Entreprises, disruptez-vous !
Intervention décapante que celle de Stéphane Mallard à la CCI sur la disruption technologique. Un courant qui pourrait rendre obsolète l'économie telle que nous la connaissons.
Que vous soyez médecin,
banquier, astrophysicien, agronome, comptable ou expert dans un tout autre domaine, vous et moi sommes voués... à l'obsolescence. Hors-jeu, disqualifiés dans le monde de demain, celui des algorithmes rois et d'une disruption technologique déjà à l'oeuvre selon Stéphane Mallard, qui intervenait lundi 24 octobre comme "Grand témoin" à la CCI du Cantal, comme il le fait régulièrement dans de grandes entreprises, grandes écoles... en Europe et aux États-Unis.
Une disruption - et non une révolution - digitale, car cette rupture radicale qui rebat les cartes des modèles économiques et sociétaux actuels est non seulement ultra rapide, mais surtout sciemment pensée et voulue par les Gafa et autres start-uper leaders de la Sillicon Valley ou de Pékin. Vous pensez pouvoir y échapper ? Oubliez ! "C'est devenue une véritable idéologie qui est en train de se répandre (...) et dont le but est de rendre obsolètes les produits, les services,... pour créer quelque chose de totalement différent", a exposé cet intervenant inclassable, diplômé de Sciences Po et de l'université de Montréal qui a fait des chamboulements du monde son sujet d'études favori.
L'ère des algorithmes experts
Cette disruption est permise par la "commoditisation" des nouvelles technologies, devenues - au même titre que l'électricité ou les matières premières - des facteurs de production. Des technologies du numérique qui, paradoxe, tout en transformant le monde, se banalisent et deviennent abordables au plus grand nombre. "Ce phénomène s'amplifie avec l'entrée dans l'ère des algorithmes apprenants", développe Stéphane Mallard. Des algorithmes que vous et moi nourrissons, entraînons, éduquons en leur fournissant une myriade de données via nos comportements numériques, des données toutes corrélées : "Le temps passé sur telle ou telle photo sur Instagram permet d'apprendre beaucoup de choses sur vous : pour qui vous votez, votre niveau d'éducation, si vous avez un risque de maladies... Sur Tinder, l'analyse des échanges entre deux humains permet de savoir à l'avance l'avenir de la relation...", affirme l'expert.
Ces algorithmes savent apprendre de leurs erreurs et se perfectionnent chaque seconde un peu plus selon un processus darwinien, alimentés par la connaissance accumulée de millions d'experts et ce dans un nombre croissant de secteurs d'activité qu'on croyait indissociables du savoir humain. "En 2017, le patron d'IBM France affirmait sur Internet que jamais une machine ne pourrait réussir à battre un humain au jeu de go, un jeu chinois complexe. Un an après, c'était plié", relate Stéphane Mallard, évoquant des diagnostics bien plus fiables des cancers par ces algorithmes que par les meilleurs médecins.
Même la créativité artistique n'est plus l'apanage du génie humain : un algorithme a ainsi commencé à composer la 10e symphonie de l'oeuvre de Bee-thoven avec un résultat bluffant pour les spécialistes du compositeur allemand.
"Ça nous épate, mais finalement ça ne fait que reproduire ce que notre cerveau fait au quotidien depuis notre naissance, mais à une échelle massive", commente Stéphane Mallard, pour qui l'objectif des géants du numérique est de remplacer l'ensemble des nouvelles technologies que nous utilisons par un assistant, notre double numérique, une sorte de majordome digital dont la mission sera de nous simplifier la vie. Tout à la fois fascinant... et effrayant.
Sur les traces de Netflix
Surtout, si cette idéologie est vouée à s'imposer, elle va profondément et brutalement bouleverser l'économie, notre société et le monde du travail. Puisque l'expertise sera désormais "entre les mains" des algorithmes, quid des experts bipèdes ? "L'enjeu va être de déplacer la valeur ajoutée vers autre chose : l'écoute, l'empathie, la relation humaine pour un médecin par exemple...", avance Stéphane Mallard, dont la recommandation va refroidir la salle : "Le meilleur moyen de se protéger de cette disruption, c'est de se rendre soi-même obsolète ! De tuer votre business pour vous consacrer à toute autre chose ou, mieux, de développer des activités hybrides qui, a priori, n'ont rien à voir entre elles." L'exemple parfait à ses yeux est celui de Netflix, une société créée en 1997 peu lucrative qui louait à ses débuts des DVD par correspondance avant de se lancer 20 ans plus tard dans le streaming avec le succès que l'on sait.
La fin du salariat
Autre conséquence : l'érosion du salariat au profit du recours par les entreprises aux travailleurs indépendants dont le rapport coût sur compétences sera bien plus favorable. "Le numérique est en train de faire sortir les salariés compétents des entreprises pour se lancer dans l'entrepreunariat...
À terme, on aura des constellations de petites PME, des essaims de travailleurs indépendants et de grands groupes dotés de beaucoup de technologies et de peu de salariés", lance l'intervenant, qui prédit des jours sombres pour les cadres d'entreprise et une sorte de "mondialisation en sens inverse". "Cela peut faire peur mais ce qui est rassurant, c'est qu'on est tous dans le même bateau..." Rassurant ?