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Afghanistan, "la gestion de la rareté" permet de vivre

Habib Haider, agro-économiste afghan, décrit une agriculture mise à mal par un développement inapproprié et par la guerre. Il propose de redémarrer en tenant compte du système traditionnel. Il est l'auteur du livre "Afghanistan, reconstruction et développement" coécrit avec François Nicolas.

Réfugié depuis des années à Montpellier, où il vend des tapis, Habib Haider, agro-économiste afghan, a servi son pays en tant que fonctionnaire du ministère de l’Agriculture à deux reprises : de 1976 à 1978 et de 2004 à 2006, comme conseiller du ministre.La reconstruction de l’Afghanistan, selon lui, passe par un retour au système agro-pastoral traditionnel, déstructuré par quelques décennies de péripéties politiques et de conflits. Mais il faut pour cela « que le sujet afghan, encore esclave du système tribal, devienne un citoyen » et « aller vers une société évoluée et adaptée à la culture afghane ». Cela implique de « sortir progressivement de l’aide d’urgence qui se prolonge en assistanat et d’aller vers une reconstruction durable ». Et bien sûr cela passe par la paix, qui dépend d’un dialogue politique et non du rapport de forces militaire : « des millions de soldats ne rétabliront pas la paix », dit-il. Pour Habib Haider, « il est urgent et impératif de tirer tous les enseignements des échecs politiques, économiques et sociaux depuis l’arrivée de l’Otan en 2001. »« Les Afghans les plus pauvres, les paysans, ceux-là mêmes qui se sont battus pour chasser l’armée russe, qui ont espéré le retour des chefs politiques de la résistance afghane, qui ont subi les talibans et les affrontements entre les différentes factions, tous attendent la construction d’une nouvelle société et non pas la réhabilitation de l’ancien régime, cause de tous leurs malheurs ».Or les Occidentaux et l’ONU, qui ont mis en place la Stratégie pour le développement national afghan, « une stratégie complètement illusoire »... « ont perdu toute crédibilité : nombre d’Afghans pensent que, au lieu d’aider à la reconstruction, ils sont surtout allés en Afghanistan pour y bénéficier de marchés juteux ».Habib Haider donne des exemples : la livraison de milliers de tonnes de semences de blé qui ne peuvent pas pousser sous le climat afghan ; l’envoi de vaches laitières qui meurent asphyxiées dans un avion sur le tarmac de Kaboul faute de pouvoir être débarquées ; la construction, par une entreprise américaine dont Dick Cheney (1) est le principal actionnaire, de dizaines de chambres froides dans des régions où il n’y a ni route, ni électricité, ni denrées à stocker. La reconstruction de l’économie afghane, estime Habib Haider, « a été abandonnée à la libre entreprise sans aucun système de régulation et de contrôle » et on est revenus à « une économie sous-développée sur le modèle des années 50, qui enrichissait les chefs de tribus alliés du gouvernement ». Pour renverser la vapeur, il faudrait avoir une autre attitude que celle des experts internationaux, « qui ne parlent pas la langue du pays et ne sont jamais allés dans les campagnes » : il faudrait écouter les Afghans et leur culture.

Équilibre agriculture/nomadisme

Habib Haider a fait ses études d’agronome et d’agro-économiste en France et il a été élève de René Dumont et de Marcel Mazoyer à l’Iedes (2) : « j’ai fait partie de ces universitaires du tiers monde qui ont pris conscience de l’impact de l’environnement sur le développement humain. » L’agriculture traditionnelle afghane « est une agriculture de subsistance d’une richesse incroyable, assise sur un système social traditionnel qui s’est maintenu jusqu’aux années 50 ; elle donnait à manger à la population ». Cette agriculture repose d’une part sur « la gestion de la rareté, dans un milieu très aride » et sur un équilibre entre cultures et pastoralisme.Pour pallier la faiblesse des précipitations (de 50 à 250 mm par an en moyenne), les agriculteurs ont mis en place depuis des siècles des systèmes d’irrigation (avec des canalisations enterrées pour éviter l’évaporation). L’alimentation de base étant le blé, les Afghans ont de tous temps constitué des réserves de blé, pour pouvoir tenir de 3 à 5 années sans bonne récolte.Les éleveurs d’ovins, caprins et camélidés, pour leur part, sont nomades : ils se déplacent pour répartir la pression du bétail sur les herbages. Eux aussi avaient un système de mise en réserve pour prévoir les coups durs : la transformation de la laine en tapis (qui est aussi une bonne valorisation du travail humain).L’échange paysans/nomades confortait ce système. Les nomades apportaient une force de travail, qui manquait aux paysans, pour la récolte et l’entretien des centaines de km de réseaux d’irrigation. L’échange portait également sur la fumure des terres labourables contre le pacage des animaux, le commerce de biens de consommation et le crédit.L’arrivée des agences de développement de l’ONU, en 1946, a « perturbé ces mécanismes traditionnels », en encourageant le développement de l’agriculture de rente (coton, canne à sucre...) sur les terres les plus fertiles ; une agriculture rémunérant des capitaux étrangers à l’agriculture et qui s’est étendue aux dépens de l’agriculture de subsistance. Ce qui a amené les famines des années 1945-50 et de 1972 et la nécessité d’importer du blé. D’autosuffisant, l’Afghanistan est devenu dépendant pour son alimentation.Les experts en développement et les responsables politiques afghans n’ont pas su comprendre la culture afghane, qui est une culture orale, et n’ont pas su organiser la diffusion des techniques nécessaire pour établir une agriculture spécialisée. De plus, l’ouverture des frontières a fait progresser les importations.En 1978, Habib Haider travaillait au ministère de l’Agriculture lorsque les communistes ont pris le pouvoir et il a essayé de continuer à travailler pour le bien des paysans afghans dans l’administration du ministère de l’Agriculture, mais il a rapidement dû s’exiler. « Les communistes ont réalisé une réforme agraire sans connaître la structure agraire ; il y avait pourtant un équilibre de l’usage du foncier. Ils ont distribué des terres sans donner les moyens de cultiver et la vie est devenue étouffante... »Les décennies suivantes ont été des périodes de troubles et de guerre. Sur 24 000 villages afghans, la guerre contre l’armée russe en a détruit 10 000, les talibans 2 à 3 000. Ainsi, 30 % de la population a été déplacée, le plus souvent vers la ville... et la misère, ou à l’étranger. 10 à 12 % seulement de la superficie de l’Afghanistan est cultivable mais actuellement un tiers de cette superficie seulement est cultivé, dont 50 % en culture irriguée. Pour que l’aide financière puisse aboutir à un résultat durable, il faut laisser au peuple afghan, traumatisé par 30 années de guerre, le temps de l’assimiler ; les Occidentaux doivent accepter d’être patients.

Donnez-nous de la patience

« La terre ne manque pas ; il n’y a pas besoin de réforme agraire", dit Habib Haider. Pour relancer l’économie agricole, il propose de retrouver les traditions (agriculture et nomadisme) et d’utiliser les sciences et techniques occidentales pour leur permettre d’évoluer. Il faut mettre en place une nouvelle organisation sociale : créer des coopératives, des municipalités pour remplacer les chefs de tribu, scolariser les enfants avec un programme prônant l’utilisation des moyens traditionnels pour se nourrir.Il propose de protéger les marchés : de 2002 à 2006, les productions afghanes de blé et de fruits et légumes étaient concurrencées par les importations chinoises et iraniennes. Dans ces conditions, comment encourager les paysans à produire ? Avec des marchés protégés, « on peut développer l’agriculture vivrière, assurer la sécurité alimentaire mais aussi préserver l’environnement : le paysan afghan jongle avec l’eau, la terre, la plante, l’animal pour, à partir de l’équilibre et de l’artificialisation respectueuse de l’environnement, pouvoir manger à sa faim et nourrir sept à huit autres personnes. Pas besoin de mécanisation systématique ni d’engrais chimiques à outrance", poursuit Habib Haider. "Il faut s’occuper de produire un excédent et d’avoir une meilleure redistribution ».Autres conditions pour que l’agriculture de subsistance puisse devenir une agriculture paysanne, la reconnaissance des titres de propriété et davantage de justice dans les fermages et les métayages.La guerre a favorisé l’accaparement par des chefs de guerre de la terre, des pâturages et de la ressource en eau. Les enfants d’agriculteurs et de nomades reviennent et s’entretuent pour récupérer leurs biens... « Il faut introduire l’état de droit »."Avec un projet de paix, pas besoin de millions de dollars", poursuit Habib Haider qui propose une expérience localisée de relance à laquelle il a réfléchi avec ses amis au sein de l’association Qolba (“la charrue”) : "Il faut que les soldats assurent la sécurité des techniciens ; donnez-nous pas plus d’1 million de dollars pour 10 villages. Nous allons d’abord nous occuper des pauvres. En 3 à 5 ans, il est possible de reconstruire la démocratie. Et ensuite on peut l’étendre. Habib Haider ajoute : « La communauté internationale ne doit pas se retirer d’Afghanistan. Nous avons besoin d’elle. Mais ne nous donnez pas de l’argent. Aidez-nous à œuvrer à la paix avec patience, intelligence et ouverture. L’économie de subsistance a une contrainte : un chèque ne résout pas ses problèmes ; elle a besoin de patience. »

(1) Le vice-président des Etats-Unis.
(2) Iedes, Institut d’études du développement économique et social, à Paris.

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