Vins chinois : faible concurrence à l'horizon
Dans la viticulture comme ailleurs, la Chine ne fait pas dans la demi-mesure. Peut-on s'attendre pour autant à un raz-de-marée de vin Made in China ? Selon les professionnels français ayant travaillé sur place, cela ne devrait pas être le cas.
Dans la viticulture comme ailleurs, la Chine ne fait pas dans la demi-mesure. Peut-on s'attendre pour autant à un raz-de-marée de vin Made in China ? Selon les professionnels français ayant travaillé sur place, cela ne devrait pas être le cas.
« Quand la chine s'éveillera... le monde tremblera », écrivait Alain Peyrefitte il y a plus de quarante ans. L'an dernier, l'Empire du Milieu a bel et bien secoué le monde viticole, en dérobant à la France, la place de deuxième vignoble mondial. Et pour cause ! La politique en la matière est pour le moins expansionniste : le gouvernement offre des terrains vierges et incite les industriels et businessmans à la plantation. Dans la région du Ningxia, les autorités locales ont même investi l'équivalent de 6 milliards d'euros pour la construction de routes et l'acheminement de l'eau et l'électricité, en vue de développer l'oenotourisme.
Et cela porte ses fruits. En seulement quinze ans, le vignoble chinois a plus que doublé, pour passer de 303 000 à 799 000 hectares. Au regard des surfaces non exploitées et compatibles avec la culture de la vigne, les professionnels estiment que le potentiel d'accroissement est au moins d'autant. À terme, il pourrait représenter le double du vignoble français ! De quoi avoir le vertige. Heureusement, le raisin de table occupe une large place, avec plus de 75 % de la production.
Néanmoins, dans le même laps de temps, la production de raisins de cuve a augmenté de 70 %, pour atteindre 2,6 millions de tonnes l'an passé. La Chine est à présent le huitième producteur de vin mondial.
Des chiffres d'exportation à relativiser
Témoin de cette dynamique, la Fédération française de la pépinière viticole affichait en 2014 une année record pour l'exportation de matériel végétal vers ce pays. Pas moins de 41,1 tonnes de plants, et de 34,4 tonnes de bois qui seront greffés sur place y ont été envoyées, soit quatre fois plus qu'en 2013. « C'est l'un des pays où nous exportons le plus, indique Julien Lalu, responsable export des pépinières Mercier. Les Chinois sont très demandeurs des cépages rouges typiques du bordelais : cabernet, merlot, petit verdot, cot... mais aussi de marselan, qui est bien adapté à leurs terroirs. En revanche, les blancs représentent moins de 10 % des exportations." Conséquence logique de cette dynamique, les exportations de vin chinois explosent elles aussi : de 49 000 hectolitres il y a dix ans, elles sont passées à 268 000 hectolitres l'an dernier. Mais de tels chiffres sont à relativiser. Malgré leur hausse constante, ils restent très anecdotiques comparés aux 22 millions d'hectolitres qu'exporte l'Espagne.
Les vins montent progressivement en gamme
Ce remarquable essor quantitatif s'accompagne d'une amélioration de la qualité des vins. Jusqu'à présent, les vins chinois étaient considérés comme peu qualitatifs. Pour principale cause, des vignerons inexpérimentés, dont les pratiques n'allaient pas vraiment dans le sens de l'excellence. Mais en juin, lors du dernier salon Vinexpo, La Revue des Vins de France a suscité l'étonnement de nombreux dégustateurs internationaux en proposant une sélection de vins chinois de bonne facture. À l'issue de la dégustation, les critiques étaient pour le moins enthousiastes : « le top des vins chinois passe de mauvais à bon », titrait ainsi Elin McCoy, un journaliste américain ; « les ambitions sont clairement affichées », pouvait-on aussi lire de la part d'un bloggeur français. Cette montée en gamme trouve son origine dans deux phénomènes. D'un côté, de grands groupes internationaux spécialisés dans le vin, tels que Castel ou Pernod-Ricard, investissent dans le vignoble chinois et mettent à profit leurs compétences. Ainsi, Moët Hennessy Estate & Wines a déjà annoncé pour l'automne 2015 la sortie d'un vin rouge chinois « de très haute qualité ». D'un autre côté, les propriétaires chinois commencent à approfondir leurs connaissances en viticulture et en oenologie à grand renfort de consultants internationaux en provenance de France, des États-Unis ou encore d'Australie.
Par ailleurs, la filière commence à se structurer ; des centres de recherche et de formation voient le jour. Depuis 2012, le nombre de publication chinoises relatives à la viticulture se place en bonne position, comme l'a remarqué le cabinet Bipe lors de son étude sur le dépérissement de la vigne. De plus, les jeunes étudiants chinois n'hésitent pas à venir se former en France et acquièrent les bonnes pratiques qu'ils mettent en oeuvre ensuite dans leur vignoble. D'ici dix à vingt ans, les viticulteurs chinois devraient logiquement maîtriser les fondamentaux de la viticulture et de l'oenologie, et disposer d'une filière mature et structurée.
De nombreuses contraintes techniques à résoudre
Ils auront toutefois du pain sur la planche. Car il ne faut pas oublier que la Chine est un pays de mousson. Il existe deux grands types de régions viticoles. Les premières se trouvent à proximité des côtes et bénéficient d'un climat tempéré et pluvieux, avec des pluies plus abondantes en été. Les deuxièmes sont situées dans les régions désertiques de l'est, au pied du Tibet, avec un climat sec, aux températures extrêmes. « La grande majorité des terroirs chinois présentent de fortes contraintes, explique Joël Rochard, de l'IFV. Dans le désert, l'eau en provenance de l'Himalaya est suffisante pour développer une bonne irrigation, mais les températures hivernales allant jusqu'à moins 30°C obligent les viticulteurs à enterrer complètement les vignes pour éviter le gel. Les régions côtières, avec leurs fortes précipitations en été, sont extrêmement propices au développement des maladies cryptogamiques. Dans les deux cas, cela représente des coûts de production faramineux ». Et l'on imagine aisément l'impact négatif des pluies estivales sur la qualité du vin. Ces contraintes apparaissent clairement être un frein, voire une limite à l'émergence du vignoble chinois au niveau mondial. Un avis que partage Julien Lalu, habitué des lieux : « ce n'est pas demain que l'on sera envahi par les vins chinois. Beaucoup de vignobles sont à arracher à cause de problèmes de virus autochtones. Et même si les coûts de main-d'oeuvre sont très bas, les contraintes techniques actuelles sont telles, que les vins ne peuvent pas être compétitifs avec les vins du Languedoc-Roussillon par exemple ». Et Joël Rochard de rajouter : « si à moyen terme les Chinois arrivaient à s'affranchir de ces contraintes par la maîtrise technique, nous pourrions craindre une concurrence, mais pour l'heure je suis assez dubitatif quant à leur capacité à exporter du vin. »
Il a fallu plusieurs décennies aux pays du Nouveau monde tels que le Chili, l'Australie ou la Californie pour s'imposer dans le paysage vitivinicole mondial. Il n'est pas impossible qu'à force de travail et de capitaux la Chine y parvienne elle aussi. Mais dans l'immédiat et à moyen terme, il faut surtout voir l'extraordinaire marge de progression de la consommation intérieure, plus importante encore que celle de la production. N'oublions pas qu'en moyenne, un Chinois ne boit qu'1,2 litre de vin par an et que le marché est en croissance. Avec 320 millions de consommateurs estimés en 2012, il existe un potentiel de plus d'un milliard de consommateurs supplémentaires ! L'Empire du Milieu reste donc avant tout une opportunité pour les vignerons français.
Les motivations du gouvernement chinois
Si la volonté de développer l'économie du vin en Chine par le gouvernement est assez claire, ses motivations sont assez floues.
. Il peut s'agir d'une stratégie dans sa politique de développement vers l'Est, pour éviter la désertification de cette région et avancer vers les terres inoccupées. Cette dynamique permettrait des migrations en provenance des régions côtières déjà surpeuplées.
. Il y a une volonté de fournir le marché intérieur et d'inciter à la consommation d'alcool sous forme de vin pour réduire la distillation de riz, afin d'assurer la suffisance alimentaire de la population et de lutter contre l'alcoolisme.
D'un autre côté, des groupes d'états réalisent des copies de châteaux français dans le but de développer l'oenotourisme. L'idée d'inonder le marché international du vin ne semble donc pas la principale préoccupation des dirigeants chinois.