Epandage de poudre de basalte : le Cantal territoire test
Une start-up française, Climerock, teste dans le Cantal l’épandage de poudre
de basalte sur des surfaces agricoles pour doper l’absorption du CO2 atmosphérique.
Une start-up française, Climerock, teste dans le Cantal l’épandage de poudre
de basalte sur des surfaces agricoles pour doper l’absorption du CO2 atmosphérique.
On connaissait déjà la capacité des prairies à stocker du carbone et compenser ainsi - du moins partiellement (de l’ordre de 30 % en moyenne) - les émissions de gaz à effet de serre des bovins et autres herbivores qui y pâturent. Ce statut de puits de carbone des prairies du Massif central et donc de contributeur à la lutte contre le changement climatique pourrait se voir doper par une autre ressource intrinsèque du territoire, géologique cette fois : le basalte dont les écoulées effusives issues des volcans se sont déversées sur une grande partie du Cantal et du voisin puydômois. Comment ? En faisant appel à l’ERW (enhanced rock weathering), l’altération améliorée de la roche en français, c’est-à-dire en accélérant un phénomène naturel. Épandu sous forme de poudre, le basalte - et plus généralement les roches volcaniques silicatées - réagissent en effet avec le dioxyde de carbone atmosphérique. Ce CO2 forme de l’acide carbonique qui dissout le basalte, génère de l’alcalinité et des ions bicarbonates (HCO3-) qui vont permettre de piéger le CO2, explique Arthur Chabot, ingénieur en matériaux et cofondateur avec Antoine Davy, ingénieur en génie des procédés, de Climerock, la première et seule start-up française d’épandage de basalte sur des surfaces agricoles.
Accélération d’un processus naturel
Cette technologie, imaginée dès le début des années 1990 par un physicien suisse, Walter Seifritz, mais longtemps restée ignorée de la communauté scientifique, pourrait, selon les estimations de chercheurs de l’université de Sheffield, séquestrer 25 à 100 Gt de CO2 dans le monde dans les 50 prochaines années à condition d’épandre 40 tonnes par an sur chaque hectare des terres agricoles de la planète (soit 2 mm d’amendements). Des estimations qui restent cependant à affiner mais le potentiel est bien réel au point de susciter aujourd’hui, à la faveur de l’accélération du changement climatique aux effets désormais bien visibles, l’intérêt de fonds d’investissement et de géants de la Silicon Valley, parmi lesquels Meta (Facebook, Instagram), Alphabet (Google), Stripe (leader des paiements en ligne) ou encore Microsoft, qui ont investi dans des start-up ou projets d’altération améliorée de la roche. Ce ne sont pas les seuls, d’autres entreprises ont émergé en Écosse, au Brésil, en Inde, en Allemagne.
Bénéfices écologiques et agronomiques
La France est pour l’heure à la traîne, un retard que Climerock pourrait contribuer à réduire, avec des moyens certes sans commune mesure avec les millions de dollars levés par la concurrence de ces puissantes multinationales. La start-up a lancé à l’automne une phase test en ciblant le Massif central (où se situent 98 % des carrières de basalte françaises), et plus précisément le Cantal et le secteur de Saint-Flour pour tester et étudier sa technologie.
“Nous avons lancé deux premières expérimentations, une sur prairie, une autre sur une culture à proximité de Saint-Flour avec des agriculteurs volontaires(1). Des parcelles que nous suivons via des analyses de sol, de pH et d’autres plus spécifiques pour vérifier la capture de CO2 par le basalte au contact de l’eau de pluie. Ces tests vont nous permettre de mieux comprendre les phénomènes à l’œuvre mais aussi d’alimenter un modèle que nous sommes en train de construire pour simuler l’absorption du CO2 selon le dosage épandu, le type de parcelles...”, expose Arthur Chabot, qui met en avant les co-bénéfices agronomiques de cet épandage basaltique. Notamment pour corriger l’acidité des sols volcaniques cantaliens, se substituant ainsi au chaulage. “Lorsqu’il se dissout, le basalte libère différents minéraux, calcium, magnésium, potassium, silicium... qui vont fertiliser la parcelle”, fait en outre valoir l’ingénieur.
Les effets décompactants de cette poudre basaltique sont également décrits dans la littérature scientifique, tout comme sa capacité à accroître les rendements, rendre les plantes plus résistantes au stress hydrique et biotique... Des atouts supposés, qui, là encore, méritent d’être approfondis. Quid du coût de cet épandage pour les agriculteurs intéressés ? Dans un premier temps, le basalte en poudre est fourni gracieusement par Climerock.
Certificats d’absorption carbone
Quant au modèle économique, il repose sur la commercialisation de cette capture et de ce stockage de CO2, sous la forme de certificats d’absorption carbone auprès d’entreprises cherchant à décarboner leur activité, non pas en s’achetant des droits à polluer ou en finançant des projets de compensation volontaire de leurs émissions dans des pays du Sud, mais bien en agissant sur l’élimination du CO2 lui-même. “On s’inscrit sur ce troisième marché, émergent en France, du “carbon dioxide removal” (l’élimination du dioxyde de carbone). Ce qui va être décisif pour nous, c’est d’avoir de premiers grands groupes français qui nous achètent de petits volumes au début. On a en effet besoin de passer à l’échelle progressivement, pour l’instant on commercialise 50-100 tonnes”, précise Arthur Chabot, pour qui ces certificats d’absorption carbone s’inscrivent parfaitement dans la chaîne de valeurs de l’industrie agroalimentaire par exemple.
“Ce qui nous tient aussi à cœur, c’est le volet local, de réconcilier en quelque sorte les carrières et les agriculteurs, que les agriculteurs - qui sont entre l’enclume et le marteau, auxquels on demande de faire des efforts sur l’écologie sachant que la profitabilité économique de leur activité n’est pas évidente - soient les bénéficiaires”, plaident les fondateurs de la start-up, membre avec une dizaine d’autres acteurs tricolores de la toute jeune association française pour les émissions négatives (Afen).
(1) Poudre de roche épandue avec un épandeur à fumier mais Climerock va expertiser l’utilisation d’autres types de matériels (épandeur à rampe...).