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Accord UE-Mercosur : l’élevage bovin viande sacrifié comme monnaie d’échange

L’Union européenne a signé vendredi 28juin avec les pays du Mercosur un accord de libre échange ouvrant le marché européen à 99000t de viande latino-américaine.

Pour Bruno Dufayet, “nos pires craintes ont été confirmées avec ce quota de 99 000 tonnes de viande accordé”.
Pour Bruno Dufayet, “nos pires craintes ont été confirmées avec ce quota de 99 000 tonnes de viande accordé”.
© P. O.

L’information est passée quasiment inaperçue ce week-end dans une France suffoquant sous la canicule et déconfite par la défaite de ses Bleues. Pourtant, l’accord signé vendredi soir entre l’Union européenne et les quatre pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay)(1) au terme de deux décennies de négociations, pourrait bien sceller à très court terme le déclin de tout un pan de l’agriculture tricolore et de son élevage en particulier. Après le Ceta (accord de libre échange avec le Canada), en cours de ratification, c’est un coup potentiellement fatal à cet élevage bovin vertueux de type familial que vient de porter Bruxelles. Un “suicide” vécu comme une déclaration de guerre par la profession agricole qui depuis ne décolère pas, en appelant au président Macron et aux députés européens fraîchement élus pour rejeter cet accord.

L’annonce de cet accord a pris tout le monde de cours...

Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine : “Malheureusement, ce n’est pas une surprise pour nous. On a bien vu ces derniers temps une accélération de la procédure. Et nos pires craintes ont été confirmées avec ce quota de 99 000 tonnes accordées alors qu’officiellement, la négociation ne portait que sur 70 000 tonnes, voire moins.”

Concrètement, qu’est-ce qui a été acté ?

B. D. : “La possibilité donnée aux pays du Mercosur d’exporter ces 99 000 tonnes de viande bovine (55 % pour la viande fraîche et 45 % pour la viande congelée)(2) sur le territoire européen à des droits de douane ultra réduits (7,5 %). Si pour l’heure, on ne sait pas sur quels morceaux cela portera, une chose est sûre : ces pays d’Amérique du Sud vont d’abord aller chercher le marché des aloyaux, le plus rémunérateur. Ils vont ainsi venir nous concurrencer sur le segment des pièces à griller qui, pour toute l’UE, représente 400 000 t.”

Vous parlez de conséquences délétères pour l’élevage tricolore...

B. D. : “Nous avions demandé une étude d’impact de ces projets d’accord de libre échange à l’Institut de l’éle-vage : leur cumul (en intégrant le Ceta) pourrait entraîner une baisse du prix payé aux éleveurs de près de 10 % sur le marché européen. Ce qui conduirait à la disparition de 30 000 élevages français - sur les 85 000 élevages de vaches allaitantes déjà fortement fragilisés et qui peinent à dégager un revenu - et de 50 000 emplois dans la filière. Ce que nous dénonçons fondamentalement, c’est une fois de plus l’incohérence politique la plus totale ! D’un côté, Bruxelles prétend conforter et accompagner le verdissement de l’agriculture au travers de la future Pac et dans le même temps, la Commission signe un accord qui va permettre à des viandes d’importation, dont les conditions de production sont diamétralement opposées aux nôtres, d’entrer sur notre marché.”

Et spécifiquement pour les éleveurs du Cantal, davantage naisseurs ?

B. D. : “Aucun département ni marché ne sera épargné si cet accord s’applique. La baisse du prix du JB (jeune bovin) va se répercuter sur tout l’amont et déstabiliser l’ensemble du marché européen, y compris le marché italien et par ricochet, le prix des broutards. C’est toute la filière française qui va prendre de plein fouet cette folie européenne de signer des accords de libre échange les uns après les autres... ”

Vous avez le sentiment d’avoir une nouvelle fois servi de monnaie d’échange dans ces tractations ?

B. D. : “Clairement oui ! Nous ne cessons de réclamer l’exclusion de l’agriculture de ce type d’accords sans être entendus ! Visiblement, Bruxelles a fait ses comptes et considéré qu’en sacrifiant son élevage bovin, l’UE s’y retrouverait économiquement...”

Moi ministre, lui Président, un tel accord ne se signera jamais, déclarait en substance Didier Guillaume, ministre français de l’Agriculture il n’y a pas si longtemps...

B. D. : “Pour être applicable, l’accord avec le Mercosur doit être ratifié par les chefs d’État et le Parlement européen. On ne voit pas comment Emmanuel Macron, qui a porté les États généraux de l’alimentation et défendu ardemment les accords de Paris sur le climat, pourrait signer un tel accord ! Devant le Sénat, Didier Guillaume a effectivement affirmé le 16 mai que ni le Président ni lui ne signerait un accord ne respectant pas nos standards environnementaux, sanitaires et alimentaires. Sachant que l’article 44 de la loi égalim interdit toute commercialisation de produits non conformes aux normes européennes. Depuis le 16 mai, pas une virgule du texte n’a changé. On demande donc solennellement au chef de l’État d’être en cohérence avec sa politique et ses engagements. Et aux députés européens de porter la voix de l’agriculture française et de son élevage bovin viande.”

Le gouvernement français, comme Bruxelles, font valoir des garde-fous, sortes de garanties potentielles pour éviter une concurrence déloyale. Qu’en pensez-vous ?

B. D. : “C’est impossible ! L’accord a été signé : soit il est ratifié en l’état soit il est rejeté. Mais en aucun cas, on ne pourra garantir le respect des normes européennes sur ces viandes d’importation qui dérogent à toutes nos réglementations : aucune identification individuelle des animaux donc aucune traçabilité, bovins traités aux antibiotiques comme activateurs de croissance,... Quant au climat, aucune mention de la déforestation liée à cet élevage sud-américain. De toute façon, on ne pourra pas mettre de barrière ni de quelconque “ligne rouge” à ces produits sans que cela soit considéré comme une entrave au commerce international et au libre échange. C’est une illusion et un mensonge.”

(1) L’accord ouvre un marché de plus de 500 millions de consommateurs européens et 260 millions de consommateurs sud-américains, ce qui en fait l’accord de libre-échange le plus important jamais signé. (2) Cet accord prévoit en outre 180 000 t à droit zéro pour la volaille, autant pour le sucre, 25 000 t pour la viande porcine... L’UE obtiendrait pour sa part des contingents pour les produits laitiers (fromages, lait écrémé en poudre, infantile).


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