Le champagne face à la crise
A l’approche des fêtes de fin d’année, période de pic des ventes de champagne, ce vin de luxe est-il affecté par la crise du pouvoir d’achat des consommateurs ? Ou au contraire, parvient-il à résister ? Reportage.
«Nous vendons comme l’année dernière. Nous ne sommes pas réellement touchés par la crise », disent les petits producteurs comme les grands noms du champagne. A l’inverse des GMS ou des cavistes qui affichent des offres promotionnelles pour mieux vendre (une bouteille de marque, par caisse de 6, ne se trouve pas à moins de 15 €), ici, aucune promotion pour inciter à la consommation : le prix d’appel chez un producteur est de 13 € et les clients continuent d’affluer et d’acheter. A Reims, les grandes maisons affichent complet pour la visite de leur cave en ce mois de décembre et la vente directe dans leurs boutiques se maintient voire progresse. Chez Moët et Chandon, basé à Epernay, c’est par exemple la petite bouteille décorée de strass par Swarowski (16 € les 20 cl) qui se vend le mieux. « C’est la quantité idéale pour une personne et le packaging fait très cadeau », confie la responsable. A une centaine de mètres, les établissements Salvatori ouverts en 1947, remplissent leurs caisses. « Je n’augmente pas les prix pour continuer à faire du volume, surtout pour les grandes marques qui représentent 60 % de mes vente. Une grande marque est moins chère chez moi qu’à la maison mère, d’autant que ces maisons majorent leur prix pour l’entretien de leur cave. Mais c’est surtout avec les étrangers que je fais le plus de chiffre d’affaires car ils achètent peu mais que des grands crus. Quand ils viennent en France, c’est pour rapporter ce qu’il y a de mieux ! ».
Si les enseignes spécialisées représentent 20 % des ventes de champagne, la vente directe reste le canal le mieux approprié. A condition de toujours attirer de nouveaux clients, Claude Michez qui possède 4 ha d’exploitation et vend 30 000 bouteilles par an, mise sur l’innovation. « Il faut sans arrêt inventer. Cette année, on a sorti la « cuvée d’antan » avec le bouchon ficelé comme autrefois. C’est du packaging et ça marche très bien. Le reste de l’année, on organise des réceptions et des évènements culturels pour élargir la clientèle d’entreprise et de particuliers. » Mais pour lui, la priorité, c’est internet : « C’est l’avenir ! Nous ne pourrons plus exister si on ne vend pas sur internet. Le Champagne ne se produit qu’ici alors comment feront ceux qui habitent loin ou à l’étranger si on n’a pas une vitrine accessible partout dans le monde ? C’est le meilleur moyen d’augmenter nos exportations et de se faire connaître ». La vente par internet se développe tant qu’elle pourrait être d’ici deux à trois ans la première source de concurrence pour les petits producteurs. Est-ce donc plus facile de survivre quand on est une grande marque ? « Pour un grand nom du champagne, tout se jouera sur la communication et le marketing. Pour les petits producteurs, le défi sera la fidélisation du client et la recherche de nouveaux clients via notamment internet » affirme Daniel Lorson, responsable communication au Comité interprofessionnel des vins et des champagnes (CIVC).
Si la diversification de la clientèle est un impératif pour de nombreux producteurs, certains restent totalement réfractaires aux stratégies de communication et misent sur la seule qualité de leur champagne. « Si le champagne est bon les clients reviendront et le feront savoir à d’autres. Je ne m’inquiète pas » avoue Sandrine, à la tête d’une exploitation familiale Valmont & Huet. Elle possède 6 hectares de vignes, dont la moitié est vendue à Moët et Chandon. Le reste permet la production d’environ 35 000 bouteilles par an. Avec un fichier de 2000 clients, elle vend en moyenne 20 000 bouteilles par an et garde un stock de roulement. Cette année, elle enregistre une baisse des ventes de 10 % mais les expéditions augmentent donc « l’un dans l’autre çà compense » dit-elle.
Conquérir de nouveaux marchés
« Le maître mot c’est d’aller à l’export poursuit Daniel Lorson. Plus on diversifiera plus on aura de marchés différent, plus on limitera les risques et c’est souvent sur les nouveaux marchés que l’on gagne le plus d’argent ». Aujourd’hui, plus d’une vingtaine de marchés importent chacun plus d’un million de bouteilles. L’export rapporte bien plus que les ventes en France : si en termes de volumes, la France absorbe 55 % des ventes, l’étranger représente plus de 54 % du chiffre d’affaires. « En Asie ou en Russie, le champagne se vend cher et avec des fortes marges car la clientèle est une élite qui recherche les crus d’exception ». Le Japon a acheté 9 millions de bouteilles cette année : c’est l’un des marchés les plus prometteurs. « Aujourd’hui, au moins 200 producteurs vendent régulièrement au Japon alors qu’ils étaient à peine 5 il y a 20 ans ». A l’inverse, la Grande Bretagne, 1er client avec 26 des exportations françaises, freine ses commandes, comme les Etats Unis (2nd marché) dont les importations ont baissé de 12 % en 2008, en raison du change euro-dollar.
Trois questions à David Ménival
Economiste et professeur à l’école de management du Champagne de Reims, David Ménival explique quelle attitude adopter face à ce contexte morose.
Que conseillez vous aux Champenois face à la crise ?
Je conseille de maîtriser la spéculation et ne pas larguer des bouteilles trop vite et trop massivement. Tant qu’il n’y a pas de problème de trésorerie, chacun doit éviter de vendre des bouteilles. Celui qui a des bouteilles en stock doit attendre que ses stocks reprennent de la valeur, ce qui arrivera quand le cycle économique redeviendra favorable. Tant qu’on ne vend pas, la perte est virtuelle.
Certains disent qu’il ne fallait pas débloquer cette année : qu’en pensez vous ?
Ce n’est pas le déblocage de septembre qui explique la crise ou qui l’aggravera. Il fallait cette année, tout faire pour éviter une envolée des prix du raisin. Donner moins d’approvisionnement aux Maisons que leurs besoins, aurait inévitablement aggravé l’augmentation des prix à la vendange.
Que peuvent faire les Champenois ?
A court terme, les vignerons comme les coopératives doivent affronter une baisse des volumes. Chacun doit rationnaliser au mieux ses charges sur les mois à venir. A long terme, les Champenois doivent sortir de la logique « croissance volume » car à la moindre baisse de volume, c’est la panique ! Il faudrait se donner les moyens d’envisager une autre forme de croissance, en reciblant les marchés au sein de chaque entreprise.