Se passer d'irrigation dans les vignes, c'est possible
Des stratégies existent pour affronter les périodes sèches sans arrosage. Certaines voix s’élèvent dans le vignoble pour privilégier cette approche.
Des stratégies existent pour affronter les périodes sèches sans arrosage. Certaines voix s’élèvent dans le vignoble pour privilégier cette approche.
Nos anciens ne l’auraient pas cru, et pourtant. En France, en 2023, la vigne se meurt… de soif. Mais comment faire quand on n’a pas accès à l’eau, ou que les perspectives d’irrigation sont peu réalistes ? « Il existe de nombreux leviers pour cultiver la vigne sans avoir à ouvrir le robinet », assure Kees van Leeuwen, enseignant-chercheur à Bordeaux Sciences Agro, qui estime même qu’irriguer la vigne, culture méditerranéenne par excellence, est une hérésie.
Il est possible, en premier lieu, de jouer sur le matériel végétal. Certains cépages sont en effet très adaptés au sec, comme le grenache, entre autres. De même que les porte-greffes : « le 110 R par exemple est un excellent outil pour gagner en résilience face à la sécheresse, illustre Kees van Leeuwen. Dans les situations les plus extrêmes nous avons même à disposition le 140 Ru, qui montre une résistance incroyable. » Et de relater que dans des régions très arides, comme l’Aragon en Espagne, les combinaisons pratiquées empiriquement dans le vignoble permettent de cultiver la vigne sans eau et sans stress intense, même avec 350 millimètres de pluie par an.
D’autant plus que le système de conduite que l’on y rencontre, le gobelet, permet de résister encore un peu mieux à la sécheresse tout comme à la chaleur. « L’hypothèse la plus forte, pour expliquer cela, vient du fait que ce mode de conduite se traduit par une interception moindre du rayonnement solaire par rapport aux systèmes palissés, expose le chercheur bordelais. Et donc moins de transpiration. »
Greffer en place permet de favoriser l’enracinement les premières années
Pour maximiser la capacité du matériel végétal à résister aux conditions climatiques exigeantes, Alain Malard, consultant en viticulture et fondateur de l’entreprise PermaVinea, suggère de privilégier certaines greffes, comme la F2, « qui augmentent les chances d’avoir une bonne circulation de sève sur la vigne adulte. » Kees van Leeuwen va plus loin, en recommandant de greffer en place, afin de donner l’opportunité au porte-greffe de bâtir un système racinaire plus puissant, un meilleur enracinement étant synonyme de meilleure captation de l’eau dans le sol.
« Dans cette même optique, le viticulteur a intérêt à arroser les jeunes plants les deux premières années, voire les trois premières dans un contexte méditerranéen. Simplement le temps que les racines se forment correctement et que la vigne devienne autonome », ajoute-t-il. Mais surtout pas au goutte-à-goutte, pour ne pas que les racines se développent dans le bulbe et que la vigne finisse dépendante de ce mode d’arrosage !
Apprendre à jongler entre les services rendus par l’herbe et la concurrence
Alain Malard cite, comme autre levier, le taux de matière organique. « Lorsque l’on passe, grâce aux engrais verts, de 1 à 4 % de matière organique dans un sol, cela change radicalement sa capacité de réserve utile. Elle peut littéralement doubler », estime-t-il. Kees van Leeuwen pointe toutefois un risque avec les engrais verts : celui d’apporter trop d’azote en même temps que le carbone, et de se retrouver avec davantage de vigueur et donc de transpiration. Sans compter que la vigne possède des racines très profondes qu’elle utilise lors des périodes de stress hydrique intense, alors que la matière organique, elle, se retrouve plutôt vers la surface. Cela montre la difficulté de piloter le couvert végétal, et la technicité que cela demande.
C’est d’ailleurs un point qui est ressorti du projet européen Vitisad, fruit d’une collaboration entre les instituts techniques du sud de la France et du nord de l’Espagne, visant à identifier des solutions face au changement climatique. « Les viticulteurs espagnols, confrontés depuis plus longtemps que nous aux problématiques de sécheresse, ont pris l’habitude de travailler intégralement les sols pour limiter la concurrence, rapporte Thierry Dufourcq, qui a suivi le projet avec l’IFV Sud-Ouest. Or ils constatent aujourd’hui qu’ils se sont coupés de certains services rendus, comme la meilleure infiltration de l’eau. » Ce qui illustre le fait que la couverture végétale se raisonne sur le long terme. « Tout le travail actuel est une recherche de compromis entre accepter de temps en temps une contrainte pour protéger nos sols, tout en faisant attention à ce qu’elle ne devienne pas trop forte au détriment de la vigne », résume l’ingénieur de l’IFV. Les couverts végétaux peuvent également être utilisés en paillis. Certains viticulteurs utilisent la technique du mulchage et assurent observer un double effet sur le sol : celui de le protéger du rayonnement solaire (ce qui fait baisser la température) et celui de garder l’humidité plus longtemps.
L’installation d’une noue donne un résultat net et rapide
En parallèle, une des voies qui pourrait aider les viticulteurs à optimiser l’eau qui est offerte par Dame nature est l’hydrologie régénérative. « Car il en tombe de l’eau tout au long de l’année, si on fait le calcul ! », s’amuse Alain Malard. Et quel meilleur endroit pour la stocker que dans nos sols ? Ainsi le consultant met en place des systèmes permettant de garder la quasi-totalité de l’eau qui précipite sur une parcelle. Il peut s’agir de noues (sorte de fossé qui retient l’eau pour l’infiltrer), de keylines (1), de bassins d’infiltration ou encore de fissuration en pointillé. « C’est une sorte de jeu d’équilibriste entre une mouillère et une parcelle bien drainée où l’eau s’évacue trop facilement », figure le consultant. Et il l’assure, les résultats ne se font pas attendre. Argumentant même que l’on observe autant de différences que lorsque l’on installe un goutte-à-goutte. « Le premier ouvrage que j’ai mis en place était en 2016 sur un domaine à Châteauneuf-du-Pape. Aujourd’hui elle fait son rendement sans souffrir, alors que les parcelles voisines sont à la peine et ne produisent pas 30 hl/ha », affirme-t-il.
Toutefois, de tels systèmes impliquent dans certains cas un changement intégral de modèle. C’est notamment le cas si l’on souhaite travailler avec les keylines, qui impliquent de suivre les courbes de niveau lors de l’installation de la parcelle. C’est aussi vrai lorsqu’on se lance dans une logique de gobelets sur sols très secs : « Les rendements sont moindres, livre Kees van Leeuwen, mais les coûts de production sont théoriquement plus faibles, ce qui donne le kilo de raisin à un prix similaire. » Faire de la viticulture en zone sèche sans irrigation implique, en fin de compte, d’entrer dans une logique de « viticulture extensive ».
(1) Technique d’aménagement paysager visant à maximiser l’utilisation bénéfique des ressources en eau d’une parcelle de terrain
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