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Mal-être en agriculture
« La vie a plus d'importance... »

Nicolas* est éleveur et il y a quelques années, les aléas de la vie l'ont entraîné dans une spirale infernale où l'issue aurait pu être dramatique sans son courage pour appeler à l’aide et le soutien de ses proches.

Nicolas a réussi à rebondir après plusieurs mois de difficultés et témoigne aujourd'hui pour faire changer les regards sur le mal-être en agriculture. (photo d'illustration)
© M.Comte

Le jour est levé depuis quelques heures. Nicolas* vient de finir la traite, première étape d'une longue journée qui s'annonce. Celle-ci sera cependant différente des autres. Dans sa petite cuisine, assis sur un tabouret de bar, il sert le café à ses invités du jour. Le visage tendu, il appréhende de se replonger dans ses souvenirs douloureux, de s'ouvrir en toute sincérité, de partager son histoire. « Je le fais pour mes collègues. Je veux qu'ils comprennent qu'il n'y a rien de honteux à se retrouver dans une telle situation, que ça peut arriver à tout le monde. C'est un de ces moments malheureux de la vie mais qui doit rester un moment et non être le mot de la fin. » Il est le seul à s'être porté volontaire à notre appel pour témoigner de sa douloureuse expérience, celle d'une descente en enfer d'où il est parvenu à s'extirper.

Nicolas tient cependant à garder l'anonymat. Non parce qu'il se sent honteux vis-à-vis de certains de ses voisins. « Quand vous êtes dans la difficulté, vous vous retrouvez rapidement seul. À croire que les gens ont peur d'être contaminés. Et puis, je suis décidé à témoigner sincèrement de ce que j'ai vécu. »

Quand les coups du sort s'enchaînent

Le métier d'agriculteur, Nicolas en rêve depuis qu'il est gosse. « C'est une vocation, un choix. » Après l'obtention de son Bac pro, il travaille pendant cinq ans en tant que salarié agricole avant de rejoindre le Gaec familial en 2006. Sur l'exploitation de 120 hectares, son père et lui élèvent un troupeau laitier et allaitant auxquels s'ajoutent un poulailler label et une petite activité de transformation fromagère. Lors de son association, il a racheté une exploitation voisine avec des surfaces supplémentaires, du cheptel, du matériel et une stabulation. « Au total, nous avions entre 45 et 50 000€ d'annuités par an. » Les résultats technico-économiques de l'exploitation permettent d'assumer ces investissements, du moins jusqu'à la première crise laitière puis la seconde (2008-2009). « La trésorerie a commencé à fondre et depuis elle était difficile à remonter. Les premières dettes fournisseurs ont commencé à s'accumuler. Nous avons, en revanche, toujours payé la banque.»

En 2012, le père de Nicolas quitte le Gaec. Naît alors le projet d'installer l'épouse du jeune éleveur en ajoutant 20 vaches allaitantes supplémentaires ainsi qu'un atelier de transformation laitière plus conséquent. « Nous avons divorcé peu de temps avant son installation. » Du jour au lendemain, Nicolas se retrouve donc seul pour produire, entre autres, 500 000 litres de lait. Face à la charge de travail, il abandonne le poulailler et le projet de construction de la fromagerie. « Je ne voulais plus investir.» Malheureusement, les coups du sort s'enchaînent avec l'incendie d'une partie de sa maison et la bataille juridique pour la garde de sa fille. « C'est à ce moment-là que les choses sont devenues très difficiles moralement. Entre l'exploitation, le divorce, ma fille... J'ai perdu 20 kg. »

« Dans ces moments, on arrive vite à penser à de mauvaises choses »

D'un tempérament volontaire, Nicolas se jette à corps perdu dans le travail, bien décidé à passer ce mauvais cap.  « J'étais là physiquement mais ma tête était ailleurs. J'ai perdu des vaches bêtement, par manque d'attention » témoigne-t-il. La situation technico-économique de l'exploitation s'enfonce et les dettes s'accumulent encore un peu plus. Nicolas s'épuise à la tâche.

Sans en avoir réellement conscience, sans l'avoir choisi non plus, il est pris dans une spirale infernale où chaque jour devient plus difficile que le précédent. À la question s'il a pensé au suicide, il répond, le regard perdu par la fenêtre : « dans ces moments, on arrive vite à penser à de mauvaises choses ». Son salut, le jeune éleveur le doit à sa fille et ses parents « ils m'ont fait tenir, ils m'ont soutenu». Un matin, à l'heure habituelle du café, il trouve sur sa table de cuisine un petit bout de papier avec le numéro de l'association Solidarité Paysan. « Ma mère l'avait déposé là. J'ai alors compris que quelque chose n'allait pas. Que je devais me sortir la tête du sable. C'est difficile d'appeler à l'aide. Je l'ai fait pour mes proches. Je me suis battu pour eux. »

« Être sincère avec soi-même et les autres »

Nicolas, accompagné par l'association, reprend en main son exploitation. Le premier objectif est de recouvrir ses dettes fournisseurs. « Je me suis rendu devant le tribunal de commerce pour demander un règlement amiable. Psychologiquement, c'est très difficile parce qu'on va au tribunal. J'ai dû plaider ma cause devant le juge. » Ce dernier accepte un étalement des dettes sur cinq ans et une conciliatrice est nommée pour prendre les choses en mains auprès des fournisseurs. Nicolas reconnaît aujourd'hui : « cela a été une grande chance que mes fournisseurs acceptent cette solution (...) ils m’ont fait confiance, je travaille toujours avec eux ». La trésorerie de l'exploitation retrouve petit à petit des couleurs. Le troupeau se porte mieux et Nicolas aussi. « J'ai retrouvé de la technicité. Je produis autant de lait mais avec moins de charges. J'ai redimensionné mon système pour retrouver un équilibre entre travail et vie privée. Dans cinq ans, j'aurai complètement sorti la tête de l'eau. »

Nicolas clôture sereinement cette mauvaise période de sa vie. Il a retrouvé le plaisir de faire son métier tout en ne négligeant pas sa vie de famille, auprès de sa fille. Avec le recul, il reconnaît dans ces moments sombres avoir fait la politique de l'autruche. « Je suis quelqu'un de plutôt renfermé, avec une certaine fierté. C'était difficile de se dire que quelque chose n'allait pas. Pris dans le quotidien, le travail et les tracas, on ne s'attarde pas sur soi-même. » Puis il y a le regard des autres. Nicolas témoigne avoir beaucoup souffert de ces portes voisines qui se sont fermées, l'isolant encore davantage alors qu'il avait besoin de soutien. « Il y a encore une forme de tabou dans les campagnes et surtout de jugement. » Nicolas est désormais bénévole à l'association Solidarité Paysan pour « aider mes collègues, leur montrer qu'on peut s'en sortir, qu'il ne faut pas rester seul, être sincère avec soi-même et ses proches et surtout leur dire que la vie a plus d'importance...»

*Le prénom a été changé.

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