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La pression parasitaire en viticulture va-t-elle devenir toujours plus extrême ?

L’oïdium comme ravageur principal du vignoble alsacien ou encore des vers de grappes à gérer tardivement dans le languedoc, qu’est-ce qui nous attend demain ? Le point avec les chercheurs et conseillers de terrain.

Le mildiou, qui aime la chaleur mais aussi l'humidité, pourrait exercer une pression de plus en plus variable à l'avenir.
Le mildiou, qui aime la chaleur mais aussi l'humidité, pourrait exercer une pression de plus en plus variable à l'avenir.
© J.-C. Gutner

Les effets du changement climatique sur le cycle de la vigne sont d’ores et déjà visibles et ne sont plus à démontrer. Mais qu’en est-il des cycles des ravageurs ? « En région méditerranéenne, on voit apparaître une forte variabilité du risque mildiou, pointe Jacques Rousseau, responsable des services viticoles à l’ICV. Bien entendu, nous en avons toujours eu plus ou moins, mais le vignoble a connu ces dernières années des situations littéralement explosives, où le risque est passé très rapidement de zéro à l’alerte maximum. » Des conditions que l’ingénieur agronome s’attend à voir de façon beaucoup plus récurrente à l’avenir, du fait du changement climatique.

Serge Zaka, consultant en agroclimatologie, acquiesce. Il s’est penché sur les évolutions des problématiques phytosanitaires en agriculture, en lien avec le climat. Et assure que plusieurs leviers sont à l’œuvre, à commencer par le gel. « Il régule certains pathogènes. Plus il y a de grands froids, plus il y a de mortalité de spores et d’œufs », rappelle-t-il. Or le climatologue constate qu’en soixante ans, en France, le nombre de jour de gel a été divisé par deux. « À l’horizon 2100, le gel pourrait littéralement disparaître de certaines zones côtières en France, poursuit l’expert, ce qui veut dire, d’une façon générale, des inoculums de pathogènes beaucoup plus importants en sortie d’hiver. »

Les millésimes 2021 et 2022 sont des exemples de ce qui nous attend

La température au printemps joue également. Lorsqu’il fait doux plus tôt, cela profite aux champignons. En cas de printemps pluvieux, cela peut donc amener à des situations plus intenses. Si l’on ajoute à cela un inoculum élevé dû à un hiver peu rigoureux, on obtient un cocktail détonnant, susceptible de provoquer des explosions de maladies au printemps. « Les deux dernières années, 2021 et 2022, sont les exemples parfaits des évolutions qui nous attendent avec le changement climatique », illustre Serge Zaka. En 2021, la France a connu une sortie d’hiver et un printemps avec des températures au-dessus des normales, sur lesquels s’est greffée la pluie. Ce qui a donné lieu a une pression sanitaire forte et des contextes explosifs d’un point de vue du mildiou dans bien des régions.

Sur le millésime 2022 en revanche, la sécheresse est intervenue très tôt et l’été fut, à plusieurs périodes, caniculaire, inhibant complètement le mildiou. « Nous aurons de plus en plus d’étés dans le style de 2022, mais nous aurons sans doute aussi des printemps comme celui de 2021 », glisse l’expert. À la chambre d’agriculture d’Alsace, Marie-Noëlle Lauer est bien consciente de ce risque. La région a connu, en 2016, l’attaque de mildiou la plus forte qu’elle ait vu depuis plus de quarante ans. En 2021, la pression a été encore pire. « Il faut être prêts à affronter ces situations, estime-t-elle. Nous rencontrerons des phénomènes de plus en plus extrêmes. » En parallèle, les viticulteurs alsaciens, comme les bourguignons et les champenois, doivent composer avec une pression oïdium de plus en plus présente, notamment lors de millésimes comme 2022.

Plus que jamais, il est nécessaire de cultiver l’observation, le suivi et la réactivité

Se préparer à cela demande, selon Jacques Rousseau, de redoubler d’attention. Cela passe par l’utilisation d’outils de modélisation, qui sont une aide précieuse, et la possibilité d’avoir de bonnes informations sur la météo, que ce soit celle mesurée ou bien celle prévue. Plus que jamais, il faut également être capable d’adapter son programme, en modifiant certains produits, resserrant les cadences et en intervenant rapidement. « Sur les millésimes 2018 et 2020, où l’on est brusquement passé d’un contexte très défavorable à des conditions quasiment tropicales humides avec 25°C, le nerf de la guerre a été l’observation, le suivi et la réactivité », note le responsable ICV. Cette capacité à intervenir vite se prépare jusque dans le matériel. C’est ainsi que de nombreux vignerons ont investi ces dernières années dans des pulvérisateurs pour quad (lire notre dossier de novembre 2022), leur permettant d’entrer plus facilement dans les parcelles malgré de fortes précipitations.

Des contaminations automnales qui peuvent avoir un impact sur la vigne

Un autre aspect qui interroge Serge Zaka est celui de l’évolution de la situation sanitaire à l’automne. Le climatologue redoute une réapparition des maladies à cette saison de plus en plus fréquente, favorisée par une douceur sans excès et le retour des pluies. C’est d’ailleurs ce que l’on a pu observer en 2022. Un phénomène accentué par la reprise végétative après des mois de sécheresse intense. « Nous avons assisté à des phénomènes de défoliation sévère durant l’été, et une repousse de la vigne avec les pluies des 16, 17 et 18 août », note Claire Scappini, responsable technique chez Racine SAP, dans le Var. Ce qui a entraîné des attaques de mildiou. « Le mildiou tardif est un grand classique des années où il y a peu de pression », surenchérit Jacques Rousseau.

Pour lui, il est intéressant de réaliser une protection en fin de cycle pour prévenir ces attaques tardives. Un traitement pas toujours évident sur les vignes en production, toutefois, puisqu’il faut composer avec les délais avant récolte (DAR), qui sont généralement de vingt et un jours pour le cuivre. « Les analyses de bois de cet hiver montrent que les parcelles ayant perdu leurs feuilles à cause de la sécheresse présentent des mises en réserve basses », témoigne Claire Scappini. Le suivi et la réflexion de la lutte phytosanitaire sont donc importants jusqu’à la fin de saison. « D’autant plus que ces attaques tardives sont de nature à favoriser la formation de spores supplémentaires, qui viendront renforcer l’inoculum », ajoute Serge Zaka.

Être vigilant sur la troisième génération des vers de la grappe

Les maladies cryptogamiques ne semblent pas les seules à évoluer avec le climat. En Alsace, Marie-Noëlle Lauer a par exemple observé en 2022 une véritable troisième génération de vers de la grappe. Une présence qui n’a pas eu de conséquence sur la lutte phytosanitaire, puisque la pression a été faible, du fait de la sécheresse. « Mais il nous est arrivé de noter jusqu’à quinze ou vingt pontes par grappe dans certains cas », relate la conseillère. Une observation qui sonne comme un avertissement pour les prochains millésimes. Dans le pourtour méditerranéen, la troisième génération d’eudémis donne aussi du fil à retordre, mais pas pour les mêmes raisons.

 

 
La troisième génération de vers de la grappe commence d'ores et déjà à poser des problèmes jusqu'ici inconnus.
La troisième génération de vers de la grappe commence d'ores et déjà à poser des problèmes jusqu'ici inconnus. © P. Cronenberger

 

Jacques Rousseau constate des vols de plus en plus étalés. Il est même confronté depuis plusieurs années à deux pics de vols bien distincts, ce qui complique le choix de la date d’intervention et des produits, posant parfois la question d’un renouvellement. Une équation d’autant plus délicate que la pyrale Cryptoblabes gnidiella vient jouer les trouble-fêtes dans de plus en plus de secteurs. Ce papillon a déjà une incidence sur les programmes de lutte insecticide sur les zones littorales languedociennes. Notamment dans les parcelles protégées contre eudémis et cochylis par confusion sexuelle, où un traitement insecticide spécifique devient nécessaire.

Le dérèglement climatique n’est pas responsable de tous les maux

« Toutefois je ne suis pas catégorique sur le fait que l’on puisse relier ça au changement climatique », lance Éric Chantelot, directeur du pôle Rhône-Méditerranée de l’IFV. S’il partage de nombreux constats avec ses confrères, aussi bien sur les insectes que sur les champignons, il reste prudent quant à la nécessité de changer de paradigme. « Le climat n’est qu’une seule lame du ciseau », admet Jacques Rousseau. D’un autre côté viennent des évolutions liées aux pratiques et à la réglementation.

Éric Chantelot ne manque pas de rappeler que les viticulteurs ne disposent presque plus de strobilurines et de moins en moins d’IBS, ce qui complique davantage l’organisation de la lutte phytosanitaire que l’évolution climatique. Sur la question de l’oïdium, qui a surpris quelques viticulteurs en fin de campagne ces dernières années, l’expert s’interroge. « Est-ce que c’est lié à l’évolution du cycle du pathogène ? Ou bien dû au fait que, depuis les brûlures par le soufre lors du coup de chaud de juin 2019, les viticulteurs sont moins rigoureux par crainte des fortes chaleurs ? La question peut se poser », analyse-t-il.

Le temps permettra de mieux cerner les changements dus au climat

Pour lui, l’heure n’est pas encore aux recommandations face à d’éventuels problèmes de lutte induits par le dérèglement climatique. Un avis partagé par Laurent Duquesne, conseiller viticole à la chambre d’agriculture de Charente-Maritime. « On fait souvent des focus quand il y a des problèmes, car on cherche à comprendre et à expliquer, remarque-t-il. En 2021 ça a été la cicadelle verte et le mildiou, l’année d’avant c’était le black-rot. Mais force est de constater qu’en 2022 nous n’avons pas vu grand-chose. » Changement climatique ou non, ce qui compte avant tout pour le conseiller est de rester vigilant, s’informer et s’adapter aux conditions de l’année, millésime après millésime. « Nous avons les outils pour ça », pose-t-il. « Avec un pas de temps un peu plus long, nous aurons davantage de billes pour conclure avec précision si oui ou non les observations de ces dernières années viennent d’une évolution des ravageurs, et s’il faut intégrer ces nouveaux facteurs dans les programmes de lutte phytosanitaire », conclut Éric Chantelot.

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