Quand FranceAgriMer exaspère les viticulteurs
FranceAgriMer joue un rôle essentiel dans l’attribution des aides. Face aux dossiers chronophages, aux contrôles tatillons, aux interprétations aléatoires, vignerons et négociants expriment leur ras-le-bol. Comme un écho aux revendications paysannes des derniers mois.
FranceAgriMer joue un rôle essentiel dans l’attribution des aides. Face aux dossiers chronophages, aux contrôles tatillons, aux interprétations aléatoires, vignerons et négociants expriment leur ras-le-bol. Comme un écho aux revendications paysannes des derniers mois.
Chantal Pegaz passe une retraite active sur ses coteaux chéris du Beaujolais, mais avec l’esprit pas complètement libéré, la faute à un conflit qui l’oppose à FranceAgriMer. Sans doute l’établissement public avait-il espéré qu’elle baisse les bras, mais voilà, en plus d’être reconnue pour sa ténacité, Chantal a mené une double vie : avocate à la ville, vigneronne à la campagne, alors elle n’a pas eu peur d’aller au combat administratif.
L’affaire remonte à près de dix ans. Son GIE, Wine art of France, s’engage pour trois ans de prospection sur le marché chinois. Elle embarque chez le géant asiatique pour la première fois en 2014. Le 30 septembre 2015, FranceAgriMer juge le dossier de demande du solde de subvention pour l’année 2014 complet et annonce un paiement dans les douze mois. Mais le 16 juin 2016, retournement de situation, l’établissement décide provisoirement d’un rejet total et réclame le remboursement de la provision déjà versée. Le GIE conteste. S’en suit alors un silence de… six ans ! En mars 2022, FranceAgriMer rend enfin sa décision définitive : rejet de la subvention, remboursement de la provision et 10 % de pénalités, soit plus de 13 000 euros !
La stratégie du silence domine
Chantal Pegaz ne s’est pas laissée faire, elle a argué la prescription de la demande de remboursement devant le tribunal administratif (que FranceAgriMer a reconnue) et réclamé son dû. Entre-temps, l’établissement lui avait versé, sans une lettre, ni un mot d’explication, la subvention correspondant au dossier 2015, pourtant totalement identique à celui de 2014. Incompréhensible !
La stratégie du silence est-elle sciemment mise en place pour que les vignerons s’épuisent et jettent l’éponge ? Aujourd’hui FranceAgriMer est toujours aussi silencieux, et n’a même pas répondu aux propositions de transactions recommandées par le tribunal administratif. « Cela m’oblige à maintenir en vie le GIE, ça me coûte facilement 1 000 euros par an, dénonce Chantal Pegaz. Mais je ne veux pas lâcher, par principe, et pour tous les petits vignerons qui se débattent avec l’administration. »
La froideur de l’administration
Aux confins du Beaujolais et de la Bourgogne, Bruno Mallet, directeur général des Vins Aujoux à Fleurie, avait lui aussi monté un dossier pour effectuer de la prospection au Japon. « Un vieux et mauvais souvenir, se remémore-t-il. C’est honteux ce qu’ils nous ont fait. » Dans un premier temps, l’opérateur espérait toucher 60 000 euros pendant trois ans, une somme ramenée à 35 000 euros après un contrôle de FranceAgriMer. « Et puis nous avons eu un second contrôle du ministère des Finances, retrace Bruno Mallet. Et là, il a fallu non seulement tout rembourser mais aussi payer 20 000 euros de pénalités, sans compter le salaire de la personne qui s’est occupée de ce dossier quasi à plein temps dans notre entreprise. » Alors président d’Inter Beaujolais, Bruno Mallet siégeait au conseil vin de FranceAgriMer mais avoue son impuissance : « On a fait remonter ces dysfonctionnements mais ça n’a pas eu d’effet », constate-t-il.
Au château Beaubois, dans les Costières de Nîmes, Fanny Boyer a l’habitude de solliciter des aides, notamment pour les installations d’irrigation. Les contrôleurs, qui devaient venir avant les travaux, se sont… perdus ! Alors que les parcelles sont géolocalisées dans le dossier... Le domaine a néanmoins décidé de ne pas reculer les travaux, suite à un hiver sec. Les contrôleurs sont arrivés quelques jours plus tard, après les travaux. Les 13 000 euros de subvention se sont envolés.
Fanny Boyer avait aussi fait appel à FranceAgriMer pour la rénovation de sa cuverie, mais a scanné son devis… à l’envers. L’établissement, qui a reçu des feuilles blanches, lui assure de la complétude du dossier. Quelque temps plus tard, la vigneronne a l’amère surprise de voir la subvention refusée pour cause d’absence de devis. L’instruction étant close, elle n’a pas pu rattraper le coup. Une attitude pour le moins cynique de l’administration.
De nombreux vignerons renoncent à demander des aides
Dans le Minervois, Françoise Frissant Le Calvez est à la tête du château Coupe-Roses, à La Caunette. Elle a elle aussi eu de mauvaises surprises avec FranceAgriMer. Elle avait déposé deux dossiers pour aller prospecter un pays tiers, la Russie en l’occurrence. Pour la première tranche, elle a été remboursée sans encombres. Puis les contrôleurs sont arrivés et ont épluché tous les documents. « J’étais sereine, mon dossier semblait complet, témoigne-t-elle. On m’a contesté un salon que j’avais fait à Moscou parce qu’il était organisé par UbiFrance, organisme déjà subventionné. Or quand j’avais envoyé mon dossier, FranceAgriMer avait validé et payé. »
Là encore, l’établissement lui a non seulement demandé de rembourser les aides, mais lui a en outre infligé des pénalités. Elle a décidé de contester et de ne pas payer. Elle a envoyé un courrier à l’établissement, qui n’a donné aucune nouvelle. Comment un organisme public peut-il contrôler, sanctionner et ne pas donner suite, ni dans un sens, ni dans l’autre ?
« J’ai fini par baisser les bras quand j’ai vu la faiblesse des remboursements sur la deuxième tranche », poursuit-elle désabusée. Or il est bien là le problème : de nombreux vignerons renoncent à demander des aides vu la complexité des dossiers et leur issue trop incertaine.
Aux yeux de FranceAgriMer le droit communautaire prime sur les baux
En Beaujolais, beaucoup de vignes sont encore en métayage. C’est donc au propriétaire, et non au fermier, de payer les plantations, comme c’est stipulé noir sur blanc dans les baux qui font loi. Mais pas aux yeux de FranceAgriMer pour qui le droit communautaire prime. Franck Bessonne, vigneron et métayer, en a fait la mauvaise expérience lorsqu’il a voulu planter une parcelle de 22 ares en moulin-à-vent. « Toutes les factures étaient au nom du propriétaire et j’ai essuyé un refus, alors que quelques années plus tôt, FranceAgriMer avait validé. Ils m’ont expliqué que c’était alors une tolérance », rapporte-t-il. Une tolérance qui est terminée depuis un arrêté européen de 2016. « J’ai plaidé la bonne foi, sans succès », regrette-t-il.
Sur les plantations, l’autre point de désaccord est le calcul de la surface de la parcelle culturale, qui sert de base de calcul pour le montant de la subvention et donne lieu à des contentieux qui se terminent parfois en justice. Il y a quelques mois, le vigneron de Vailhauquès dans l’Hérault, Jean-Paul Bernard, a dû aller jusqu’au Conseil d’État (pourvoi en cassation) pour faire reconnaître l’erreur de calcul sur le taux de sous-réalisation des travaux retenu par FranceAgriMer sur les deux parcelles (3,40 ha au total) qu’il avait replantées. Le premier procès avait eu lieu en… 2019. Le vigneron l’avait emporté mais FranceAgriMer avait gagné l’appel, avant que le Conseil d’État ne donne finalement raison au vigneron le 22 décembre dernier. Que de temps, d’énergie et d’argent dépensés, gaspillés pour faire valoir ses droits.
Les recours gracieux sont généralement refusés par l'établissement
Dans les derniers jours de 2023, c’est Laurent Perrier qui a eu gain de cause en appel contre FranceAgriMer. Dans le cadre de la construction d’une cuverie et d’un stockage, le groupe champenois avait obtenu une aide d’1,7 million d’euros en 2014, validée par une convention. Mais FranceAgriMer n’avait versé que les deux tiers de la somme, jugeant finalement certaines dépenses inéligibles. L’établissement public avait refusé deux recours gracieux déposés par l’opérateur puis perdu en première instance avant de faire appel et de perdre à nouveau. La justice a non seulement reconnu l’éligibilité des aides mais aussi dénoncé la modification rétroactive par l’établissement du régime des sanctions sur les dates de facturation.
Des exemples parmi tant d’autres, il n’est pas rare malheureusement de voir les différends se régler au tribunal. « FranceAgriMer retient certaines dépenses mais pas d’autres. Tout est question d’interprétation », justifie poliment cet avocat spécialisé qui a préféré taire son nom pour ne pas porter préjudice à ses clients. Une douzaine vient chaque année frapper à sa porte : « Mes dossiers portent sur des litiges de 5 000 à 300 000 euros ; 5 000 euros c’est plus par principe, mais les grosses sommes, ça met en péril la viabilité de l’entreprise. »
Une instruction qui dure des années
L’homme de loi se montre plutôt satisfait : « On repart rarement sans rien. On gagne un quart, la moitié ou les trois quarts de ce que l’on a demandé mais il faut de la ténacité, de la patience pour les faire reculer, ce sont des dossiers complexes. L’instruction dure un à trois ans selon les régions. Nous tentons aussi des recours amiables et le succès de ces démarches pré-contentieuses est de plus en plus fréquent mais nous n’obtenons que très rarement satisfaction totale par ce biais. »
Sollicitées par nos soins, les équipes de FranceAgriMer ont assuré être « mobilisées pour renseigner au mieux les demandeurs, et pour mettre en œuvre dans les meilleurs délais les dispositifs de soutien opérés par l’établissement ». Mais elles n’ont pas jugé utile de répondre à nos questions.
« À l’heure où le bien-être agricole est érigé comme une priorité, est-il acceptable que les administrations malmènent les vignerons par leur attitude méprisante ? » s’interroge Chantal Pegaz. Et ce d’autant plus que ce sont en partie ces mêmes vignerons qui paient les salaires de ces fonctionnaires et les frais de justice qu’ils entraînent. Il est temps que l’établissement redresse la barre.
Cinq questions à Jérôme Despey, président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer
« Je milite pour une simplification des procédures »
Le président du conseil vin de FranceAgriMer Jérôme Despey a conscience des dysfonctionnements de l’établissement. Il appelle de ses vœux une simplification.
Comment expliquer qu’il y ait autant de dossiers litigieux, de vignerons ou de négociants exaspérés ?
Jérôme Despey - « C’est vrai, c’est parfois compliqué pour les demandeurs, les procédures ne sont pas simples. Je souhaite d’ailleurs que les vignerons se fassent accompagner sur ces dossiers-là, pour que la complexité ne soit pas un frein au dépôt de leur dossier. »
Quelles sont les voies d’amélioration ?
J. D. - « Une case mal cochée, une erreur, un oubli et cela remet en cause la subvention, c’est dur ! Je comprends l’exaspération et c’est pourquoi j’ai milité pour le droit à l’erreur. Il est entré en vigueur avec la nouvelle PAC mais il faut que l’erreur soit détectable avant la demande de paiement sinon, c’est trop tard. Il faut trouver des systèmes d’alerte, de blocage des dossiers. Et puis il y a un travail de simplification des procédures à réaliser : que l’on demande moins de pièces, moins d’éléments de justification. »
Quel conseil donneriez-vous à un vigneron en désaccord avec FranceAgriMer ?
J. D. - « Régulièrement, je suis interpellé par un syndicat, une coopérative, pour un dossier qui concerne un de leur membre. Je porte le dossier à la direction de FranceAgriMer, parfois jusqu’au ministre si nécessaire. Et si le désaccord persiste, je peux conseiller d’aller en justice. Mais attention, il faut bien rappeler que 95 % des dossiers, et peut-être plus, se passent bien, même si 5 % de litige, c’est toujours trop. »
Les vignerons s’interrogent : où va l’argent rendu et celui des pénalités ?
J. D. - « Le programme est doté chaque année de 280 millions d’euros. Selon moi, l’argent reste dans notre enveloppe, ce n’est pas de l’argent perdu ni pour la France ni pour la filière. Il faut rappeler que nous sommes contraints entre d’un côté ce que souhaite la filière et d’un autre, les obligations liées à l’OCM viticole. Si on fait mal notre travail, on peut être rattrapé par la Cour des comptes européenne qui peut nous infliger un refus d’apurement.(1) »
FranceAgriMer est-il trop éloigné de la base, du terrain ?
J. D. - « Je tiens à préciser une chose : la stricte séparation des pouvoirs. J’ai été nommé par le ministre de l’Agriculture sur proposition de mes pairs. Je suis là pour proposer les dispositifs, les priorités à mettre en place mais je n’interviens pas dans l’évaluation des dossiers. Lors des conseils spécialisés vin, nous ne sommes pas autorisés à rentrer dans le détail des cas individuels. C’est la directrice et son équipe qui ont la responsabilité d’instruire les dossiers, et en dernier recours, le ministre. »
Propos recueillis par David Bessenay