« Il faut savoir se parler pour avancer »
Marie-Françoise Lecaillon, Ancienne préfète de l'Allier
Marie-Françoise Lecaillon, préfète de l'Allier, a quitté ses fonctions dans le département de l'Allier le lundi 8 mars pour prendre les rênes de la préfecture du Gard. Elle sera remplacée le même jour par Jean-Françis Treffel, jusque là en fonction en la préfecture de Mayenne.
Elle aura été la première femme préfète de notre département.
L'Allier, le Bourbonnais, est un territoire qui vous a particulièrement plu. Qu'en retiendrez-vous ?
Marie-Françoise Lecaillon : J'y ai vécu pendant ces trois ans en essayant d'y être très présente. Pour connaître un territoire et pour en avoir les clefs, il faut aller à la rencontre de ses élus et de ses habitants. Comme j'ai la chance d'avoir un chauffeur, j'ai pu apprécier, au cours de mes déplacements, la diversité des paysages. On se rend compte qu'entre la Limagne et le Bocage Bourbonnais, nous sommes sur des visions différentes qui influent sur leurs habitants.
Moulins, Montluçon, Vichy, trois agglomérations toutes bien différentes. Comment avez-vous coordonné votre action départementale ?
M.-F. L : Oui, c'est une spécificité de ce département. Elles ont effectivement des histoires, des développements, des pôles d'attractivité différents. Il faut donc s'appuyer sur ces différences pour que les aides de l'État, qu'elles soient financières ou amenant une réflexion, pour que ces identités existent toujours. C'est une chance pour l'Allier d'avoir ces trois villes car elles permettent un maillage territorial composé de communes plus petites et qui doivent mériter notre attention car ce sont elles qui animent l'ensemble du territoire. L'un des enjeux est de faire converger tout le monde vers un projet départemental et territorial.
Il y a un dossier qui passe de mains en mains, de préfet en préfet, c'est celui de la RCEA, la future A79, qui va bientôt passer en 2X2 voies. Même si vous n'aurez pas la chance de l'inaugurer, c'est un dossier qui avance enfin ?
M.-F. L : Vous savez, dans nos métiers, nous inaugurons beaucoup ce que nos prédécesseurs ont fait et on laisse nos successeurs inaugurer ce que nous avons essayé de porter. Je pense qu'il y a un certain nombre de dossiers emblématiques du département, où, effectivement, beaucoup de préfets, ont apporté leur pierre à l'édifice. Pour ce dossier il s'avère que j'aurais été dans l'intermédiaire à travers les demandes d'autorisations qui ont permis le démarrage du chantier. Nous ne sommes pas propriétaires de nos dossiers et c'est ce qu'on appelle la continuité de l'État.
Vous avez été la première préfète de l'Allier. A vos côtés trois sous-préfètes. Voir des femmes accéder aux plus hautes fonctions de l'État a été, sans doute pour vous, un moment de fierté ?
M.-F. L : Nous sommes les témoins d'une évolution positive qu'il faut poursuivre. Ce n'est pas forcément une fierté mais nous incarnons ces changements qui traduisent une volonté affirmée du ministre de l'Intérieur et de l'ensemble des membres du gouvernement pour le corps préfectoral et pour l'ensemble des hauts-fonctionnaires. Le message qu'on envoie par cela est en direction des jeunes filles qui ne doivent pas se fixer de limites. Nous le voyons dans ce département à travers les associations de femmes chefs d'entreprises, des agricultrices cheffes d'exploitations...
Nous avons donc une dynamique qui s'accélère.
L'économie départementale est dominée par les activités agricoles et leurs filières. Vous avez souhaité entretenir des liens privilégiés avec les représentants de ces professions et avec les agriculteurs en règle générale. Le contact humain est important, notamment lors d'échanges qui peuvent être parfois tendus sur certains dossiers ?
M.-F. L : Ces relations j'ai aussi essayé de les avoir avec d'autres chefs d'entreprises, dans d'autres secteurs. Cependant, pour l'agriculture, nous ne sommes pas dans le même domaine. En effet, l'agriculture constitue une force économique importante qui ne se limite pas qu'à l'entretien des paysages. L'Allier possède des abattoirs et toute une industrie liée à l'agroalimentaire.
Je crois beaucoup à la force du dialogue. Il est important de se parler quand les choses vont plutôt bien, ce qui permet de mieux se comprendre quand il y a des tensions. Et oui, nous avons essayé de porter des sujets agricoles car les trois dernières années de sécheresses importantes que nous avons connues ont impacté fortement le monde agricole. Travailler sur la présentation des dossiers de calamités agricoles demande un fort investissement des services de l'État mais en parfaite collaboration avec la Chambre d'agriculture.
Si vous ne vous parlez pas, vous n'arrivez pas à monter vos dossiers. Même chose quant à la réflexion que nous avons essayé d'engager sur le partage de l'usage de l'eau. L'agriculture est un élément essentiel de l'économie du département et, même si les agriculteurs sont de moins en moins nombreux, ici, dans l'Allier, on constate tout de même beaucoup d'installations. Des agriculteurs qui sont de moins en moins nombreux à s'investir au sein des Conseils municipaux. Il faut donc soutenir ce monde agricole au delà de ce volet agricole, soutenir ces femmes, ces hommes qui peinent à en vivre.
La dernière année, ici en préfecture de l'Allier, a été dominée par la gestion d'une crise sanitaire sans précédent. Quel bilan peut-on en tirer ?
M.-F. L : Nous avons eu une organisation très intégrée au niveau des services de l'Etat. Au premier confinement, nous sommes restés ici avec une petite équipe de vingt-cinq personnes. Il a fallu aussi préparer les élections municipales. Je rappelle l'importance du travail avec les élus locaux à travers une véritable relation de confiance. Cela ne veut pas dire que nous sommes toujours d'accord mais qu'on est capable de se parler et de réfléchir ensemble. Comme pour les agriculteurs, il est indispensable d'échanger pour avancer.
Vous avez, à titre professionnel, parcouru le département en long, en large et en travers. Avez-vous eu le temps de le faire à titre personnel, plus anonyme ?
M.-F. L : Je me suis beaucoup promenée en forêt de Tronçais et j'ai visité les sites emblématiques comme Charroux, Souvigny sans oublier le Mupop et le CNCS. J'ai eu plaisir aussi à m'arrêter dans certains villages.
De beaux villages pour lesquels un effort est fait par les élus et ses habitants pour les embellir. Alors, oui, j'ai profité de mes weekends car je savais que le temps m'était compté. Certains membres de ma famille ont su aussi en bénéficier lors des visites et m'ont dit vouloir revenir. C'est donc gagné !