« La filière souffre d’un déficit d’organisation »
Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine.
Le président de la Fédération nationale bovine (FNB), Bruno Dufayet établit un point de situation post Covid et trace quelques perspectives pour la rentrée.
Au mois d’avril, la consommation de viande bovine était dynamique dans les grandes surfaces et les boucheries. Pendant le confinement, les ventes de steaks hachés ont grimpé de 24 % en frais et de 60 % en surgelés. Et pourtant, le prix payé au producteur a baissé. Aujourd’hui, où en est-on ?
Les prix ont-ils remonté ?
La Fédération nationale bovine avait alerté sur ce dérèglement et nous avions, à l’époque lancé un appel à la rétention des animaux dans les élevages pour maintenir les prix. Dans le même, nous avions rencontré, fin mai, le ministre de l’Agriculture d’alors, Didier Guillaume, avec les représentants des abattoirs et de la grande distribution. Nous avions établi le constat qu’une telle situation ne pouvait pas perdurer, au risque de voir disparaître la filière bovine de notre pays. Fort heureusement, cette prise de conscience a réveillé les esprits et nous constatons aujourd’hui une reprise des cours sur les femelles vaches allaitantes et vaches de réforme en catégorie R. Ces cours sont passés de 3,70 €/kg à 4,09 €/kg. C’est un premier signal.
Quel est l’impact de la sécheresse sur les élevages ? Allez-vous demander l’aide du Gouvernement ?
Toutes les zones d’élevage sont très touchées par la sécheresse et cette situation, dont les agriculteurs n’avaient pas besoin, pèse évidemment sur les trésoreries ne serait-ce parce que les animaux ont besoin de davantage de fourrage et d’eau. Bien que le ministre ait actionné le fonds « calamité » que chaque département devra gérer, nous savons très bien que le compte n’y sera pas.
Avec l’effet conjugué du déconfinement et de la sécheresse, craignez-vous une décapitalisation ?
Nous vivons cette décapitalisation depuis déjà trois ans et il est vrai que la crise sanitaire et la sécheresse peuvent accentuer ce phénomène inquiétant pour la survie de la filière bovine. Le danger existe et nous restons vigilants. La crise du coronavirus a permis aux productions bovines de connaître un sursaut réel et un regain d’intérêt pour l’origine France. La valeur ajoutée, si elle est équitablement répartie tout le long de la filière, peut améliorer le revenu des éleveurs.
À ce sujet, où en sont aujourd’hui vos relations avec les abattoirs et les industriels d’une manière générale ?
Globalement, le climat est plus apaisé et un peu plus serein. Nous travaillons continuellement avec les abattoirs pour faire en sorte que les efforts réalisés pendant la crise sanitaire puissent perdurer, autrement dit que la reprise des prix à la production constatés pendant cette période puisse se pérenniser. Nous ne perdons pas de vue qu’il faut intégrer la distribution dans ces enjeux.
Selon une étude de la FAO (publiée en juin 2020), on assiste à une diminution de la consommation de viande. Or la consommation de viande avait déjà diminué en 2019. Assiste-t-on à un renversement de tendance ?
Ces chiffres sont à prendre sur un plan mondial car, en France, nous constatons une stabilité en volume, avec bon an mal an, plus d’1,5 million de viande bovine consommées. Certes, la consommation peut baisser par habitant. Il faut y voir là un effet mécanique dû à l’augmentation de la population en France. À la FNB, notre objectif est de faire en sorte que cette consommation se porte sur une origine France. Comme le dit Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, « nos emplettes sont nos emplois ». Cela vaut pour toute la filière. Tout ce qui né, élevé, abattu, transformé et consommé en France, permet de maintenir une activité dynamique pour nos éleveurs.
Est-ce que c’est en partie ce qui explique l’engouement, pendant le confinement, des consommateurs pour les circuits courts ?
Les circuits courts existaient avant le confinement et représentaient déjà, en 2019, 4 % de la viande bovine commercialisée. Le créneau n’est pas négligeable et les consommateurs ont renforcé ce lien de proximité pendant la crise sanitaire. Le fait que d’autres éleveurs se soient tournés vers ce mode de distribution montre également qu’ils comblent un déficit d’organisation de la filière et qu’ils souhaitent récupérer une part de la valeur ajoutée qui aujourd’hui leur échappe. À la FNB, nous suivons cette évolution de près.
La crise du coronavirus a également impacté le marché des broutards dont les exportations ont baissé, particulièrement au mois de mai : -9 %. La situation s’est-elle améliorée depuis ?
Oui la situation s’est améliorée avec une reprise importante de la demande sur des destinations comme l’Italie, l’Espagne et l’Algérie qui restent des partenaires importants. Cependant nous nous retrouvons dans un schéma économique identique à celui des femelles pendant la crise du Covid, c’est-à-dire que malgré la bonne tenue des exportations et une demande de la consommation, les prix viennent à baisser à la production.
Pourquoi ?
Simplement parce que la filière souffre d’un déficit d’efficience dans son organisation. En conséquence, la FNB s’emploie, en bovins finis comme en bovins maigres, à convaincre les opérateurs que c’est en défendant et en valorisant l’excellence française que l’on trouvera la solution de pérennité du secteur, rémunératrice pour chacun des acteurs de la filière. Dans le même ordre d’idées et plus largement, nous travaillons à un plan post États généraux de l’Alimentation sur la manière de valoriser la filière engraissement, avec un volet contractualisation. L’objectif étant de consolider financièrement les élevages français qui restent une filière d’excellence avec un énorme potentiel, mais en grande difficulté dans la situation actuelle.
On sent une montée en puissance du mouvement antispéciste. N’est-ce qu’un effet de mode ? Que craignez-vous pour l’avenir de vos productions ?
Ce mouvement n’est pas nouveau mais sa médiatisation peut constituer un phénomène inquiétant dans la mesure où le discours qui est véhiculé est parfois radical, extrémiste. Je me rassure aujourd’hui sur l’impact des propos véhiculés par ces associations quand je constate le niveau de consommation de viande en général et de viande bovine en particulier. Sur le plus long terme, il est difficile d’en mesurer l’impact. Une chose est certaine : Premièrement, nous n’avons pas à rougir de nos modes d’élevages qui constituent en France, une particularité au regard d’autres pays. Secondement, nous n’avons pas attendu ces mouvements antispécistes, pour travailler avec des associations et des ONG sur la question du bien-être animal en particulier. Avec elles, nous préparons la production de demain.