprise. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Pascal Perri ne manie pas la langue de bois, quitte à être “politiquement incorrect”, comme il l’admet volontiers : le CDI est obsolète, le Smic trop élevé pour un emploi sans qualification...
Des salaires trop chargés
Car qui dit vision économique, oriente vite son propos vers l’emploi. Or, la question n’est pas traitée partout en Europe de la même façon. Le conférencier schématise en opposant deux modèles : celui des libéraux, comme l’Allemagne, où on ajuste la paie en fonction de l’offre et de la demande, “vieux système qui fait parfois tomber bas les salaires, mais efficace” ; l’autre principe cité est celui de l’Europe du Nord, avec la “flexisécurité” qui s’avère un modèle de contrainte : les demandeurs d’emploi par exemple sont tenus d’offrir une fraction de leur temps à des travaux d’intérêt collectif. “Nous n’y sommes pas prêts dans notre pays qui continue d’opposer le travail et l’assistanat.” Le pouvoir politique français mise sur la croissance. Mais selon Pascal Perri, notre pays n’a pas tranché le théorème entre le coût et l’efficacité. “En France, les salaires augmentent plus vite que le gain de productivité, le pays détruit donc de la valeur ; autrement dit, les revenus distribués détruisent les bénéfices de la productivité. La France est le pays de l’OCDE où l’écart entre le salaire brut et le salaire net est le plus important.” Alors on robotise. Mais les robots et le numérique détruisent-ils vraiment des emplois ? Pas forcément, selon l’invité, grand témoin face aux entrepreneurs. L’expert souligne que déjà, un tiers des emplois se sont digitalisés. “Cela veut dire que les métiers demeurent, mais les compétences évoluent.” Et l’ADN de cette économie qui se numérise étant justement d’être en constante mutation, le vieux modèle du même métier pratiqué jusqu’à la retraite est révolu. “Je considère que c’est une chance. Ça rend l’exercice du quotidien plus passionnant et de nouvelles techniques de formation voient le jour, toujours grâce à Internet. Oui, ça a pu supprimer des emplois, mais ça en a créé d’autres”, remarque-t-il en illustrant de deux chiffres : “Les 200 000 secrétaires qui ont pu disparaître en une quinzaine d’années, ont été remplacées par 250 000 cadres et techniciens du digital, de la création et de l’informatique.”
Salariés vs robots ?
Pascal Perri insiste : “Si on veut se battre contre des machines, notamment quand on veut rassembler des données ou les trier, le combat est perdu d’avance (...) L’intelligence artificielle circule à la vitesse de la lumière, quand l’intelligence humaine ne dépasse pas celle du son”, image-t-il. Voilà comment l’économiste explique le succès du fameux “Big data”, ces enregistrements sur nos habitudes de consommations, converties en un immense fichier numérique. La vraie question à se poser demeure, une fois que les machines auront opéré, qu’est-ce qui restera ? “C’est à mon sens la grande réflexion à engager aujourd’hui pour sortir par le haut de cette révolution.” Les distributeurs s’y penchent. La plupart des grandes enseignes proposent de la vente en ligne, pour séduire de nouveaux consommateurs et qui crée de l’emploi. Mais s’ils conservent des points de vente physique, c’est précisément pour offrir du service, du contact... “Tout ce qui n’est pas substituable par l’intelligence artificielle. Le travail n’a pas disparu, il a changé. Et nous devons nous-mêmes changer nos réflexes.”
“On ne protège pas les gens, mais des statuts” Ainsi, l’expert en économie rappelle que le contrat à durée indéterminée - la règle en France - a été inventé par les entrepreneurs au début du XXe siècle, à une période de pénurie de main d’œuvre, pour s’attacher la fidélité des salariés dont le revenu augmentait plus vite que les prix... “Mais aujourd’hui, le contrat de travail n’est plus le seul outil pertinent ! Voyez les mouvements en cours, l’ubérisation, la mise en relation en temps réel de l’offre et de la demande.” Sur le seul exemple des taxis parisiens, Pascal Perri estime “qu’on n’a pas détruit d’emplois de taxi, mais créé de nouveaux emplois pour des gens souvent en situation de chômage de longue durée. Le marché de la mobilité s’est dilaté. En baissant la barrière du prix, on a amené de nouveaux consommateurs. La plupart de ceux qui s’opposent à ce modèle, qui voudraient que ça ne change pas, sont ceux qui ont déjà un emploi. Nous sommes dans un pays qui ne protège pas les gens, mais les statuts. Si notre modèle était si parfait, nous n’aurions pas des millions de chômeurs”. Pascal Perri partage aussi l’idée que le Smic est “trop élevé pour des emplois sans qualification, même si c’est difficile à entendre, car le salaire devient supérieur à la productivité, donc on affaiblit l’entreprise et tous ceux qui y travaillent”. De même, il considère que les écarts entre le fruit du travail et la socialisation doivent être “nets et dissuasifs” et sanctionner les comportements déviants. D’où l’idée de rendre obligatoires les formations pour les demandeurs d’emploi. Voilà ses pistes pour répondre à la problématique : un tiers des patrons dit avoir des problèmes de recrutement. Sans langue de bois, mais très applaudi.
(1) Production et vente à bas coût.
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