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L’amendement surprise du rapporteur Moreau

Le rapporteur du projet de loi sur « l’équilibre des relations commerciales », Jean-Baptiste Moreau, a créé la surprise, le 19 avril, en faisant adopter – très largement – par la commission des affaires économiques, un amendement visant à faire sortir les produits agricoles et alimentaires des négociations commerciales annuelles. Un texte qui « fera du bruit », a-t-il promis.

Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse et rapporteur du projet de loi sur « l’équilibre des relations commerciales ».
Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse et rapporteur du projet de loi sur « l’équilibre des relations commerciales ».
© HC

Il est 23 heures, le 18 avril à l’Assemblée nationale. Le député Jean-Baptiste Moreau affiche un grand sourire qui ne le quittera plus de la soirée. Face à lui, les députés de la commission des affaires économiques viennent d’adopter, de tous bords, son amendement surprise au projet de loi « sur l’équilibre des relations commerciales ». Son texte « vise à sortir les produits agricoles et agroalimentaires de la convention unique, c’est-à-dire des négociations commerciales annuelles ». Un texte qui « fera du bruit », promet-il en séance.
Cette mesure est une surprise car elle n’avait pas été discutée lors des États généraux de l’alimentation et n’émanait pas du monde agricole. Cette idée est la sienne, « uniquement la sienne », indique-t-il à Agra Presse. « Il a pris tout le monde à contre-pied », commente le délégué général de Coop de France Pascal Viné. Pour preuve de la surprise, l’Ania (entreprises de l’agroalimentaire) n’a pas encore souhaité réagir à l’adoption de ce texte, qui le concerne pourtant au premier chef.
En cas de rejet de son texte, le rapporteur avait proposé un amendement de repli qui limitait sa proposition aux viandes hachées et aux pâtes alimentaires. Il n’en aura pas besoin, car l’amendement a reçu un avis de sagesse du Gouvernement, qui a souhaité néanmoins « étudier » le dossier. Le ministère de l’Économie indique à Agra Presse qu’il serait prêt, « le cas échéant », à déposer un texte retravaillé avec le rapporteur, en vue de la séance publique qui débutera le 22 mai. « Nous sommes un peu perplexes face à ce sujet nouveau et disruptif », a réagi, en commission, Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie.

« Supprimer une disposition pivot »
La réaction de Bercy résume bien l’accueil du texte dans le secteur agricole : surpris, intéressé mais circonspect. À l’instar de Delphine Gény-Stephann qui a rappelé en séance qu’il s’agit de « supprimer une disposition pivot du cadre des négociations commerciales ». Combinée avec les clauses de renégociation, cette disposition offre une « stabilité » aux relations commerciales, a-t-elle rappelé.
Pour comprendre en quoi consiste précisément la proposition du député de la Creuse, il faut rappeler que les relations commerciales entre l’industrie agroalimentaire et les distributeurs sont régies par deux couches réglementaires, explique-t-on à Coop de France : la règle de base est celle de la convention unique (article 441‑7 du code du Commerce) qui concerne la majorité des produits vendus en grande distribution. C’est de cette réglementation que Jean-Baptiste Moreau veut faire sortir l’ensemble des produits agricoles et alimentaires. La deuxième couche est un article « dérogatoire » au premier article (art. 441.2‑1) qui concerne les produits frais (ex. fruits, œufs, miel, viande).
La convention unique (tous produits) impose une négociation annuelle (ou pluriannuelle depuis la loi Sapin 2) et offre un cadre extrêmement précis et protecteur pour la partie la plus faible. « La convention unique est le pivot, l’outil de traçabilité qui permet le contrôle et les sanctions », explique le service juridique de Coop de France. C’est ce formalisme qui permet par exemple à la DGCCRF de savoir si une ristourne a été accordée en échange d’une contrepartie réelle. Récemment, l’utilité de ce cadre a été confortée par un arrêt du 25 janvier 2017 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a confirmé des sanctions à l’encontre de groupements d’achats Leclerc (Galec).
La seconde réglementation, celles des produits frais, offre « un formalisme moins puissant, mais elle interdit tout rabais, remise ou ristourne », explique Pascal Viné.

« On entre en terre inconnue »
En l’état, le texte n’indique pas la réglementation à laquelle les produits agricoles se rattacheraient à l’avenir. C’est un gros point d’interrogation. Le texte propose seulement de sortir les produits agricoles et alimentaires de la convention unique. Selon Coop de France, la lecture du texte peut faire penser que le commerce des produits agricoles est renvoyé par défaut au Code civil. Autrement dit, très peu d’encadrements pour protéger les entreprises agroalimentaires. « Dans ce cas, ce serait très préoccupant sur la capacité des entreprises à défendre leurs intérêts », estime Pacal Viné.
Et Coop de France de résumer : « On entre en terre inconnue. L’amendement ouvre une porte qu’il faut explorer, mais tout ce qui a été fait depuis plusieurs années consiste à apporter de la traçabilité. Cette question est un problème de fond car ce formalisme a permis des condamnations ». Coop de France se demande d’ailleurs si l’intention du député ne serait pas de créer une nouvelle réglementation commerciale – tout aussi protectrice que la convention unique – mais spécifique aux produits agricoles et alimentaires.
Au-delà de ces craintes exprimées, le premier bénéfice d’une sortie de la « négociation annuelle » serait d’éviter que ne se reproduise la pénurie de beurre qui avait eu lieu dans la grande distribution en fin d’année dernière. Faute de pouvoir renégocier les prix à la hausse avant le rendez-vous de fin d’année, les laiteries avaient préféré ne pas approvisionner les grandes surfaces. Plus largement, le rapporteur souhaite en finir avec les difficultés de l’agroalimentaire à répercuter les hausses de ses matières premières. Le texte pourrait apporter de la liberté aux entreprises, convient Coop de France.

Un besoin de renforcement des clauses de renégociations
Dans l’esprit de la majorité, cette suppression du rendez-vous annuel irait de pair avec un renforcement des clauses de renégociations et une incitation aux contrats pluriannuels : « Nous voulons rentrer dans une relation client-fournisseur simple, avec des contrats qui doivent être de manière privilégiée pluriannuels », explique Jean-Baptiste Moreau. Sur les clauses de renégociation, le député de la majorité Grégory Besson-Moreau, très actif durant l’examen du projet de loi, annonce qu’un amendement doit être négocié entre Bercy et le ministère de l’Agriculture « qui vise à rendre automatique les révisions de prix en fonction de l’évolution des indicateurs de coûts des matières premières »
Selon le député de l’Aube, « les clauses de renégociations ne fonctionnent pas, notamment parce que les délais sont trop longs ». Un tel renforcement serait probablement de nature à rassurer Coop de France : « S’il n’y a plus de négociation annuelle, à quel moment une petite entreprise va-t-elle réussir à passer ses hausses ? Il faut une clause de renégociation très renforcée », commente le service juridique de Coop de France.
Tous les observateurs s’entendent donc sur une chose : tel qu’il a été adopté et en l’absence de textes complémentaires, l’amendement est insuffisant. « En l’état, je ne vois pas en quoi cela va apaiser les choses, s’interroge Claire Chambolle, économiste à l’Inra, spécialiste des relations entre l’agroalimentaire et la distribution. En quoi la nature du rapport de force serait modifiée parce que l’on en modifie la fréquence ? S’il s’agit par exemple d’aller vers des négociations pluriannuelles, le psychodrame dont parle Jean-Baptiste Moreau sera moins fréquent mais encore plus important ».
Contacté par Agra Presse, Jean-Baptiste Moreau promet de renforcer son texte : « Je vais retravailler le texte avec Bercy car il y a beaucoup de conséquences en cascades. Il faut recréer un cadre qui permette de sécuriser et de renégocier quand les prix des matières premières augmentent ».
Le texte qui sera déposé en séance publique attirera, à coup sûr, la curiosité de toute la filière agroalimentaire.

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