Des veaux proies ou charognes du vautour à Trizac ?
Deux veaux robustes dont il ne reste guère que le squelette entouré de plumes : à Trizac, les éleveurs peinent à croire à du charognage strict du vautour.
Deux veaux robustes dont il ne reste guère que le squelette entouré de plumes : à Trizac, les éleveurs peinent à croire à du charognage strict du vautour.
Tous les deux jours, Géraud Galvaing monte à sa montagne où ses salers sont estivées. En début de semaine dernière, il constate un veau manquant. “J’ai fait le tour de la montagne et c’est finalement l’ancien propriétaire qui l’a trouvé, à 30 mètres de la grange...” raconte l’éleveur. Un veau de sept mois en bonne santé quelques jours plus tôt dont il ne restait que le crâne parfaitement nettoyé et quelques débris d’os. Une semaine plus tôt, Benoît Lafon du Gaec d’Ayvals de Jussac, dont la montagne est voisine de celle du Gaec Galvaing, a connu le même scénario. “Quand je suis monté voir les bêtes, j’ai vu une grosse tâche noire” ; en s’approchant l’agriculteur découvre lui aussi le squelette d’un veau de près de 200 kilos parfaitement sain jusqu’alors : les quatre pattes et la colonne vertébrale, au milieu d’une zone “piétinée” par des pattes de volatiles qui y ont laissé des plumes. Mercredi dernier rebelote : cette fois, c’est une vache qui est en train d’être dépecée comme l’en informe son voisin d’estive. Son apprenti qui se rend sur les lieux renonce à approcher le cadavre sur lequel une quarantaine de vautours se nourrissent, refusant de s’éloigner à l’arrivée du tracteur.
Indispensables signalements
Les deux éleveurs ont contacté leur vétérinaire, l’OFB, Office français de la biodiversité, et la DDT (direction départementale des territoires), pour signaler ce qu’il est convenu d’appeler administrativement des cas “d’interactions” entre vautours et troupeaux. Attaque ou charognage, Géraud Galvaing s’interroge... L’éleveur trizacois émet l’hypothèse que les rapaces ont été attirés dans le coin par les cadavres de vaches victimes de charbon bactéridien dans deux troupeaux du Vigean, sans aucunement jeter la pierre à ses collègues sévèrement impactés.
Dans un message posté sur les réseaux sociaux mercredi 21 août, la FDSEA a incité les agriculteurs concernés par de potentielles “attaques” à faire expertiser le/les animaux consommé(s) par leur vétérinaire en collaboration avec la DDCSPP et à signaler leur cas aux numéros dédiés (lire encadré). Des signalements dont le nombre a fondu entre 2022 et 2023 dans le Cantal, passant de 25 à 6, tout comme à l’échelle des huit autres départements concernés par cette problématique et réunis au sein du comité interdépartemental “Vautours et activités d’élevage” coordonné par le préfet de Lozère(1). Rien d’étonnant pour Florence Raynal, éleveuse d’aubrac à Anterrieux et qui suit ce dossier en tant qu’élue à la Chambre d’agriculture : “Les éleveurs ne font plus de signalement car il n’y a aucune suite donnée, l’espèce étant protégée, il ne peut y avoir d’effarouchement, ni d’indemnisation d’ailleurs”, constate l’agricultrice qui souligne pourtant l’importance de faire remonter ces cas auprès des services de l’État pour quantifier et objectiver ces incursions néfastes du vautour fauve en terres d’élevage. Car depuis 2018 et le lancement du comité, le discours officiel, qui s’appuie sur celui “d’enseignements-chercheurs en écoles vétérinaires et de la LPO (Ligue de protection des oiseaux)”, n’a pas varié : le vautour est un charognard strict qui n’intervient que post-mortem sur les animaux et, dans de rares cas (4 sur les 25 du Cantal expertisés en 2022, aucun en 2023) sur des animaux malades ou affaiblis selon les expertises diligentées par l’OFB, le GTV Auvergne Rhône-Alpes (groupement technique vétérinaire) et la Dreal Aura. Aucun cas d’attaque sur des animaux en bonne santé, insistent les services de l’État dans la note en ligne sur le site internet de la préfecture (lire aussi encadré).
Lire sur ce sujet aussi https://www.reussir.fr/agriculture-massif-central/le-comportement-du-vautour-en-expertise
Réguler la population
Insuffisant pour rassurer la profession agricole qui apprécie peu de voir une nouvelle fois sa responsabilité pointée du doigt : “À chaque fois, c’est la faute de l’éleveur qui continue à faire vêler ses vaches dehors, et s’il y a plus de vautours dans nos estives, c’est parce qu’il y aurait plus de vaches mortes à cause du charbon et plus de cas de charbon parce que les éleveurs vaccineraient moins...”, s’agace Florence Raynal. Une enquête a donc été lancée par la chambre d’agriculture du Cantal avec le GTV et le PNR Aubrac pour analyser ce lien supposé de cause à effet. Cette dernière a montré que si la couverture vaccinale avait effectivement reculé, depuis les épisodes de résurgence de la fièvre charbonneuse en 2021, cette dernière est repartie à la hausse. Et parmi les éleveurs enquêtés ayant réalisé des signalements d’interactions avec le vautour, le lien direct entre présence de la maladie et celle de vautours n’a pas été établi.
Une chose est sûre, charbon ou pas, la population de vautours fauves - dont 300 individus ont été réintroduits entre 1981 et 2006 dans les Cévennes et Préalpes du Sud - affiche une croissance continue de + 10 % ces dernières années dans le Massif central : 922 couples ont ainsi été recensés en 2023, soit 17 couples de plus qu’un an auparavant. “On espérait que la grippe aviaire limiterait la population, elle a juste limité la progression à + 2 % au lieu des + 10 %”, regrette l’agricultrice de l’Aubrac, pointant deux autres aspects : sanitaire avec la question d’une possible contamination par les vautours des points d’abreuvement et l’affolement des animaux lors de ces “interactions”. Sur les réseaux sociaux, la FDSEA a réaffirmé ses revendications, réclamant “la protection de nos animaux, la mise en place de mesures d’effarouchement et la régulation de la population de vautours”.
(1) Ardèche, Aveyron, Gard, Haute-Loire, Hérault, Lozère, Puy-de-Dôme, Tarn.