Arnaud Rousseau, vice-président de la FNSEA
Green Deal :
« L’indispensable concours des consommateurs »
L’European Green Deal, en français, «Pacte vert pour l’Europe» est un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050.
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots la stratégie du Green Deal voté par la Commission européenne ?
Arnaud Rousseau : Le Green Deal est une stratégie qui vise à transformer l’Union européenne en une économie moderne et efficace, notamment dans l’utilisation de ses ressources. Selon les termes mêmes de la Commission européenne, cette stratégie doit parvenir à la fin des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050, mais également à une croissance économique dissociée de l’utilisation des ressources. Cette stratégie dépasse largement le cadre agricole et concerne de nombreux secteurs d’activité : transports, énergie, logement, industries etc. La déclinaison de ce Green Deal en agriculture se traduit à travers le Farm to Fork, de la Ferme à la fourchette et aussi à travers son « paquet Climat » appelé « Fit for 55 » qui est un corpus réglementaire très large de douze propositions de directives.
Comment se décline le Farm to Fork ?
A.R : Le Farm to Fork vise notamment à accroître la durabilité des systèmes alimentaires en tant que mesure transversale pour lutter contre le changement climatique. Il vise aussi, toujours d’après les propositions de la Commission, à protéger l’environnement, préserver la biodiversité, garantir l’accès de tous à une alimentation saine, développer l’agriculture biologique et assurer des rendements économiques équitables tout au long de la chaîne alimentaire. Pour y parvenir, la Commission entend en particulier, réduire de 50 % l’usage des produits phytosanitaires, de réduire de 20 % les engrais d’origine minérale, de porter à 25 % les surfaces cultivées en agriculture biologique et de consacrer au moins 10 % de la surface agricole en éléments du paysage non productifs riches en biodiversité. Cependant, les agriculteurs attendent avec intérêt une réelle étude d’impact de l’application de ces mesures. Celle présentée au début novembre 2020 par le département américain de l’Agriculture (USDA) montrait une baisse globale de -12 % de la production agricole et agroalimentaire de l’UE et une hausse de +17 % des prix agricoles et alimentaires, le tout avec d’énormes disparités en fonction des types de production. Selon l’USDA, l’ensemble se traduirait par une baisse de -16 % du revenu agricole brut. Cette étude a été en partie corroborée par une étude du Centre commun de recherche de la Commission européenne, avec des baisses de production de l’ordre de 12 % en grandes cultures, 7 % en fruits et légumes, 15 % en viande bovine, viande porcine et volailles, 12 % en lait.
Avec des conséquences sur nos importations ?
A.R : Bien sûr. La demande européenne des consommateurs ne diminuant pas et notre production agricole s’orientant à la baisse, il faudra par conséquent importer davantage de produits bruts ou transformés pour satisfaire le consommateur européen. Ces produits proviendront des pays qui ne respectent qu’une partie des contraintes sanitaires, sociales ou encore environnementales ayant cours au sein de l’Union européenne. Avec un tel système, nous allons consommer la moitié des gaz à effet de serre (GES) que nous aurons économisés avec nos efforts. Nous allons importer de la déforestation mais aussi du dumping social. Pour nous, à la FNSEA il n’est pas question de nous inscrire et de nous enferrer dans un schéma de décroissance.
Mais les objectifs du Farm to Fork vous semblent-ils acceptables ?
A.R : Nous nous inscrivons dans ces objectifs mais avec réalisme et pragmatisme. Nous sommes d’accord pour y contribuer étant entendu que nous, agriculteurs français et européens, ne seront pas les seuls à consentir des efforts. Que l’on ne nous interdise pas de trouver des solutions alternatives qui s’appuient sur la recherche, l’innovation, les nouvelles technologies. Surtout, que les objectifs fixés correspondent aux réalités du marché. Atteindre 25 % de SAU en agriculture biologique est un objectif mais quand on constate qu’aujourd’hui des pans de cette agriculture sont en tension comme le lait et l’œuf, je suis dubitatif sur le chiffre à atteindre d’ici 2030.
Par ailleurs, je milite pour que cette politique (Farm to Fork) soit dotée d’instruments de mesures robustes et efficaces qui permettent de calculer les économies de GES, la captation et le stockage carbone etc. Non seulement ces instruments doivent être fiables et irréfutables mais aussi être généralisés partout dans le monde, afin que chacun soit sur le même pied d’égalité. Les efforts doivent être partagés et équitablement répartis. Je rappelle que la France est responsable de 1 % des GES émis au plan mondial. A titre de comparaison, les États-Unis représentent 15 % des émissions mondiales de ces GES et la Chine 25 %. Oui les agriculteurs français doivent leur part et contribuer à atténuer les dérèglements climatiques. Mais sans rogner sur leurs capacités de production et leurs standards élevés.
Est-ce que le Green Deal aura un impact sur la PAC 2023 – 2027 ?
A.R : La réforme de la PAC a été pensée avant le Green Deal et bien que les deux politiques soient différentes, certaines ONG sont tentées de les mettre au moins sur le même plan. D’ailleurs, les États-membres, à travers leur plan stratégique national (PSN), ne manquent pas de vouloir décliner le Green Deal à travers la PAC 2023-2027. Cependant, cette déclinaison ne manque pas d’interroger. Quand on parle de réduire les produits phytosanitaires de 50 %, quelle est la date de référence ? Quels sont les volumes de référence ? Quels types de produits sont concernés ? Ne serait-il pas plus pertinent de calculer en risques/impacts ? Il en est de même pour les 10 % des terres devant aller à la biodiversité. Quelles surfaces seront retenues ? Les prairies en feront-elles partie ? Les haies seront-elles incluses ou exclues ? On sent bien ici les incertitudes, les atermoiements et les tergiversations de la Commission européenne qui préfère d’ailleurs parler « d’objectifs aspirationnels » plutôt que de déterminer des mesures d’efficacité et des indicateurs concrets et fiables.
Quelle est la position de la FNSEA par rapport au Green Deal ?
A.R : Nous sommes engagés pour accompagner le Green Deal et sa déclinaison agricole, le Farm to Fork. Cependant, nous posons un préalable : la durabilité des modèles, en premier lieu la durabilité économique, celle de nos exploitations. Sans elles, ni le Green Deal ni le Farm to Fork n’aboutiront. Sans agriculteurs, ces politiques se priveraient d’une grande partie de la captation carbone… C’est pourquoi nous demandons à sécuriser nous outils de production, notamment l’eau, les engrais, les produits phytosanitaires. Il faut aussi renforcer les moyens financiers sur la recherche, l’innovation pour appliquer des solutions alternatives à celles que l’on veut nous interdire aujourd’hui et demain. J’insiste également sur la nécessité que les objectifs du Green Deal ne pourront être atteints que si les consommateurs, dont les comportements sont souvent paradoxaux, s’impliquent pleinement dans ce processus. Il existe souvent une différence entre l’intention et l’acte d’achat. L’agriculture ne saurait être une variable d’ajustement. J’en veux pour preuve l’agriculture biologique. Comment pousser à produire du lait bio dans un marché saturé ? La France s’était fixé d’atteindre 15 % d’agriculture bio en 2022. Nous en sommes à peine à 10 %... Très souvent, à vouloir trop rêver ou être trop ambitieux, la naïveté se paie cash ! La transition agroécologique demandée ne sera pas d’un claquement de doigt. Elle réclame du temps et des moyens techniques, humains et financiers. Avec, je le répète, l’indispensable concours des consommateurs.