IRRIGANTS DE FRANCE
Irrigation : « Sans eau, on ne produit rien »
De mémoire d’irrigants, jamais la pratique n’aura été autant contestée qu’en 2023. L’accès à l’eau semble être devenue un puits sans fond. Et pourtant sans eau, point de culture ni d’alimentation, c’est ce qu’ont redit, les 600 professionnels réunis en congrès la semaine dernière à Clermont-Ferrand.
De mémoire d’irrigants, jamais la pratique n’aura été autant contestée qu’en 2023. L’accès à l’eau semble être devenue un puits sans fond. Et pourtant sans eau, point de culture ni d’alimentation, c’est ce qu’ont redit, les 600 professionnels réunis en congrès la semaine dernière à Clermont-Ferrand.
Alors que des inondations d’envergure ont frappé durement le Nord de la France ces derniers jours, Eric Frétillère, président des Irriguants de France, structure qui rassemble quarante-trois associations départementales d'irrigants et sections « irrigation » de FDSEA/FNSEA ainsi que les associations spécialisées, a rappelé en ouverture du congrès, une nouvelle donne : « Ces phénomènes nous rappellent que le réchauffement climatique est en marche. Le volume d’eau va être constant mais en excès et en déficit durant certaines périodes. Retenir cet excès d’eau, mais pas n’importe où ni n’importe comment, voilà l’enjeu majeur ». Devant les 600 congressistes réunis, mardi et mercredi derniers, à Clermont-Ferrand, l’agriculteur de Dordogne qui est à la tête d'une exploitation de maïs d'une centaine d'hectares au nord du Bergeracois, a également dénoncé une montée de la violence qui a démarré à Sivens, puis s’est cristallisée autour du projet de retenue collinaire de Sainte-Soline, mais aussi sur d’autres projets… « Nous demandons que les gens qui vandalisent soient condamnés. La concertation peut être une réponse à ces violences. Nous avons le devoir de porter ces dossiers conjointement avec la FNSEA, Coop de France… ».
Stocker l’eau, pas n’importe où, ni n’importe comment
Aujourd’hui, Irrrigants de France entend agir sur deux volets : la communication et le juridique. « Nous avons des lignes rouges à faire reconnaître et accepter. Le ministère de l’Agriculture doit se réarmer sur l’eau, depuis 1995, prérogative qui dépend du ministère de l’Ecologie ». Et à ce titre, les professionnels dénoncent les dérives de leur ministère de tutelle, celui de l’Ecologie : « Nous sommes noyés sous l’augmentation des taxes. Pendant ce temps, le ministère de l’Ecologie avance, parfois sans concertation, on limite nos dérogations, on augmente les contrôles et les sanctions ». Et pourtant l’enjeu est de taille, selon Eric Frétillère : « À mon sens, après l’eau potable, l’eau doit servir à produire l’alimentation humaine. Si on veut préserver tous ces enjeux auxquels le monde agricole va être confronté, il faut que l’agriculture soit reconnue comme un intérêt général majeur, parce que sans eau, on ne produit pas ». Pour Irrigants de France, une des premières réponses, c’est le stockage de l’eau. « Mais la particularité de l’eau, c’est que c’est une problématique locale. Au sein d’un territoire et au sein même d’un département, il y a des différences ; donc il faut vraiment que la politique de l’eau soit une politique locale et qu’elle s’adapte aux besoins locaux ».
Pourquoi les arguments de pillage de la ressource, de bassine sont-ils plus audibles dans l’espace médiatique ?
Réponse très étayée du sociologue, Gérald Bronner professeur de sociologie à Sorbonne Université, membre de l'Académie nationale de médecine depuis 2017, ainsi que de l'Académie des technologies et de l'Institut universitaire de France : « Nous avons autant d’éditorialistes en France que de comptes Facebook. Tous étaient géo politologues au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine, tous épidémiologistes lorsque le Covid a surgi, tous spécialistes de l’eau…avec l’épisode de Sainte-Soline. Nous sommes face à l’Effet Dunning Kruger, un biais cognitif par lequel les moins qualifiés dans un domaine pourraient surestimer leur compétence ». Et c’est ainsi que dans le monde numérique, ce phénomène joue à plein, « avec des supers utilisateurs, qui s’expriment beaucoup et qui sont souvent porteurs de radicalité. Les militants sont très forts pour dérouler une argumentation très rodée, une lutte du vraisemblable contre le vrai qui s’engage. Le mal n’a pas besoin d’autre chose pour s’imposer que de l’apathie ». Alors que faire pour contrer cette bataille de la communication ? « Tant qu’il y a de l’humain, il y a de l’espoir. Les opposants sont plus présents dans les médias, c’est un fait, mais vous pouvez combler le retard, en répondant à leurs sollicitations. Vous êtes experts en tant qu’agriculteurs et surtout légitimes pour répondre », insiste Gérald Bronner.
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Pourquoi le monde politique cède-t-il facilement à l’argumentaire des opposants aux méga bassines ?
La réponse est venue de l’intérieur, par la voix de Laurent Duplomb, sénateur de Haute-Loire, invité à témoigner à la table ronde en visio : « Par facilité, le monde politique s’est laissé séduire par les raccourcis. Il est plus facile de céder à la tentation du populisme. L’éducation de l’école de la République ne permet plus aux français de cultiver la rationalité. La peur, la culpabilité et l’interdit ont remplacé le triptyque républicain : liberté, égalité, fraternité ». Et d’enjoindre les agriculteurs à ne pas lâcher les armes : « Le média se nourrit des peurs, il faut des interlocuteurs crédibles et disponibles pour les contrecarrer. Il faut peut-être également utiliser un langage plus imagé que celui de réserve de substitution pour qu’enfin nous sortions de cette perpétuelle guerre de l’eau ».