La France aux manettes de l’Europe pendant six mois
« Relance, puissance, appartenance » : telle est la devise que s’est donnée la France pour sa prochaine présidence du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Á partir du samedi 1er janvier 2022, Paris prend la tête de cette présidence tournante pour six mois. La dernière fois, c’était en 2008.
A la tête de l’Union européenne, la France présidera les réunions des formations thématiques du Conseil, ainsi que les travaux de ses instances préparatoires. Elle sera également, du 1er janvier au 30 juin 2022, la représentante du Conseil de l’UE auprès des autres institutions communautaires. Le Conseil de l’UE, aussi appelé Conseil des ministres de l’UE, est une institution européenne de premier plan. Il se compose de dix formations thématiques, qui rassemblent les ministres des 27 États membres pilotant ces dossiers. Parmi les plus connus :
le conseil agriculture et pêche, le conseil affaires étrangères ou encore le conseil affaires économiques et financières. Partageant avec le Parlement européen le processus de «codécision», le Conseil de l’UE a pour mission de négocier puis d’adopter les propositions législatives de la Commission européenne, ainsi que le budget de l’UE. Il coordonne les politiques des 27, notamment en matière économique et budgétaire, et conçoit puis applique la politique étrangère et de sécurité de l’UE. Le Conseil de l’UE se distingue du Conseil européen, qui réunit les dirigeants des Vingt-Sept pour aboutir à des impulsions politiques et définir les priorités de l’Union européenne.
400 rendez-vous à l’heure de l’Europe
Les 6 et 7 janvier 2022, Emmanuel Macron recevra l’ensemble des commissaires européens avant de s’exprimer devant le Parlement européen le 19 ou le 20 janvier pour dévoiler sa feuille de route pour la PFUE. Des sommets thématiques seront organisés par les ministres français dans différentes villes, souvent sur leur terre d’origine. Selon le site spécialisé Contexte (article abonnés), un sommet sur l’environnement pourrait avoir lieu à Amiens, un autre sur la santé à Grenoble, sur la Justice à Lille et sur l’espace Schengen à Marseille, autour du 21 janvier. Le 10 mars à Strasbourg, les conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe lancée en mai 2021 seront dévoilées. Cette consultation publique, dont l’idée avait été formulée par Emmanuel Macron en mars 2019, vise à permettre aux citoyens d’exprimer ce qu’ils attendent de l’UE. De nombreux événements – près de 400, selon le site Toute l’Europe – seront également organisés en France au cours de cette présidence. Sommets, conférences, événements publics...sont au programme, si toutefois les conditions sanitaires le permettent.
Il y treize ans, une présidence française déjà sous le signe de la crise
Si la présidence française 2022 va s’ouvrir dans un contexte de crise sanitaire, déstabilisant le monde depuis bientôt deux ans, en 2008 la présidence française avait déjà fait les frais d’une crise géopolitique et financière assez inédite. Le 10 juillet 2008, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, se présente devant le Parlement européen pour y décliner les quatre grandes priorités politiques de sa présidence : l’adoption d’un Pacte européen de l’immigration, un accord sur la politique européenne relative au climat, la mise en place d’une politique européenne de défense et un accord sur le bilan de santé de la Politique agricole commune. Quelques jours avant sa prise de fonction, la France est confrontée au “non” des Irlandais lors d’un référendum pour ratifier le traité de Lisbonne. Au mois d’août, des conflits éclatent dans les provinces géorgiennes d’Ossétie du Sud puis d’Abkhazie, forçant l’UE à dépêcher une mission d’observation dans les provinces séparatistes, aidées par les forces russes. Enfin à l’automne, l’Union subit de plein fouet la crise financière et bancaire, dans la foulée de la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers au mois de septembre.
Jérémy Decerle : « On a une équipe de France agricole qui doit faire passer des messages »
Élu député européen¹ après avoir présidé aux destinées de JA national, Jérémy Decerle voit dans la présidence française de l’Union européenne, une opportunité inédite pour faire converger les vingt-sept sur des dossiers aussi stratégiques que celui de la réciprocité commerciale.
Chaque État membre préside l’Europe une fois tous les treize ans. La France sera le prochain pays a endossé cette responsabilité du 1er janvier au 30 juin 2022, ce qui va coïncider avec la tenue de l’élection présidentielle (10 et 24 avril 2022). Ce hasard du calendrier vous paraît-il problématique ?
Jérémy Decerle : Il n’y a pas de question à se poser de cet ordre-là. Peu importe si cette présidence va tomber pendant la campagne présidentielle française, l’essentiel est de profiter de cette opportunité. L’évènement est suffisamment rare pour en saisir toute la portée. Pendant six mois, l’administration française va avoir ce souci de répondre aux sujets européens, on sous-estime souvent la portée d’un tel évènement. Cela représente une responsabilité énorme, mais aussi un moyen d’ancrer un certain nombre de messages.
L’agriculture ne risque-t-elle pas d’être noyée par les problématiques autour de la santé, de la défense, de l’environnement…
J.D : Nous avons la chance d’avoir un président qui connaît les enjeux (voir par ailleurs). Dans l’agenda, l’agriculture fait bien partie des sujets. Quand je sais ce que la France, grâce à lÉtat, ses régions, ses élus professionnels dispose de talents et d’expertises pour défendre l’agriculture, je suis plutôt rassuré.
Quels dossiers agricoles prioritaires doivent-ils être défendus ?
J.D : Obtenir la réciprocité dans le commerce est une priorité majeure. La présidence française doit inscrire cette nécessité de manière plus franche dans le cerveau européen. Le caractère du juste échange doit devenir une règle. C’est ce qu’on appelle les clauses miroirs pour que les questions agricoles et alimentaires arrivent à être traitées dans un cadre dédié pour avoir de la réciprocité. Une des priorités du ministre, c’est la mise en place de clauses miroirs pour la limite minimale des résidus de pesticides et antibiotiques.
Comment y parvenir ?
J.D : Il y aura deux étapes importantes. D’abord, dans la PAC, il y aura dans le texte législatif de l’organisation commune de marché (OCM), une déclaration commune des trois institutions européennes qui s’engagent pour une meilleure prise en compte des normes environnementales européennes et la réciprocité. Inscrire cela dans les textes législatifs est un pas important. Nous savons que si aujourd’hui le dossier de libre-échange avec le Mercosur était mis au vote, au Parlement européen, le Parlement serait contre. Maintenant, il s’agit de profiter de cet alignement des planètes pour amener le Parlement et le Conseil à débattre sur ces sujets-là. La France pourra profiter de son pouvoir pour amener des positions, poser des jalons, donner le tempo des rendez-vous importants et au final, nous l’espérons tous, influencer davantage.
Quels sont les alliés de la France pour avancer sur cette réciprocité des normes ?
J.D : Aujourd’hui, le ministre de l’Agriculture espagnol, et la ministre autrichienne sont plutôt de notre côté. Au sein du Parlement, nous pourrions aller chercher les néerlandais. Les allemands, sous Merkel, étaient sans doute un peu moins partisans de ces contraintes-là, mais avec la coalition aux affaires désormais intégrant des écologistes, y compris à la tête du ministère de l’Agriculture, ils pourraient devenir des alliés de poids. Ce qui est positif pour nous, c’est que le problème de réciprocité des normes est désormais clairement identifié. Au moment du débat sur le CETA (accord de libre-échange avec le Canada), le doigt a été mis sur cette concurrence déloyale.
Concrètement, comment se prépare la présidence française de l’Union ?
J.D : Il y a déjà eu des rendez-vous entre les ministres français à Bruxelles et Strasbourg. Pour préparer la PFUE, la France a également consulté la République tchèque et la Suède, les deux pays qui lui succéderont à la tête du Conseil de l’UE, pour élaborer de grands objectifs communs. Chaque pays met ensuite en avant ses propres priorités pour six mois. L’administration française à Bruxelles est en échange permanent avec les députés. Sur les clauses miroirs, par exemple, elles font désormais l’unanimité auprès des groupes politiques. Une chose sur laquelle nous devons marquer les esprits, c’est sur notre consistance et notre cohérence dans la vision portée. Parce que notre agriculture est très diversifiée, et draine beaucoup d’acteurs…il y a souvent un éclatement des messages…Pendant la présidence française de l’Union, en plus des clauses miroirs, il faut dégager une ou deux autres priorités sur lesquelles nous sommes tous d’accord : la démographie avec le renouvellement des générations, et la structuration de filières et d’organisation de marché... On a une équipe de France agricole qui va faire passer des messages. Le ministre de l’Agriculture en sera le capitaine.
¹ Jérémy Decerle a été élu sur la liste Renaissance, portée par la majorité présidentielle (LREM), lors des dernières élections européennes.Présidence : Plus d’États, plus de temps entre les rotations
ν En 1959, la France prenait pour la première fois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Une fonction occupée douze fois, au total. Depuis 1959 et la première présidence française (PFUE), l’exercice a beaucoup évolué. Dans son intitulé d’abord, puisqu’on parlait jusqu’à l’adoption du traité de Maastricht en 1992, de présidence du Conseil des Communautés européennes. Mais aussi et surtout dans sa régularité et dans les tâches qui incombent à l’exercice. En raison de l’augmentation du nombre d’États membres, l’écart entre deux PFUE s’est ainsi creusé. Alors qu’elle n’attendait initialement que trois ans pour présider une institution de six membres, la France doit désormais patienter treize ans pour laisser aux 26 autres états membres de l’UE le soin d’occuper cette fonction. Après l’annonce des résultats du référendum britannique en faveur du Brexit en 2016, un nouveau calendrier des futures présidences a vu le jour pour tenir compte du départ du 28e membre.